Instructif le petit journal de Canal +. Les syndicats affirment que la grève actuelle est plus suivie que ne le fut celle de 1995, et, les radios et plusieurs chaînes d'information reprennent sans sourciller les chiffres qu'ils donnent. Le hic, et je m'étonne tout comme Expression Libre , c'est que cela ne correspond pas exactement au décompte réalisé par des sociétés spécialisées dans le décompte des foules. Et puis surtout, le reportage du petit journal nous montre des syndicalistes doublant allègrement et sans état d'âme le nombre de passants. Parmi les dix bonnes raisons de se moquer des grévistes, il y a au moins celle-là.
Sérieusement, je pense que ces grèves sont un échec patent. Pourquoi ? Parce que ni les syndicats ni l'opposition (de gauche, du moins) n'a quelque chose de sérieux à proposer, et c'est bien là où le bât blesse. Cette réforme n'est pas bonne, mais il n'y a à l'heure actuelle pas d'alternative parce que les forces politiques adverses n'ont pas de plan B (et pour cause : il n'y en a pas !), du moins, pas qui permettrait de conserver la retraite à 60 ans avec une rémunération égale.
C'est sur le travail et les conditions de travail que devraient se battre les syndicats, la gauche, et même le centre, car aujourd'hui, c'est l'enjeu prioritaire. Mais dans ce domaine, un grand silence plane.
Si côté gauchiste, on continue à rêver du grand soir (ou tout du moins, à faire tout comme), côté libéraux, on a mal, voire très mal, compris la réalité du travail dans plusieurs grandes entreprises semi-publiques.
Pour ma part, je trouve que la privatisation des grandes entreprises publiques françaises depuis 15 ans est une véritable catastrophe. Dans ma jeunesse, quand un train SNCF annonçait une arrivée à 15h41, il arrivait à 15h41, pas à 15h42. Quand le guichetier vous annonçait un tarif, il n'y avait pas de surcoût inattendu au dernier moment, et les grilles tarifaires étaient disponibles dans les gares.
Côté EDF, quand on voulait appliquer le tarif de nuit à son électro-ménager, on ne devait pas accomplir 36 démarches administratives.
Un coup de téléphone unique à France Telecom réglait tous les problèmes d'un coup.
Le problème des libéraux, c'est qu'il suffit de prononcer les mots état et entreprise publique pour qu'ils chargent tête baissée. Ils n'ont pas compris que l'ennemi n'est pas forcément l'État, mais la bureaucratie, l'administration tatillonne de l'entreprise, chose, en revanche, qu'avait très bien enregistré Schumpeter, qui y voyait la cause de la fin du capitalisme.
Il suffit de considérer les récents scandales à France Telecom avec ses suicides pour en prendre conscience : on a là-bas des imbéciles, en nombre de surcroît, qui se prennent pour des managers. Mais il n'y a pas plus opposés que l'imitation servile et imbécile des méthodes manageriales anglo-saxonnes (au demeurant bien plus humaines) d'un côté et l'esprit entrepreneurial public français de l'autre.
En tentant de marier les deux, on aboutit à des monstres hybrides qui ne gardent que le pire de l'un et l'autre de ces deux modèles.
C'est contre l'organisation du travail qui se met en place progressivement dans ces entreprises semi-publiques que devraient se battre les syndicats, parce qu'elle aliène davantage, et dans les proportions inquiétantes le travail de l'être humain. On ne devrait pas pouvoir, par esprit de bougeotte, muter à vue un cadre simplement parce que nos managers en herbe ont décidé que le mouvement était bon et la routine mauvaise car freinant l'innovation et l'esprit d'initiative.
Un navire a besoin de conserver un cap pour arriver à bon port : ce n'est pas par des mouvements erratiques et d'incessants changements de direction qu'il s'assure le chemin le plus sûr et le plus rapide, bien au contraire.
L'inquiétant, c'est que ces idées imbéciles font leur chemin dans les principales administrations françaises, peu à peu, et que tout ce que compte de cadres dirigeants la fonction publique pourrait bien se voir géré selon ces principes ineptes et inefficients.