Fièvre à la bourse, sueurs froides au sein des banques, panique chez les investisseurs, inquiétude des épargnants … Si les experts économiques et financiers se comprennent entre eux, dans leur langage technique sur la volatilité, la liquidité, la solvabilité, le plan Paulson, …, on peut sérieusement se demander si le citoyen lambda y comprend quelque chose sur l’origine de cette crise, ses réactions en chaîne quasi-nucléaires et ses impact potentiels. A vrai dire tout cela le dépasse un peu !
Que faire ? De mes comptes, de mes économies, ai-je un risque de perdre mon boulot ? Ai-je un risque de ne pas récupérer mes avoirs en banque et ai-je intérêt à retirer mon argent en compte à ma banque ? Telles sont les questions concrètes que se pose le Français ou l’Européen moyen aujourd’hui.
Pour essayer de résumer en quelques mots simples l’origine de cette crise, il faut comprendre quelques notions :
1- Le monde bancaire et financier a considérablement évolué ces dernières années:
Autrefois les marchés financiers étaient réglementés nationalement (contrôle des changes, contrôle du crédit et de la masse monétaire, …) et cloisonnés (marché boursier, marché monétaire, marché obligataire,…). Sous l'influence du FMI, de la Banque mondiale (Consensus de Washington, en 1989), ainsi que de la Communauté européenne (les « quatre libertés » de l’Acte unique, en 1986) les marchés ont subi une triple évolution (parfois nommée « les 3 D »):
– déréglementation, abolition du contrôle des changes et des restrictions aux mouvements de capitaux ;
– désintermédiation ou accès direct des opérateurs aux sources de financement sans passer nécessairement par des banques ;
– décloisonnement, c’est-à-dire éclatement des compartiments.
Une nouvelle logique financière s'est instaurée, se traduisant au-delà des aspects géographiques, c'est pourquoi les spécialistes parlent plutôt de « globalisation » financière que simplement de mondialisation. Cette globalisation financière a favorisé le financement des entreprises, de l’économie, mais contrairement à la logique industrielle la logique financière privilégie le court terme. De nouveaux produits et de nouvelles techniques financières ont vu le jour, qui confirment cette tendance, la priorité donnée à la rentabilité immédiate, à court terme, notamment car la valeur des flux futurs anticipés est évaluée en valeur nette présente, raccourcissant ainsi le temps d’un point de vue financier. Cette valeur tient compte aussi de la probabilité d’envol des taux et des cours ou de défaillance des acteurs impliqués, donc d’une valeur spéculative parfois divergeant de la réalité économique.
- la sophistication des marchés financiers s'est considérablement accrue, permettant un libre accès aux capitaux, une désintermédiation des acteurs entre les investisseurs et les emprunteurs de capitaux au travers des bourses et du marché. Les actions, obligations et créances négociables, ainsi que les nouveaux instruments financiers de dérivés de taux ou d’actions, se sont progressivement substitués aux traditionnels crédits pour subvenir au financement de l’économie et les crédits sont eux-mêmes devenus négociables, « titrisables », transformés en titres, accentuant la volatilité des marchés, leur sensibilité aux variations d’aléas externes. Les banques sont devenues aussi des « brokers de dettes ». Nous sommes passés d’un capitalisme industriel d’entreprenariat et d’une économie financée par le crédit (dont la rentabilité était évaluée sur un long terme) à un capitalisme financier de marché, où non seulement les entreprises, leur risques, leurs crédits, mais aussi des ensembles d’entreprises (fonds d’investissement), des indices boursiers ou de prix de matières premières énergétiques, de métaux ou de denrées alimentaires et même des indices climatiques, des variations de taux, se négocient comme des marchandises. Le prix d’équilibre du marché n’étant pas forcément le reflet d’une réalité économique d’ensemble, mais de résultats de spéculation, d’anticipation du prix futur, accentuant les tendances haussières ou baissières et amplifiant les variations de cours et se propageant entre secteurs et entre instruments financiers.
- de nouveaux produits ont vu le jour, toujours plus sophistiqués.
Citons quelques exemples :
- La multiplication des opérations de LBO à effet de levier (« Leveraged Buy Out»), visant à faire acheter sans recours (avec prise de risque très limitée) une entreprise par un fonds spéculatif, sponsor financier, en finançant le rachat de l’entreprise par un emprunt gagé sur les actifs de l’entreprise, puis offrir une perspective d’amélioration de la rentabilité par restructuration, délocalisation, changement du management, en vue de revendre l’entreprise en faisant une plus-value (d’où l’intérêt de viser un profit à court terme) ;
- Les nouveaux produits de titrisation (« securitization » en anglais), technique financière qui transforme des actifs peu liquides, c’est-à-dire pour lequel il n’y a pas véritablement de marché, en valeurs mobilières facilement négociables comme des obligations. Chaque investisseur acquiert en quelque sorte une fraction du portefeuille d’actifs « titrisés », sur la base des flux financiers futurs des actifs, qui garantissent le remboursement des obligations.
- Les CDS (Credit Default Swaps ), permettant d’acheter et de vendre du risque sur un acteur, une entreprise, ou un ensemble d’entreprises.
- de nouvelles normes comptables ont été imposées :
pour favoriser une autorégulation des marchés financiers et du système bancaire, l’efficacité et la stabilité de la profession repose sur des codes de bonne gouvernance (compliance) et des normes comptables internationales inspirées des normes américaines (IFRS), des normes d’évaluation des risques (Bâle2). Ces normes ont généralisé le « mark-to » model : elles visent à valoriser les actifs et les passifs des institutions financières au prix de marché, ce qui a renforcé la volatilité de leurs comptes, la sensibilité aux paramètres qui sont utilisés par ces modèles (cours, ratings, probabilités de variation de cours ou de défaillance de clients,…), leur dépendance à l’égard des analystes financiers, des agences de ratings, des « scoops », ...
Avant 2005, les banques comptabilisaient des actifs à leur cours historiques, respectant des règles de provisionnement en cas de moins values latentes, alors qu’à partir de 2005, avec la nouvelle norme IFRS, tous actif négociable doit être valorisé au bilan et même hors bilan au cours du marché.
Ainsi, lorsqu’il n’ y a plus de marché où qu’il est bloqué et que les prix s’effondrent anormalement, de façon temporaire ou sous l’effet d’une spéculation, le bilan de la banque peut s’en trouver très affecté, nécessitant un besoin de liquidité pour couvrir la perte (temporaire ou supposée) mesurée à l’instant T. Or, le marché étant moutonnier, la moindre rumeur de problème de liquidité est interprétée comme un potentiel problème de solvabilité (risque de ne pas pouvoir honorer le remboursement de ses dettes) …
Les normes comptables alignées sur le « mark-to » model, tout en valeur de marché (IFRS pour la compta, Bâle2 pour les risques,...) ont tendance à donner une grande volatilité aux résultats des banques, des entreprises, et à privilégier le court terme au détriment du long terme, de l’investissement durable. Cette méthode est logique dans la théorie, si la valeur potentielle est réalisable (mais ce qui est douteux s’il n’y a plus de marché, plus de liquidité, donc plus de prix de marché réaliste pour les actifs à valoriser) et à condition que le prix de marché reflète la réalité. Autrement dit, la méthode de valorisation comptables des actifs (et des passifs) des banques est contestable, privilégiant une situation instantanée et la référence à des paramètres sous-jacents qui peuvent être erronés ou contestables, à une vision pérenne et stable, reflétant l’activité réelle de la banque.
2- L’illusion du prix de marché
A force de prôner les vertus de l’économie libérale, de l’autorégulation des acteurs, de la fameuse « main invisible » d’Adam Smith qui au travers du marché parfait apporte prospérité et croissance, on a oublié que les marchés étaient en fait imparfaits, la concurrence faussée, et que l’illusion dominait la réalité. Que les prix de marché pouvaient sérieusement s’écarter des « fondamentaux », des valeurs économiques de la vie réelle. Ainsi, pendant de nombreuses années, la bourse enregistrait des taux de rendements bien supérieurs au taux de croissance des économies, ce qui était anormal. On croyait à une augmentation de valeur alors qu’elle était illusoire, autrement dit c’était de la « fausse monnaie ». Le prix de marché ne représente pas le prix réel d’un bien, d’une entreprise, mais la valeur espérée compte tenu de la valeur future anticipée et de la tension entre l’offre et la demande du bien, de sa liquidité instantanée. Le prix de marché, attisé par la spéculation, un déséquilibre momentané entre l’offre et la demande, un alignement sur un prix « marginal » de l’offre ou de la demande excédentaire, fait que la valeur de bourse, de marché, peut dériver de la réalité.
3- Le contexte : un défaut de régulation et de surveillance
On réalise a posteriori le défaut de surveillance et de régulation, qui aurait permis de réagir plus tôt au phénomène. :- même si les banques sont soumises à un strict contrôle, les entreprises d’investissement, fonds d’investissement, Hedge funds, qui sont de gros investisseurs ne le sont pas.
- les agences de notations, garantes de l’évaluation des risques des acteurs financiers, ne sont pas non plus soumises au contrôle. Or elles se sont trompées, ont coté AAA (sans risques) des fonds basés sur les crédits dits « subprimes », sans prendre la mesure du risque sous-jacent, donnant ainsi blanc seing aux établissements qui désiraient acquérir ces fonds.
- certains avaient alerté sur la dérive du marché immobilier américain, spéculant sur un marché haussier, et les banques, incitées par le gouvernement à distribuer des prêts ont accepté de prêter à des gens ayant des capacités limites de remboursement, car elles bénéficiait d’une caution sur un bien dont la valeur augmentait … On pressentait le danger et d’aucuns avaient donné des alertes.
4- la cause première de la crise financière a été la bulle immobilière,
entretenue par les créances hypothécaires valorisées au prix de marché, permettant aux particuliers propriétaires d'emprunter de plus en plus, y compris en crédits à la consommation, au fur et à mesure que le prix de l'immobilier montait, servant de garantie à leurs emprunts. Quand ils n'ont plus fait face aux remboursements et que les banques ont voulu effectivement faire jouer l'hypothèque et revendre les biens, en masse, faisant baisser les prix, la bulle a éclaté. Ces crédits ne valaient plus la valeur que l’ont croyait car la probabilité de remboursement s’était dégradée et le prix de l’immobilier sur lequel ils étaient gagés, avait chuté.
Or, comme expliqué précédemment, ces crédits ont été « titrisés », transformés en titres vendus à des fonds, à des compagnies d’assurances, à des acteurs non seulement américains, mais aussi étrangers, européens, à des taux de rendements attractifs et très bien notés par des agences de notations. Ces actifs ont été enregistrés et valorisés à leur prix de marché. Lorsque le prix de marché s’est effondré et que les notations ont été revues à la baisse, le phénomène de contagion s’est enclenché.
5- L’impact sur les fonds propres, la liquidité et la solvalibité des banques.
Dès lors que les bilans et les résultats des banques s’en trouvèrent impactés, au travers des règles de valorisation comptables que nous avons expliquées, les banques, soumises aux contraintes de ratios de solvabilité, c'est-à-dire à la nécessité de mettre en face d’engagements plus risqués et de pertes potentielles croissantes, un niveau de fonds propres minimum, se sont vite retrouvées en manque de fonds propres, d’où la nécessité de lever des fonds chez leurs actionnaires ou en bourse, par augmentation de capital.
6- La crise de confiance
Les rumeurs attisées par l’annonce des pertes, des risques potentiels portés par les banques, ont entraîné une défiance générale entre banques. Alors qu’en temps normal les banques prêteuses et emprunteuses s’échangent des prêts interbancaires pour équilibrer leurs positions, les banques prêteuses n’osent plus prêter, si ce n’est à la banque centrale. La banque centrale, la Banque de France, et même la BCE, se sont mises à être le pivot central entre les banques prêteuses et emprunteuses.
L’incertitude sur les marchés augmente l’impression du risque par rapport au risque réel et accentue donc le problème de liquidité et la chute des cours. Comme on ne sait pas exactement dans quelle mesure les banques sont exposées aux subprimes au travers des fonds dans lesquels elles ont investi, et qu’on ne sait pas non plus quelle est vraiment la valeur de ces subprimes, le marché imagine le pire …, les cours reflètent cette angoisse, cette incertitude, amplifiant les mesures de risque et donc les fonds propres à allouer en face de ces risques. Ces produits ont intoxiqué le marché tels des métastases cancéreuses.
C’est pourquoi le plan Paulson propose de cantonner tous les actifs de bases subprimes dans une structure dédiée, dite de défaisance (comme le CDR du Crédit Lyonnais, garanti lui-même par l’Etat au travers du contrôle de l’EPFR) en garantissant leur valeur à la base, afin que le doute tombe et que leur valeur puisse être garantie en aval au sein des actifs portés par les acteurs détenteurs directs ou indirects de ces produits. Même si ce plan paraît injuste en faisant payer au contribuable les frais d’un système incendiaire dont certains avaient bénéficié sans se trouver ensuite appelé à payer, c’est vraisemblablement le moyen de contenir au mieux une catastrophe pour l’économie, donc pour tous les contribuables sollicités …
Bien sûr on pourrait penser à un impôt taxant les classes aisées et notamment celles qui avaient bénéficié des bonus des marchés financiers, des cours de bourse passés. De même il faudrait également penser à tous ces ménages entraînés dans le surendettement des subprimes par les banques, en trouvant des solutions pour reprendre leur dette par exemple. Ce serait mieux compris car plus juste.
7- de la crise financière à la crise économique
Le resserrement des fonds propres et des liquidités des banques oblige ces dernières à prioriser sélectivement l’affectation de leurs fonds propres désormais devenus rares et chers aux activités les plus rentables et les moins risquées. L’enveloppe allouée au financement des entreprises et des particuliers baisse, impliquant un resserrement du crédit.
C’est par cet effet contagion que la crise va se répercuter sur les entreprises et les ménages. Moins de crédit, et crédit plus cher !
CONCLUSION
La main invisible est devenue violente et a donné une grande gifle.
Le particulier et l’épargnant ne doivent pas paniquer ni s’affoler.
Il est vrai que nous sommes entrés dans une période de crise, voire de récession, qu’il faut s’attendre à une stagnation, voire une récession, une hausse du chômage, une baisse du pouvoir d’achat. Disons la vérité.
Les dépôts dans les banques françaises font déjà l’objet de garanties par la loi et sont protégés en cas de faillite des banques. Retirer massivement et brutalement ses dépôts ne ferait qu’accélérer les problèmes de liquidité et de solvabilité des banques.
Dans un contexte d’incertitude boursière, il faut privilégier le livret A, les dépôts à terme rémunérés, à taux de plus en plus attractifs et préservant l’épargne à court terme tout en assurant une liquidité.
Les plus audacieux profiteront de la crise et des cours qui ont chuté sur des établissements donc la valeur réelle, économique, est bien supérieure au cours du marché, pour acheter et envisager des profits futurs, ce qui en même temps contribuera à soutenir ces établissements.
Parler de l’éventualité de l’équivalent d’un plan Paulson à l’échelon européen n’a pas vraiment de sens. Les actifs dits « toxiques » d’origine ont été créés aux Etats-Unis et le plan Paulson s’applique directement à ces actifs à cantonner. Agir à la racine au travers de ce plan permettra de rétablir la confiance entre établissements bancaires en Europe de manière à enrayer la crise de liquidité et donc de solvabilité, évaluer moins de risque dans les bilans, donc requérir moins de fonds propres couvrant ces risques, donc redonner de l’oxygène à l’économie au travers des crédits aux entreprises et aux particuliers.
L’intérêt d’un plan européen pour faire face à la crise consiste plutôt à :
- fournir de la liquidité banque centrale à taux bas aux système bancaire pour résoudre le problème de liquidité,
- créer un fonds commun européen pour prendre des parts dans les banques et entreprises qui, en situation temporaire d’insolvabilité pour cause de liquidité, ont un besoin urgent de fonds propres,
- mettre en place un système d’aides aux entreprises, de cautions permettant aux banques de débloquer des prêts à l’économie à moindre risque, éventuellement garanti par ce fonds européen,
- mettre en place un régulateur européen.
Et si la crise permettait une refondation salutaire de l’Union Européenne ?