François Bayrou évoque la question de l'énergie en Europe.
Si vous tenez des journaux intimes, si vous avez un agenda, cochez l’année 2008 : c'est l'entrée dans un monde nouveau parce que comme cela a été dit ce matin à plusieurs reprises, c'est l'entrée dans un temps que nous n'avons pas connu en Occident et sur la planète depuis deux siècles. C'est l'entrée -ou le passage- du monde de l'énergie abondante et bon marché au monde de l'énergie rare et chère. Et l'énergie, mes chers amis, ce n'est pas seulement l’essence où le gasoil que vous mettez dans le réservoir de la voiture et dont le coût est pourtant douloureusement ressenti à la fin du mois… L'énergie, c'est tout le reste.
On a très clairement expliqué que c'était les transports, l'agriculture, car les engrais eux aussi viennent de cette matière première. L'énergie, c'est dans toutes les activités humaines sans aucune exception, ce qui fait que nous entrons dans un temps radicalement nouveau et il n'existe pas de substitution. Toutes les sources d'énergie sont en fait indexées les unes sur les autres. Le gaz est indexé sur le pétrole. On va s'apercevoir que si on augmente le nombre des centrales nucléaires, c'est l'uranium qui devient de plus en plus rare et cher. On va s'apercevoir que le charbon ou les schistes bitumineux font des dégâts écologiques très importants.
Bref on a devant nous une question énergétique majeure qui va changer notre mode de vie et nos projets de société.
Si le gouvernement actuel s'était rendu compte de cela, au lieu de faire une loi de modernisation économique pour les super et les hypermarchés, il aurait réfléchi à un autre équilibre du commerce, parce qu’il faut faire quatre fois plus de kilomètres en voiture pour aller dans ces magasins que pour aller aux commerces de proximité. On multiplie les courses faites à l'hypermarché dans la périphérie urbaine, avec d'immenses parkings de milliers de voitures, autour desquels on ouvre même des cinémas. Et comme maintenant on aura la liberté d'installation des surfaces, pour un grand nombre, on va évidemment accroître le coût des courses.
J'ajoute que je ne suis pas absolument persuadé que la question du prix soit la seule, car il arrive -réflexion d'un autre ordre- que l'on fasse faire acheter à de pauvres gens des choses dont ils n'ont pas besoin en leur expliquant que c'est moins cher qu'ailleurs.
Là aussi il y a une question qui tient à la société de consommation, mais en tout cas du point de vue de l'énergie, l'inspiration de la loi de modernisation économique passe à côté de ce changement de mode de vie que nous allons devoir vivre.
Nous ne sommes qu'au début de cette extraordinaire histoire que nous allons vivre ensemble, l'histoire de l'énergie rare et chère porte sur tout le monde et en particulier sur le Tiers monde.
L'énergie rare et chère, cela change en profondeur les modes de vie.
Je réfléchissais pendant l'échange vif de ce débat sur le protectionnisme ou le libre-échange, et je me disais que c'était peut-être un débat d'hier. Car si comme je le crois, le renchérissement du carburant fait que le transport -et notamment aérien- devient trois ou quatre fois plus cher qu'il ne l'est aujourd'hui, alors il y a un petit espoir d'assister non pas à des délocalisations accentuées mais à des relocalisations. Et peut-être que la protection se fera d'elle-même. Mais évidemment cela veut dire que tout va changer et notamment tout va changer pour les pauvres dont on voit bien, avec le coût du carburant à la pompe, les structures de vie, d'organisation de la vie, de la consommation, qu’ils sont infiniment plus fragiles à des réponses de cet ordre.
Si je ne me trompe pas et que ce que je dis est fondé, peut-être que l'on découvrira demain matin l'hydrogène et que tout sera réglé, mais je ne le crois pas vraiment. Il n'y aura pas de nouvelles sources d'énergie disponibles que les économies d'énergie.
Le temps de l'énergie rare et chère est un bouleversement extraordinaire dans la vie de nos communautés et de nos peuples et de chacune des familles.
Quand il y a des bouleversements extraordinaires, il y a inquiétude et angoisse. Quand il y a inquiétude et angoisse, les menaces portent sur deux choses : la paix civile et la démocratie. Parce que lorsque les peuples ont peur ils cherchent un bouc émissaire, et quand les peuples ont peur, ils cherchent un dictateur.
C'est comme cela dans l'histoire des peuples depuis longtemps.
Nous devons avoir présent à l'esprit qu'il y a là des risques que nous devons conjurer en prenant grand soin de nos institutions.
Voilà pourquoi le débat institutionnel est très important. Des institutions solides qui permettent des consensus au lieu de favoriser des affrontements, des institutions solides qui obligent à prendre en compte les sensibilités différentes d'un peuple pour que chacun trouve sa place et que l'on fasse plutôt la paix, sous forme métaphorique, que la guerre, sous forme métaphorique, au sein du Parlement.
Nous avons des institutions qui favorisent l'affrontement frontal en France. Le Parlement européen, lui, favorise le dialogue et les consensus, et cela marche, curieusement.
Tant que vous avez des institutions qui favorisent les affrontements, vous avez des risques de déchirure du tissu social et national. Si le mot révolution a jamais eu un sens, vous êtes, nous sommes devant une révolution.
L'énergie rare est chère, à la place de l'énergie bon marché et abondante, cela oblige à tout changer. Et comme de toute manière les impératifs climatiques obligent aussi à tout changer, c'est une révolution absolument inéluctable.
Commentaires
Je n'ai pas eu l'occasion d'être avec vous à la convention européenne. J'ai écouté hier les dix dernière minutes du discours de François Bayrou et j'ai été bluffé par la clairvoyance de son discours. Il a donc vraiment ces entrées dans le monde clos des experts énergétiques mondiaux. Il y a une quinzaine de jours, quelques adhérents MoDem, nous avons mis en place un groupe de travail "Energie, Démocratie, Europe" dont l'objectif est de développer une base de connaissance partagée sur le sujet énergie. voir lien
http://liberte-egalite-fraternite.hautetfort.com/archive/2008/05/29/energie-democratie-europe-e-d-e-toi-et-le-ciel-t-aidera.html
François Bayrou est le premier homme politique français à aborder l'énergie dans ces termes, sans en faire une sous-rubrique de l'environnement. L'ensemble des solutions que notre génération va devoir développer semble trop radicale si les experts en politiques énergétiques les présenter à la population. Elle serait forcement rejeter car les chants des douces sirènes sont plus agréables à entendre, mais la noyade est là ! Seul le marin averti se fera attaché au mat. Regardons la réalité en face, cette "unconvenient truth" pour reprendre le titre du film d'Al Gore qui traite le problème jumeau (Climate Change du au destockage), encore une fois pas un problème environnemental, mais un problème de mode de vie et d'utilisation des énergies (dont la conséquences sont 1- environnementale et 2-geostratégique)
Comme nous l'avons écrit, les solutions sont là. C'est la lucidité et le courage politique, qui ne passera que par un marketing fort. (On nous fait bien boire du coca et manger des hamburgers, pourquoi on ne nous ferait pas commencer cette Energy Descent -rien à voir avec la décroissance car il s'agit ici de construire un autre mode de croissance)
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@ Giacomo
Très intéressant votre groupe. Je vais jeter un oeil là-dessus. On avait un sénateur centriste spécialiste de l'énergie, Marcel Deneux, mais je ne sais pas s'il reste au Modem. A priori, je ne le crois pas, hélas.