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Au coeur de la crise financière

Il est devenu un lieu commun que de condamner vertueusement les dérapages du système financier. Cette facilité, je me la refuse, pour une raison simple : j'estime que la posture morale consistant à dénoncer les vilains financiers ne rend pas compte de la nature profonde de la crise.

A mon sens, ce qu'il est intéressant d'analyser, ce sont les processus d'interprétation et d'anticipation qui ont conduit à cette crise. Pourquoi, par exemple, pour les subprimes, plusieurs acteurs importants du secteur financier ont continué à titriser des créances dont ils ne pouvaient ignorer la fragilité, et comment ont-ils raisonné pour supposer qu'un titre ou un montage juridico-financier qui intégrait des superpositions aussi complexes étaient solides ? Pourquoi les agences de notation se sont-elles montré si imprudentes en validant la fiabilité de produits dont elles ignoraient le contenu intrinsèques ?

Erreurs humaines ? Je ne suis pas expert en finance comportementale, mais il me semble qu'il y a sur ce terrain bien peu exploré des recherches à effectuer pour trouver des éléments de réponse.

A côté de cela, il y a aussi la complexité propre des montages : on a pu se demander çà et là pourquoi les banques ne disposaient pas de cabinets d'experts pour estimer elles-mêmes les risques des produits financiers qu'elles achetaient, voire, qu'elles produisaient.

Ce que le grand public ne se représente pas, c'est le degré d'élaboration de ces montages : on estime les risques qu'ils comportent en les "stressant" (imaginant leur comportement dans les conditions les plus extrêmes du marché), via des programmes informatiques très complexes. Sauf que : encore faut-il que les développeurs qui réalisent sur commande ces programmes sophistiqués aient la culture juridique et financière pour bien saisir les tenants et les aboutissants de ce qu'ils font. En fait, au bout d'un moment, en dehors de quelques polytechniciens particulièrement brillants, les petites mains des banques, fussent-elles haut placées, ne contrôlent plus précisément ce qu'elles font. Elles en ont une idée approximative, mais suivent, in fine, une procédure. A force d'entremêler les noeuds, il devient difficile de retrouver la manière dont ils ont procédé, et la créature finit par leur échapper.

Il y a donc un aspect interne, pas simple, parce que lié à la nature éminemment complexe de la finance. Et d'une certaine manière, c'est là ma réponse à ce qu'écrit Alcibiade ce matin, et notamment ceci :

« Se "couvrir" d'un risque clairement énoncé, en effet n'est pas condamnable, comme le mentionnait Olivier. Mais depuis des années, l'imbrication toujours plus complexe ne visait plus cela. Il s'agissait de "planquer ses fesses" ou plus clairement de maquiller une valeur mobilière qu'on savait pourrie dans une nouvelle entité suffisamment obscure pour qu'aucun acquéreur ne soupçonne l'embrouille.»

Il y a donc cet aspect au coeur de la conception d'un certain nombre de produits dérivés, notamment lorsqu'il y a  mélange de créances de toutes sortes, et que le degré de risque est le fruit d'un ratio entre les plus risquées et les plus sûres, ratio calculé au prix de formules mathématiques très techniques et de simulations informatiques très pointues.

L'autre aspect qui m'intéresse, c'est ce que l'école autrichienne, et particulièrement Kizner, Menger ou Mises, appeleraient "l'ignorance". Quel est le processus d'erreur qui produit une ignorance d'une nature telle que de très grands acteurs du système financier se trompent (on pourrait dire, notez, selon Mises et Kizner, ouvrent aussi des opportunités à d'autres...)

L'école autrichienne a ouvert la voie en introduisant la psychologie dans l'économie, et, très probablement, la finance comportementale est un avatar de cette démarche. J'ai commencé le livre de Thierry Aimar sur les apports de l'école autrichienne en économie en janvier dernier, mais, comme parallèlement, j'ai lu d'autres ouvrages, je le lis lentement. L'inconvénient, c'est que je ne suis pas un expert en économie, et que l'ouvrage de Thierry Aimar est davantage un pensum pour étudiants déjà maîtres en leur art qu'un livre d'économie autrichienne pour les nuls. Passer d'un chapitre à l'autre suppose donc une bonne maîtrise conceptuelle du chapitre précédent.

La grande affaire de l'école autrichienne, c'est le modèle praxéologique. Or, ce modèle débouche naturellement sur la notion de catallaxie. La catallaxie, c'est la science des échanges : comment se forment et se déterminent les rapports d'échange sur les marchés. Or, sur ce point, je m'intéresse beaucoup à l'image que Hayek emploie : Il se représente l'esprit classant les phénomènes physiques selon les stimulis qu'ils provoquent, puis les met en relation. Voici ce que j'écrivais le 12 janvier dernier :

« Or, un certain nombre de ces relations sont communes au sein d'un groupe social donné, jusqu'à être transmises inconsciemment. On peut donc parler d'une sorte d'inconscient collectif qui à des degrés divers donne à l'individu un modèle de carte, un peu comme une sorte de carte de navigation, ou même peut-être simplement de boussole. En somme, nous nous déplaçons tous sur la même carte, mais pas nécessairement par le même chemin. Ce qui n'exclut pas les goulots d'engorgement : s'il n'y a qu'un détroit pour passer d'un océan à un autre, tout le monde passera par le détroit...[...]

Cette carte est réorganisée donc en permanence sous l'effet d'un processus d'essais et d'erreurs. L'esprit opère en permanence des suppositions, quitte à recomposer la structure de sa classification.

La grille de classification semble partagée, similaire, mais seulement dans le sens où une partie des facteurs est commune aux individus. Il y a un communautarisme culturel qui exprime ainsi l'appartenance des acteurs à un même horizon spatio-temporel. Comme ils partagent un même environnement cognitif, une partie de leurs représentations individuelles trouve une origine sociale.

Hayek applique ces raisonnements à la sphère économique : actions et significations similairesau sein des individus forment des idéaux-types. Des idéaux-types ne sont pas des structures objectives, pas non plus des structures subjectives, mais, des structures subjectives partagées, c'est à dire inter-subjectives. En somme, un schéma de référence, accessible à chaque individu par son héritage social, et relevant d'une grille d'interprétation commune. »

Je manque, hélas, de connaissances suffisamment avancées et d'expérience pour tenter de m'aventurer sur ce chemin, mais ce que j'aimerais bien déterminer, c'est la manière dont la carte se reconstitue à l'heure actuelle, et pourquoi les grands acteurs du marché ont été nombreux à prendre le même chemin, au risque d'un goulot d'engorgement. Ce que j'aimerais comprendre, c'est le processus d'essais et d'erreurs qui a donné naissance à cette crise... Cela fera peut-être l'objet d'un autre billet, si je parviens à y réfléchir suffisamment. Nulle doute, en tout cas, qu'une telle étude entrerait dans le domaine de la finance comportementale (du temps où je suivais le forum d'économie de Usenet-fr, fr.soc.economie, l'auteur des pages que je mets en lien le fréquentait ; mais cela remonte à plusieurs années, et je ne sais pas s'il y est encore), pour laquelle les experts sont forts rares et les écrits peu connus.

Commentaires

  • Peut-être qu'en comprenant ce qu'il s'est passé avec "la carte" cela éviterait de recommencer?
    J'avoue être incapable de réfléchir et comprendre un tel niveau de complexité.

  • Tout cela est fort intéressant... et fort inquétant, car cela conforte l'idée émise déjà y compris par certains économistes : la crise est la conséquence directe de vente de "papiers pourris" dont ni les vendeurs ni les acheteurs n'étaient à même de savoir de quoi il s'agissait.

    Mais au delà, méfiance. Il est un peu facile de crier au loup et d'accuser les acteurs des marchés financiers de tous les maux actuels. Jusqu'à preuve du contraire, tous (banques américaines comme européennes, fonds de placement divers et variés, agences de notation, etc...) ont agi dans le respect des lois en vigueur dans les états concernés.

    Ce qui est en question - mais pour y apporter une réponse je doute fort de notre personnel politique - c'est d'abord et avant tout les systèmes de régulation. La régulation est précisément là pour prévenir les turpitudes bancaires.

    J'étais il y a 3 jours à une réunion animée par Jean Peyrelevade, qui nous a livré son analyse. Pour résumer très rapidement :

    1) Il existe aux USA un système de régulation optimisable mais globalement plutôt efficace. A un détail près, mais de taille : n'y sont soumis que les banques de dépôt ou de prêt, mais nullement les banques d'affaires et Hedge Founds. Bref, la règle ne s'applique qu'aux "petits" acteurs, mais pas aux gros. Etonnant !

    2) Il existe en Europe, non pas un système de régulation...mais 27. Et à ce jour, aucun des 27 états n'est prêt à accepter qu'une instance de régulation trans-nationale soit mise en place au sein de l'Europe.

    3) Donc, tant que les USA n'appliqueront pas la régulation à l'ensemble de leur système, et tant que l'Europe refusera d'avoir une régulation unique et en mesure de travailler avec les USA... de telles crises ne pourront que se répéter. Pas rassurant, donc.

    Bref, pour conclure, avant d'être un problème de marché ou plutôt de tarissement subite des liquidités sur les marchés, nous sommes devant un problème politique de première importance. Or, aujourd'hui, de part et d'autre de l'Atlantique, on semble surtout s'attacher à colmater les fuites à base de rustines, sans s'interroger sur les règles qui ont permis les fuites. L'agitation actuelle de Sarkozy, malheureusement, va dans ce sens.

  • Bonjour Hérétique,

    ben, je n'ai pas tout compris ni même tout lu. Mais j'ai un élément de réponse tout simple à la dernière question "pourquoi les grands acteurs du marché ont été nombreux à prendre le même chemin, au risque d'un goulot d'engorgement."

    Ben, c'est tout simple. Parce qu'un titre sur le marché financier, n'a de valeur QUE celle que lui reconnaît le marché. Si vous achetez quelque chose en prévoyant de le revendre, vous devez l'acheter non selon vos critères, mais à la valeur que lui donne le marché (plus exactement selon l'anticipation qu'on a de sa valeur future sur le marché, mais c'est à peu près pareil sauf délit d'initié).

    Nous avons, avec un collègue, fait une offre de conseil aux investisseurs financiers, pour leur donner les moyens de détecter certains éléments de valeur que le marché ne prend pas actuellement en compte. Bide : nous avons appris que si le marche ne prend pas certains éléments en compte, l'investisseur n'a pas intérêt à les prendre en compte (puisqu'ils sont in-revendables).

    L'exception, c'est l'investisseur qui achète pour le long terme, en fonction non de la valeur de revente, mais de son estimation des bénéfices futurs : le fameux Warren Buffett.

  • C'est vrai que c'est compliqué et je n'ai pas tout lu. Demain promis ...

    Je trouve que Bertrand a évidemment raison,
    il faut des arbitrages réels et complets au départ et en cours.

    Et bien sûr la Finance est une chose trop
    sérieuse pour n'être confié qu'à des financiers, les états (ou l'Europe par exemple) jouent plus ou moins
    bien leur rôle de fixeur de règles de
    l'économie et d'arbitre et quand ça foire
    c'est aussi du fait qu'ils ont été
    nuls (par dépendance outrancière avec
    les hommes d'affaires ou en fermant les
    yeux sur des tricheries caractérisées).

    Dans le fond pour les pays pauvres, nous riches sommes bien aise de dénoncer la
    corruption qui empêche leur développement.

    Hé bien peut-être sommes nous victimes
    de corruption indirecte (bien que ce ne soit pas la seule cause).

  • @Luc,
    Le commentaire de Bertrand m'était suffisant.

  • @Champomy
    Hé bien je ne le renie pas, mon commentaire !!

    Il est outrancier, malhabile, mais quelle pudeur en ce moment pour bien séparer le financier et le politique !!

    Il est pourtant bien évident que le fait
    que les politiques considérant comme
    une victoire d'avoir beaucoup d'argent
    sans trop y regarder aux moyens, à l'étalissement des règles et au respect
    des règles n'ont pas favorisé la sérénité
    financière.

    Alors dites que ce n'est pas le moment
    d'en parler, d'accord, dites que c'est
    "suffisant" parce qu'effectivement ce
    n'est pas le moment de jeter de l'huile le feu d'accord. Mais faites SVP l'effort
    de préciser quand c'est suffisant POURQUOI
    c'est suffisant. Sinon c'est vous qui serait "Suffisante".

    D'abord avez vous répondu à ma question
    sur le Demi-mot du chinois ?

    Ne m'en voulez pas, mais je m'en fiche, je défends tout ce que j'écris.

    Je veux bien être malhabile mais je ne
    veux pas être de trop !!

  • @Luc,
    Pourquoi de trop?
    Allons Luc, vous ignorez mon vécu et beaucoup de moi...Vous ignorez aussi que j'ai un proche de ma famille très malade, ce dont je n'ai jamais fait état quand bien meme il en retourne depuis ce printemps, ni des pressions diverses et variées, ce soir je suis fatiguée, siii fatiguée...

  • @Champomy
    Vous voyez bien que je suis de trop,
    puiqu'il faut vous laisser avec vos pressions.votre fatigue et votre chagrin.
    Je ne trouve que des phrases communes
    comme "Tout le monde connait cela".
    Allez, je ne veux surtout plus vous troubler.
    Dieu finit toujours par donner de la force aux enfants rebelles.

  • @Luc,
    Je viens de vous relire à tete reposée, me feriez-vous une querelle d'amoureux???!!!
    Car vous avez parfaitement compris... Pour le Chinois il n'y a pas d'autre moitié.
    Je ne vous en veux pas, vous savez parfaitement que je ne fonctionne pas ainsi, aussi rassurez-vous, ni malhabile ni de trop.

  • @Champomy

    Décidément une blonde comme vous ...

    Je ne comprends pas la moitié de
    ce que vous (me) racontez .....!!

    Tant pis, aprés tout il reste l'autre moitié,
    ce peut être génial ..!!??

  • @Champomy

    Croyez le ou non,
    mais en réalité il n'y a pas du tout de second degré dans mon commentaire précédent.

  • Cher Hérétique,

    Cette idée d'ideaux-type est à creuser en effet. Néanmoins, elle n'a d'intérêt que pour la fraction de causes de la crise actuelle ressortissant de l'erreur, de la pratique erronée.

    Nous avons malheureusement la sensation que dans la majorité des cas, il ne s'agissait pas d'une simple erreur de jugement. Mais d'une attitude délibérée, consciente. C'est sur cette dernière appréciation seulement que nos avis divergent des vôtres.

    Claudio pirrone a lui une explication qui tient à la nature quantique de la finance :


    http://lafrancedetoutesnosforces.hautetfort.com/archive/2008/10/03/crise-financiere-lorsqu-on-vous-parle-de-couverture-de-risqu.html#c4258303

    Pas stupide du tout!...

    à suivre...

  • Nota :

    Nous venons de terminer notre suite de billets sur Crise Financière. Merci l'hérétique, c'est un peu vous qui avez été notre détonateur!

    http://lafrancedetoutesnosforces.hautetfort.com/archive/2008/10/03/finance-faites-vos-jeux-rien-ne-va-plus.html

  • Bonne soirée Luc!!

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