J'ai appris que les parents d'un enfant lourdement handicapé avaient obtenu la condamnation de l'hôpital d'Orange pour cause d'acharnement thérapeutique à la naissance de l'enfant. Je comprends la peine de cette famille dont l'enfant souffre de maux multiples : il est tétraplégique, ne s'exprime que par râles, peine à déglutir et est sujet à de fréquentes crises d'épilepsie. Il souffre vraisemblablement de lourds handicaps mentaux. Cet enfant est né en état de mort apparente, et, après 20 minutes d'efforts, le gynécologue, à sa naissance, a annoncé sa mort aux parents. Mais le personnel hospitalier n'a pas abandonné, et, à force d'efforts, est parvenu à faire repartir le coeur. Le problème, c'est que le cerveau n'a pas été alimenté en sang pendant près de 30 minutes.
J'avoue que je suis très troublé par cette condamnation : je comprends le concept d'acharnement thérapeutique quand on évoque le cas d'individus gravement malades et/ou en fin de vie. Mais j'ai beaucoup plus de mal à accepter cette terminologie quand il s'agit d'un bébé qui vient de naître et qu'une équipe fait des efforts désespérés pour le sauver. Le métier des services de réanimation, c'est de réanimer : va-t-on assister à des procès contre les hôpitaux qui n'ont pas essayé de réanimer les nouveaux-nés, puis, à l'inverse, contre ceux qui l'ont fait ?
Peut-on reprocher, in fine, à une équipe dont le métier est de donner la vie, d'admettre de voir mourir un bébé sans intervenir ? Le tribunal administratif de Nîmes a eu la main aussi lourde que son jugement a été léger. J'estime, au nom de la solidarité, que l'État doit tout faire pour aider les familles dont les enfants sont très lourdement handicapés, mais je ne juge pas juste que l'on reproche à un hôpital d'avoir fait de son mieux, surtout en l'absence d'une loi claire sur le sujet.
Il naît actuellement 10 000 grands prématurés par an, tous susceptibles de développer des séquelles, qui seront d'autant plus graves que le terme aura été échu bien avant l'heure.
Il conviendrait, je le crois, de fixer une loi-cadre afin de déterminer ce que les professionnels peuvent faire ou non. J'espère que ce jugement ne fera pas jurisprudence et que l'on n'en tirera pas une généralité. L'hôpital a agi sagement en choisissant de ne pas faire appel. Aucun second jugement ne viendra confirmer le premier, au risque de le graver dans le marbre. L'accouchement a eu lieu en 2002, et la loi Léonetti date de 2005.
L'article L 1110.5 était rédigé en ces termes :
«Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Les dispositions du premier alinéa s'appliquent sans préjudice de l'obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produit de santé, ni des dispositions du titre II du livre Ier de la première partie du présent code. Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée. Les professionnels de santé mettent en oeuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort.»
La loi Léonetti a ajouté les deux alineas suivants :
« Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. »
Le dernier alinéa de l'article L. 1110-5 du même code est complété par deux phrases ainsi rédigées :
« Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause, qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade, sans préjudice des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 1111-2, la personne de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un des proches. La procédure suivie est inscrite dans le dossier médical. »
Entre eugénisme et euthanasie, la limite n'est pas aisée à tracer. Tout être, à sa naissance, a droit à une vie digne et heureuse : la santé physique et mentale en est souvent une condition sine qua non.