Et hop, encore l'excellent Arnaud H (Quindi) s'interrogeant cette fois sur le bien-fondé de votes populaires sur des traités trop techniques.
La réalité c'est que ces 10 dernières années auront permis de faire avancer un débat parallèle, celui du dépassement de la méthode inter-gouvernementale traditionnelle (décisions à l'unanimité; avancements institutionnels par traités) et celui de la légitimation démocratique d'un ensemble supranational. Ce n'est pas peu de chose, c'est même une première mondiale; et les citoyens, élus, fonctionnaires, chercheurs, et journalistes européens participent tous du débat à leur manière; l'exercice est d'autant moins négligeable qu'il intègre toute l'Europe depuis quelques années: les membres de l'UE, de l'EEE/AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse), de l'ALECE (Balkans Occidentaux), de l'Europe de l'Est, la Turquie, et le Caucase Sud; les relations Europe / Russie, Europe / Afrique, Europe / Méditerranée, Europe / Asie, Europe / Etats-Unis, et Europe / Amérique Latine. Nous n'avons pas encore trouvé la formule magique, mais nous n'y avons jamais autant travaillé que ces derniers temps.
Je refuse ce débat, à mon avis stérile, de citoyens contre politiques, principalement parce que je n'ai pas encore vu d'initiative citoyenne européenne (provenant de plusieurs pays) qui permettrait de créer un système plus efficace; toute la limite de la démocratie directe, elle est très présente pour critiquer, elle ne sait pas s'organiser pour proposer. Ce qu'on accuse d'être la technocratie bruxelloise n'est, le plus souvent, que la volonté des représentants des Etats membres, et non celle des élus européens ou des fonctionnaires européens; ce qui démontre le manque d'information des citoyens en matière de démocratie représentative (dans mon refus du populisme, je pense que la responsabilité est partagée entre les gouvernements, les médias, les institutions européennes, et les citoyens européens, pas très "sexy" comme opinion!). Ton exemple du Comité des Régions (NDLR : Thierry P, un autre lecteur du blog proposait de confier, dans un commentaire précédent,de confier à un comité de régions européennes le pouvoir d'adopter certaines mesures) est symptomatique de la problématique inter-gouvernementale (par opposition à la méthode communautaire avec des choix à la majorité): ce choix de nommer le comité ainsi est lié aux luttes de pouvoir entre gouvernements; elle serait moins pertinente si on votait ce genre de chose à la majorité qualifiée plutôt qu'à l'unanimité. Le même problème s'est posé à Lisbonne sur le drapeau, l'hymne et la mention de la devise européenne.
Pour ce qui est de la méthode de ratification des traités, je suis de ceux qui pensent qu'un traité (quel que soit le traité) est trop complexe pour une ratification populaire en connaissance de cause; cela s'adapte donc très mal à la méthode communautaire qui est nécessairement technique en matière économique. Par contre, les leçons à tirer de ces ratifications (Maastricht, Nice, TCE, Lisbonne) sont très utiles, que ce soit de la part de ceux qui les ont ratifié largement (où il s'agissait d'un référendum sur l'UE dans sa globalité), de ceux qui refusent la méthode référendaire (Royaume Uni qui devrait peut-être faire un premier référendum sur l'appartenance renouvelée ou non à l'UE, avant de voir le débat national se dégrader davantage), de ceux qui ont réussi à ratifier marginalement ou ratifier lors d'un deuxième reférendum annulant le premier(Maastricht et Nice qui démontrent l'incapacité d'avoir un débat sur le fond quand cela devient trop technique; le souhait dans certains pays, comme la France, d'avoir une Europe qui dépasse le cadre économique et monétaire; le souhait d'autres pays, comme le Danemark et le Royaume-Uni de rester à l'extérieur de toute initiative non économique tant que celle-ci n'est pas un succès; les lignes rouges de certains pays en matière de défense, fiscalité, et droit social), et de ceux qui n'ont pas réussi à ratifier (TCE en France et au Pays-Bas, Lisbonne en Irlande, où le débat est confisqué par des intérêts nationaux peu pertinents, démontrant le fossé informatif qui existe entre le citoyen européen et leurs systèmes de gouvernance nationaux et européens, tout comme l'incapacité des citoyens de voir l'intérêt national à travers l'intérêt continental. A l'arrivée, l'erreur est de faire passer ces modifications institutionnelles par voie de traité; la démocratie représentative sert à éviter ce genre de problèmes - mais elle n'est pas une solution de rechange en cas de refus populaire. Toutefois, le débat constitutionnel en sort renforcé, les citoyens européens ne souhaitent pas une constitution incompréhensible ou un système institutionnel incompréhensible.
Cependant, il serait aussi temps de dire la vérité: les citoyens, dans toute leur sagesse, ont refusé à trois reprises (France, Pays Bas 2005, Irlande 2008)l'extension de la méthode communautaire (vote à majorité qualifiée) au profit d'un usage plus fréquent de la méthode inter-gouvernementale actuelle (favorisant plus de vétos et bloquant la législation dans de nombreux domaines, dont le domaine social et environnemental); ils ont refusé l'extension des pouvoirs de co-décision du Parlement Européen (étendant la démocratie représentative directe des parlementaires, plutôt que la démocratie représentative déléguée au Conseil et aux ministres); ils ont refusé l'élection du Président de la Commission par le Parlement (au profit d'une négociation inter-gouvernementale); ils ont refusé la création d'un service diplomatique européen (au profit d'une cacophonie diplomatique de 27 pays). Sont-ils au courant? Je pose tout particulièrement la question à ceux qui ont voté non dans ces trois pays.
Tant qu'il s'agissait d'une constitution cela avait un sens de refuser un texte incompréhensible; dès lors qu'il s'agit uniquement d'un traité et non plus d'une constitution (Lisbonne), le débat sur le fond est relancé, les citoyens ont-ils compris les dispositions qu'ils ont refusé? Devraient-ils voter lorsque les traités sont trop complexes, produit inextricable de la méthode inter-gouvernementale?
A l'inverse de tout ce que je viens de dire, une constitution (relativement courte; dont le débat principal se situe au niveau des valeurs communes, des principes de subsidiarité / fédéralisme, et du fonctionnement institutionnel compréhensible par le citoyen, sans amalgame avec les politiques détaillées) ne peut uniquement être mise en application suite à un vote populaire; c'est le fondement même d'institutions démocratiques. C'est le travail suivant, qu'il faut dissocier de celui de fonctionnement inter-institutionnel au quotidien.
Toutes ces conclusions n'étaient pas évidentes il y a 10 ans.