Voici mon quatrième compte-rendu du livre de Thierry Aimar, les apports de l'école autrichienne d'économie.
La difficulté d'Hayek, je l'ai dit la dernière fois, c'est d'expliquer comment le marché peut se former alors que la connaissance ne se concentre pas dans un seul esprit mais se disperse au contraire dans des millions de cerveaux.
Pour résoudre cette équation apparemment impossible, Hayek a fait appel à la psychologie. On a vu que Mises avait établi que l'esprit était dotée de catégories mentales, et que c'est à partir de ces dernières que l'individu établissait a priori une théorie, puisque ces catégories mentales étaient présentes en chacun d'entre nous. On a vu également que c'est par tatônnements réciproques que les acteurs du marché, en se confrontant les uns aux autres établissaient une cartographie des valeurs d'échange.
L'observation ingénieuse de Hayek est la suivante : en réalité, quand l'esprit classe les phénomènes physiques, ce ne sont pas les phénomènes à proprement parler qui sont classés, mais les stimuli qu'ils produisent au sein du système nerveux. Ce qui signifie que nous ne percevons jamais directement le monde, mais toujours un univers intermédiaire qui est celui de la classification des stimuli nerveux que nous transmettent nos perceptions sensoriels.
Hayek parle d'ordre sensoriel. L'ordre sensoriel est ainsi la parfaire reproduction du réseau de connexions de fibres nerveuses constitué par notre système nerveux.
Mais, de ce fait, si les impulsions nerveuses sont classées selon les évènements mentaux qu'elles produisent, d'où nous viennent les qualités et les propriétés que nous leur attribuons ?
Ces connexions, on l'a dit, répliquent non le monde physique, mais les relations au sein du monde physique. Or, un certain nombre de ces relations sont communes au sein d'un groupe social donné, jusqu'à être transmises inconsciemment. On peut donc parler d'une sorte d'inconscient collectif qui à des degrés divers donne à l'individu un modèle de carte, un peu comme une sorte de carte de navigation, ou même peut-être simplement de boussole. En somme, nous nous déplaçons tous sur la même carte, mais pas nécessairement par le même chemin. Ce qui n'exclut pas les goulots d'engorgement : s'il n'y a qu'un détroit pour passer d'un océan à un autre, tout le monde passera par le détroit...
Je précise que cette image n'est pas celle de Thierry Aimar, mais c'est celle que j'ai choisie pour éclairer la pensée de Hayek telle qu'il l'expose.
Cette carte est réorganisée donc en permanence sous l'effet d'un processus d'essais et d'erreurs. L'esprit opère en permanence des suppositions, quitte à recomposer la structure de sa classification.
La grille de classification semble partagée, similaire, mais seulement dans le sens où une partie des facteurs est commune aux individus. Il y a un communautarisme culturel qui exprime ainsi l'appartenance des acteurs à un même horizon spatio-temporel. Comme ils partagent un même environnement cognitif, une partie de leurs représentations individuelles trouve une origine sociale.
Hayek applique ces raisonnements à la sphère économique : actions et significations similairesau sein des individus forment des idéaux-types. Des idéaux-types ne sont pas des structures objectives, pas non plus des structures subjectives, mais, des structures subjectives partagées, c'est à dire inter-subjectives. En somme, un schéma de référence, accessible à chaque individu par son héritage social, et relevant d'une grille d'interprétation commune.
Chaque acteur peut donc, à travers une série de signaux abstraits acquérir des informations sur les classes d'individus sans pour autant être directement en contact avec eux.