Alain Lambert soulève un lièvre très intéressant sur son blog, ce matin : il interroge le lien entre le niveau d'impôts et le caractère démocratique de la société. Et il cite notamment un extrait de l'Esprit des lois dont j'avais justement rendu compte et que j'avais analysé en septembre 2007.
Alain Lambert renvoie au dernier numéro de la Revue des finances publiques. J'imagine très bien qu'en pleine réforme de la taxe professionnelle, il y a là un billet intentionnel. Le sénateur de l'Orne cite en effet Montesquieu qui évoque les impôts : Montesquieu observe que les seules les sociétés démocratiques peuvent établir un haut niveau d'imposition alors que les régimes despotiques sont contraints de lâcher du côté de la fiscalité ce qu'ils reprennent sur les libertés publiques. Écrit il y a deux ans, mon billet, sur la foi du même philosophe, sonnait à son tour comme un avertissement très prémonitoire. Il faut dire que ça tangue, dans la majorité, on en a des échos dans la presse, mais on le comprend aussi dans les réactions de plusieurs élus. A témoin le commentaire qu'Alain Lambert laissait ici-même il y a 5 jours :
Je partage, tout en battant ma coulpe, votre analyse. Sans chercher de circonstances atténuantes, il est humain de ne plus publier de posts sur la politique menée lorsque vous avez le sentiment qu'elle vous échappe, se fait sans vous, quand ce n'est pas contre vous. Que vous n'avez plus aucune prise sur le système qui ne vous consulte plus, qui vous donne instruction d'obéir, d'applaudir et qui vous met immédiatement à l'index lorsque vous avez le malheur d'émettre un point de vue personnel. Même s'il est le même depuis 20 ans. Mon intuition est que pareille situation n'est pas viable et que telles les braises sous la cendre, un feu de révolte finira bien partir sur un grand ou même un petit sujet. Tant il est bien connu que tous les esprits libres, trop longtemps contenus, finissent au goulag ou dans la contestation irrépressible.
En la circonstance, je m'interrogeais sur l'absence de l'UMP sur la blogosphère, mais je crois que la critique d'Alain Lambert s'exprime à deux niveaux : parler de goulag il y a cinq jours, puis citer Montesquieu sur l'impôt et le despotisme aujourd'hui, cela m'apparaît clairement comme une critique politique. Ensuite, il y a l'aspect économique : père de la LOLF, Alain Lambert est fait partie du camp de la raison qu'évoquait récemment Bayrou, très réticent à laisser courir les déficits publics : or, entre grand emprunt et disparition de la taxe professionnelle, ils plongent dans les Abysses.
Et l'éditorial de la Revue des finances publiques prend alors tout son sens :
Toute modification de la fiscalité va bien au-delà des seules questions de techniques financières en entraînant immanquablement une transformation de l’équilibre institutionnel tout entier. C’est là un principe qu’il convient de ne jamais oublier. Le système fiscal n’est en effet en aucun cas isolé des autres institutions, il en est complètement solidaire, et il engendre inévitablement des modifications de l’ordre auquel il participe. C’est pourquoi modifier un de ses éléments sans évaluer les modifications qui peuvent s’ensuivre sur son environnement, c’est prendre le risque d’ouvrir une boîte de Pandore.
Et il n'est pas tendre l'éditorialiste ; j'invite à lire la suite de son éditorial, mais il parle, avec les niches fiscales et les allègements de toute sorte d'un véritable néo Moyen-âge fiscal !!!
Parallèlement, avec l’épanouissement contemporain de corporatismes de toutes sortes, publics et privés, qui font pression pour obtenir des allègements fiscaux voire même un pouvoir de décision en la matière.on peut parfois lire les prémisses d’une sorte de dérive vers un néo-Moyen Âge fiscal qui représente un risque réel d’éclatement du pouvoir fiscal. Ces évolutions qui sont très visibles au travers de la démultiplication des «niches fiscales», c’est-à-dire de mesures de faveur et de régimes dérogatoires, se sont du reste amplifiées avec les différentes crises économiques qui se sont succédées ces trente dernières années, la mise en péril de tel ou tel secteur particulier du commerce, de l’industrie ou de l’agriculture conduisant leurs représentants à réclamer quasi systématiquement un allègement de leur charge fiscale.
Je pense, pour ma part, que les citoyens doivent pouvoir choisir : nous ne devrions jamais supprimer un impôt sans spécifier ce qu'il payait. Les citoyens doivent rester libres de prendre à leur charge, plutôt qu'à celle de l'État, un certain nombre de prestations, mais ils doivent pouvoir le faire en toute connaissance de cause. Si Nicolas Sarkozy persiste à vouloir supprimer la taxe professionnelle, les Régions devront ou bien se compenser en taxant les particuliers, ou bien abandonner un certain nombre de programmes, tant d'équipements que de solidarité. S'endetter comme le fait l'État serait totalement irresponsable. Alors il faut le dire, et les partis doivent commencer à dire ce qu'ils vont faire, y compris l'UMP, puisque c'est le parti majoritaire.
Si certains députés et sénateurs UMP ont des états d'âme, qu'ils aillent jusqu'au bout et infligent au gouvernement et au président le camouflet qu'ils méritent amplement en votant contre cette proposition stupide. Je ne crois pas que leur électorat les blâmera.