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Schumpeter

  • Internet, un bistro ?

    Dans son dernier billet, Bruno Roger-Petit s'émeut de la fermeture annoncée du blog de Jean-François Kahn et déplore la fin des bistrots que l'Internet moderne n'a jamais remplacé. Comparant l'ancienne et la nouvelle institution, il conspue les tombereaux de haine que charrie la seconde, toute de noir et de blanc. Bruno Roger-Petit fait à mon avis une première erreur : c'est le public spécifique des commentateurs de blogues politiques, littéraires ou encore économiques qu'il vise en priorité. Or, ce public-là n'est pas représentatif de la population des bistrots, ni de ceux d'aujourd'hui, ni de ceux d'hier. Il y a un expert des bistros sur la blogosphère, mais c'est un OVNI.

    La population qui peuple les fils de commentaires de la Toile, sur les blogues, la presse officielle ou ailleurs est avant tout symptomatique des intellectuels que Schumpeter décrit dans son atmosphère sociale et intellectuelle du capitalisme.

    « Les intellectuels sont effectivement des gens qui manient le verbe écrit ou parlé et qui se différencient des autres écrivains ou orateurs par le fait qu'ils n'assu ment aucune responsabilité directe en ce qui concerne les affaires pratiques. Cette dernière caractéristique en explique une autre : l'intellectuel, en général, ne possède aucune des connaissances de première main que fournit seule l'expérience. Une troisiè me caractéristique consiste dans l'attitude critique de l'intellectuel, déterminée à la fois par sa position d'observateur - et même, dans la plupart des cas, de profane (outsider) - et par le fait que sa meilleure chance de s'imposer tient aux embarras qu'il suscite ou pourrait susciter. Profession de l'individu sans profession? Dilettantisme professionnel? Gens qui parlent de tout parce qu'ils ne comprennent rien?  »

    Mais alors ? Si nombreux sur la Toile ces intellectuels ( généralement de second plan, au demeurant) ?

    Schumpeter a l'explication une fois de plus :

    La surproduction des intellectuels peut créer des incapacités de travail d'un type particulièrement déconcertant.L'homme qui a fréquenté un lycée ou une université devient facilement psychiquement inemployable dans des occupations manuelles sans être devenu pour autant employable, par exemple, dans les professions
    libérales
    . [...].
    Par ailleurs,
    tous ces bacheliers et licenciés, en chômage ou mal employés ou inemployables, sont refoulés vers les métiers dont les exigences sont moins précises ou dans lesquels comptent surtout des aptitudes et des talents d'un ordre différent. Ils gonflent les rangs des intellectuels, au strict sens du terme, c'est-à-dire ceux sans attaches professionnelles, dont le nombre, par suite, s’accroît démesurément. Ils entrent dans cette armée avec une mentalité foncièrement insatisfaite.

    Parierons-nous que ce sont eux que nous retrouvons sur la Toile ? Il faut terminer de lire le billet d'origine, et, idéalement, consulter Capitalisme, Socialisme et Démocratie (chapitre XIII, 2) pour achever le raisonnement et bien comprendre quelles relations ces individus entretiennent avec le capitalisme, au demeurant.

    Pour revenir à Bruno Roger-Petit, ne ratons toutefois pas une occasion de l'égratigner : pour quelqu'un qui se plaint de cet univers électronique bicolore, j'ai souvenir d'avoir lu une association de la ligne éditoriale de Marianne au Vichysme simplement parce que le magazine s'interrogeait sur la manière dont la France pouvait gérer son immigration et avait repris entre autres l'un de mes billets sur le permis à points et l'immigration.

    Je l'ai dit quand j'ai évoqué Jessi, Internet est une formidable caisse de résonance. Après, les échos qui se démultiplient n'ont pas forcément l'heur ni l'amabilité de le faire de manière cohérente. On ne peut pas bloguer si l'on n'est pas capable de supporter le vacarme, corrélat immédiat du succès d'estime. Le vacarme est d'autant plus fort que personne ne peut vraiment dire chut à quelqu'un qui éructe dans un commentaire ou un billet (je ne me prive d'ailleurs pas moi-même d'éructer de temps à autre...).

    Évidemment, un bistro, c'est bien pratique : on peut jouer à l'anthropologue et quitter les lieux très content de soi, avec le sentiment de plénitude que donne la certitude d'être christiquement descendu parmi le populo. Sur Internet, il en va autrement : on est aux prises avec son semblable, et il n'existe rien tant de plus insupportable pour un intellectuel qu'un autre intellectuel...

    In fine, ce n'est pas la France que révèle Internet, contrairement à ce que titre Bruno Roger-Petit, mais son lumpen-intellectuariat ! En outre, je ne crois pas que «finissent par s'imposer, comme dans la vie publique, les «dynamiteurs, pollueurs, obsédés et allumés».

    Regardons les divers classements de blogues çà et là, si je veux bien admettre qu'il y a quelques excités, mais dans l'ensemble, ce sont surtout des gens raisonnables et pondérés qui battent le haut du pavé.

  • Mais si François, il a raison, Schumpeter !

    J'ai lu les voeux à la presse de François Bayrou, et je suis tombé sur cet intéressant passage :

    La vieille loi de l’économie, la loi schumpétérienne de la destruction créatrice, je suis désolé de le dire aux économistes que je lis et respecte, cette loi ne marche plus. On nous disait : « Laissez partir sans regret les entreprises de main d’œuvre. Concentrez vous sur l’innovation, les nouveaux produits et les nouveaux services. Vous créerez plus de valeur ajoutée, vous gagnerez plus de nouveaux emplois que ceux que vous perdrez. », choisissez le haut de gamme contre le bas de gamme et ce sera un avenir heureux, nous disait-on. Peut-on le dire sans ruser ? En France, en tout cas, cela ne marche plus.

    Mais François, l'analyse de Schumpeter, ce n'est pas un remède, c'est juste un constat. Et justement, ce qu'il analyse se produit précisément en France : c'est faute d'innovation, d'une véritable révolution industrielle que les emplois se barrent ailleurs pour les secteurs vieillissant. Il faut changer de logiciel, comme le dit à juste titre parfois Corine Lepage. Je ne dis pas que son logiciel est exactement celui que je prendrais, mais elle a raison sur le principe.

    Nous vivons l'ouragan capitaliste, qui redistribue les cartes, à l'heure actuelle : simplement, pour l'instant, nous avons hissé les voiles en grande partie à contre-vent, et, nous risquons à tout moment d'être balayés.

    Cela dit, tu poses très bien le problème de l'industrie en France :

    La question qui se pose alors est celle de la dérive continue, de la véritable hémorragie, qui déplace notre outil industriel, nos unités de production et finalement nos emplois. Et il n’est pas vrai que ces emplois seront remplacés par d’autres si l’outil industriel est parti. Cela n’est pas vrai.

    Tout comme toi, je pense qu'il convient de mener une véritable politique de relocalisation, mais, en même temps, je ne sais pas si la solution est envisagée en de bons termes.

    Cette politique de relocalisation, elle doit être globale. Nous devons mettre l’Europe devant ses responsabilités dans la guerre des monnaies, banque centrale aussi bien que responsables politiques de l’Union. Ça, c’est l’Europe. Les questions environnementales, elles doivent être traitées au niveau de l’union. Mais beaucoup dépend de nous, Français : nous avons perdu des pans entiers de production, des secteurs industriels entiers qui ont déserté notre pays. Pourtant nous savons produire des avions qui sont les meilleurs du monde, des logiciels, de l’agro-alimentaire, de la chimie. Il n’y a aucune raison que notre nation d’ingénieurs se résigne. Nous croyons à la reconquête de secteurs entiers, grâce à l’automatisation, à la qualité des techniciens, à la proximité, aux process de production numérique, par exemple. Mais cela ne se fera pas tout seul. Il faut que l’État dirige la manœuvre de reconquête. Non pas pour rester, mais pour initier, pour faire essaimer. Et notamment en concentrant l’aide sur les PME naissantes ou en développement. En leur facilitant la vie, en protégeant les jeunes pousses. En allant les chercher ailleurs s’il le faut pour les transplanter sur le sol français dans les secteurs où nous avons abandonné le savoir-faire, le « know how » comme on dit.

    Moi, je doute que nous puissions reconquérir les secteurs perdus, ou, du moins, pas sous la forme sous laquelle nous les avons connus. Mais nous pouvons peut-être en implanter de nouveaux, en revanche...

    Toi, François, tu penses, comme Corinne Lepage, que c'est l'État qui doit promouvoir cela ; je n'en suis pas convaincu. A mon sens, c'est plutôt comme facilitateur que je vois le rôle de l'État. Et je reviens à cet effet à mes premières amours économiques, je pense que c'est Christian Blanc qui avait raison avec ses clusters. Les pôles de compétivité demeurent, à mon avis, l'option à privilégier pour tenter de relancer la mécanique. Sauf que nous n'avons plus beaucoup de temps, désormais, pour reprendre la main ; il ne suffira pas de laisser s'implanter des sociétés, des startup, des SSII et compagnie dans des zones ad hoc : il va falloir vraiment passer à la vitesse supérieure pour leur créer un environnement favorable. C'est, j'en ai l'impression, sur ce point qu'il y a encore un gros travail à faire. Tu voulais faire de la France un pays pro-entreprise, eh bien il y a du boulot. En France, le seul point positif pour les entreprises, ce sont les infrastructures. Le reste...

  • Valls devrait lire l'hérétique

    Décidément, au parti socialiste, j'ai toujours trouvé qu'ils n'étaient pas au point avec l'économie capitaliste. Manuel Valls est persuadé que l'ouragan capitaliste de Schumpeter accouche d'une création destructrice. Mais non, Manuel, Régis Soubrouillard a raison : c'est une destruction créatrice, voyons ! C'est bien la peine d'avoir lu Capitalisme, Socialisme et Démocratie et d'en avoir rendu compte en plusieurs notes ici. Donc, petit rappel :

    L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entre­prises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me passe cette expression biologique - qui révolutionne incessamment  de l'intérieur la structure économique, en détruisant con­ti­nuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs. Ce processus de Destruction Créatrice constitue la donnée fondamentale du capita­lisme : c'est en elle que consiste, en dernière analyse, le capitalisme et toute entreprise capitaliste doit, bon gré mal gré, s'y adapter.

    En deuxième lieu, puisque nous avons affaire à un processus organique, l'analyse du fonctionnement d'un élément spécifique de l'organisme - par exemple, d'une entre­prise ou branche distincte - est, certes, susceptible d'élucider certaines particularités du mécanisme, mais non de conduire à des conclusions plus générales. Chaque mouvement de la stratégie des affaires ne prend son véritable sens que par rapport à ce processus et en le replaçant dans la situation d'ensemble engendrée par lui. Il im­por­te de reconnaître le rôle joué par un tel mouvement au sein de l'ouragan perpétuel de destruction créatrice - à défaut de quoi il deviendrait incompréhensible, tout com­me si l'on acceptait l'hypothèse d'un calme perpétuel.

    Et puisque Valls cite Schumpeter pour justiffier le rôle de la gauche et (horresco referens !) le blairisme comme modèle, je le renvoie à un autre de mes commentaires sur l'ouvrage de Schumpeter. Le seul fondament valable de toute économie sociale, c'est le capitalisme.

    Extrait de ma note d'alors :

    Schumpeter observe ainsi que contrairement à une idée reçue, en système capitalisme, les riches ne deviennent pas plus riches tandis que les pauvres deviennent plus pauvres. Certes, dans notre France du XXIème siècle, les écarts se sont accrus, mais, non parce que les pauvres sont devenus plus pauvres, mais parce que les riches le sont devenus en proportion plus vite que les pauvres. Les Marxistes, n'osant plus s'exprimer en valeur absolue, désormais, choissent des parts relatives pour tenter de démontrer l'immoralité des affreux capitalistes. La méthode a fait long feu, et les faits sont obstinés. Schumpeter avait raison,  et il n'est pas possible de se soustraire à l'implacable réalité ni de la tordre pour essayer de lui faire dire ce qu'elle ne peut dire.

    Il remarque également que les reflux réguliers de l'économie capitaliste correspondent simplement au renouvellement des structures industrielles et sont généralement suivis d'une avalanche de biens de consommation à bon  marché. Pour qui douterait de la pertinence actuelle de cette analyse, il suffit de considérer l'apparition de l'informatique au début des années 70 et ce qu'il s'est ensuivi.

    Il est de bon ton aujourd'hui de vouer aux gémonies le capitalisme. Nos sociétés repues de biens de consommation et de bien-être ne savent pas se montrer reconnaissantes envers leur bon serviteur. Les chiens mordent la main de leur maître. Ceci me fait penser à mai 68 : trop nourris, trop riches, trop bichonnés, il devenait possible de s'en prendre à la société de consommation. Ce sont les mêmes qui en ont profité plus que tout autre par la suite.

    Pour revenir à Valls, s'il croît que le blairisme est l'avenir du socialisme en France, alors on est vraiment mal barré. Je crois que le blairisme, c'est ce que je déteste le plus dans le socialisme.

    Je ne me reconnais pas du tout dans l'analyse qu'en donne Régis Soubrouillard :

    Tentant d’apporter un nouveau souffle à son parti, l’éléphanteau Valls n’a pas trouvé mieux que d'en appeler à Anthony Giddens, l’inspirateur du blairisme, la troisième voie, soit l’expérience gestionnaire la plus efficace du capitalisme. Cette gauche de l’adaptation, d’inspiration libérale qualifiée par le politologue Ernst Hillebrand de « centro-technocratisme »  qui va à l’encontre de tous les fondamentaux de l’identité historique de la gauche s'est pourtant révélée une impasse.

    Mais non voyons : ce n'est ni du libéralisme, ni du capitalisme. C'est une sorte d'assistanat adapté à l'économie de marché, mâtiné de discours et de pratiques réactionnaires (par exemple s'en prendre aux adolescentes qui sont enceintes). Blair, ce fut en Angletette le début de la politique du spectacle et du mensonge (chômage masqué, déficits galopants, alignement inconditionnel sur l'Amérique Bushiste, peopolisation). Je ne parle pas de son admiration pour Margaret Thatcher ni de ses contacts étroits avec le magnat de la presse le plus populiste du monde anglo-saxon, Robert Murdoch.

    Si c'est tout ce que la gauche peut proposer aujourd'hui, elle peut aller se rhabiller, ce n'est pas la peine...

  • Le MoDem, un espoir pour l'initiative privée

    Je le faisais quelques réflexions sur l'économie sociale de marché, que je comparais avec l'économie socialiste (non-marxiste, mais celle de nos socialistes à nous). Il y a sur le fond, une différence fondamentale entre les socialistes et nous, même les sociaux-démocrates : les socialistes se défieront toujours de l'initiative privée. Certes, les plus réalistes d'entre eux, en admettent la nécessité, mais ils n'en voient pas les bienfaits, et la considèrent comme une fatalité qu'il faut réguler et encadrer autant que faire se peut.

    Au MoDem, nous pensons tout l'inverse : nous estimons au contraire que l'initiative privée, la créativité, doivent être libérées autant que faire se peut. Mais, nous avons une très large différence d'appréciation à ce sujet avec la droite classique, et a fortiori avec les néo-libéraux. Nous jugeons que le néo-libéralisme ne libère pas plus l'initiative privée que le socialisme. Il l'enferme dans d'autres carcans non moins étouffants que l'étatisme. Le rendement financier aveugle, entre autres, surtout quand il est le fait d'un actionnariat de pression sans lien avec l'entreprise. C'est, je le crois, l'une des pistes de l'économie sociale de marché telle que la pense François Bayrou, et ceux qui se retrouvent dans cette idée. En particulier, il y a une ligne de fracture nette entre le capitalisme financier et le capitalisme entrepreneurial. Le second au lieu de se subordonner à l'entreprise a au contraire soumis les entreprises à une logique de plus en plus folle.

    En un sens, nous sommes les héritiers de Schumpeter, car ce dernier avait anticipé le mouvement de déresponsabilisation à la tête des entreprises. Quand l'on voit aujourd'hui les comités directeurs récompenser à coups de millions d'euros les plus incapables des grands patrons, on ne peut que se dire que Schumpeter avait vu juste.

     

     

     

     

  • Capitalisme,Socialisme et Démocratie (11) : que reste-t-il de la démocratie

    Le dernier chapitre de Capitalisme,Socialisme et démocratie aborde la nature même de la démocratie elle-même. Et vu ce que je lis sur la démocratie (directe ou non) sur la blogosphère (tout aprticulièrement MoDem), je vais me faire un plaisir de citer ici-même la manière dont Schumpeter met complètement en pièces la doctrine classique de la démocratie. Dans un billet suivant,on rigolera bien avec la volonté du peuple...

     
    Elle consiste donc à soutenir qu'il existe un « bien commun », faisceau de lumière projeté sur les problèmes politiques, qu'il est toujours facile de distinguer et que l'on peut faire percevoir à toute personne normale en recourant à des arguments ration­nels. On ne peut donc trouver aucune excuse pour quiconque ne distingue pas le bien commun, ni même aucune explication pour l'existence de tels aveugles, sinon, à part l'ignorance (à laquelle il peut être remédié), la stupidité ou quelque intérêt antisocial. En outre, ce bien commun implique des réponses précises à toutes les questions spé­cifiques, si bien que chaque fait social et chaque mesure prise ou à prendre peuvent être classés sans équivoque comme « bons ou mauvais »

    Le fameux "bien commun"...Vous allez voir ce qu'il en fait du bien commun, Schumpeter... 


    En premier heu, il n'existe aucune entité consistant dans un bien commun unique­ment déterminé sur lequel tous les hommes puissent tomber d'accord ou puissent être mis d'accord par la force convaincante d'arguments rationnels. L'absence d'une telle unité de vues ne tient pas primordialement au fait que certaines personnes peuvent désirer autre chose que le bien commun, mais au fait beaucoup plus fondamental que le bien commun doit nécessairement signifier des choses différentes pour des indivi­dus et groupes différents.

    En second lieu, même si un lieu commun suffisamment précis - tel que le maxi­mum utilitariste de satisfaction économique se révélait comme acceptable pour tous, il ne s'ensuivrait aucunement que des réponses également précises pour­raient être données aux problèmes spécifiques à résoudre. Les divergences d'opinions en pareilles matières pourraient être suffisamment sérieuses pour entraîner la plupart des conséquences inhérentes à un désaccord « fondamental » sur les fins elles-mêmes.

    Mais, en troisième lieu et en conséquence des deux propositions précédentes, la conception particulière, adoptée par les utilitaristes, de la volonté du peuple ou volonté générale s'évanouit en fumée. En effet, cette conception présuppose l'existen­ce d'un bien commun, uniquement déterminé et discernable par tous. A la différence des romantiques, les utilitaristes n'avaient aucune prescience de cette entité semi-mystique douée d'une volonté propre, de cette « âme du peuple » dont l'école histori­que de jurisprudence a fait si grand état. Ils faisaient ingénument dériver leur « volon­té du peuple » des volontés individuelles. Or, à moins qu'il n'existe un centre - le bien commun vers lequel gravitent, tout au moins à long terme, toutes les volontés indi­viduelles -, ce type particulier de volonté générale « naturelle » ne saurait se réali­ser. Le centre de gravité utilitariste, d'une part, unifie les volontés individuelles, tend à les fondre, sous l'influence de discussions rationnelles, en une volonté du peuple, et, d'autre part, confère à cette dernière, en exclusivité, la dignité éthique proclamée par le credo démocratique classique. Ce credo ne consiste pas simplement à idolâtrer la volonté du peuple en tant que telle, mais il est fondé sur certaines hypothèses relatives à l'objet « naturel », sanctionné par la raison utilitaire, de cette volonté. Or, aussitôt que la notion de bien commun se dérobe, la réalité et la dignité de ce type de volonté générale disparaissent du même coup. Et les deux piliers de la doctrine classique tombent inévitablement en poussière.

    Ce dernier chapitre m'intéresse particulièrement, parce que la méthode de Schumpeter, c'est de volontairement accumuler les obstacles et d'anéantir les idées reçues (qui ont encore cours aujourd'hui !!!) afin de proposer une forme alternative imparfaite, sans doute, mais possible de la démocratie.

    Au chapitre des mythes, j'aborderai ce qu'il dit de la volonté du peuple dans un prochain billet, et cela sera saignant. J'exprimerai également une réserve sur l'utilitarisme que condamne Schumpeter. Il me semble qu'une société marchande se constitue parce que chacun pense pouvoir trouver un avantage personnel par combinaison avec l'avantage personnel d'autrui ; tout du moins, c'est ainsi que Mises, par exemple, de l'école autrichienne, avec son modèle praxéologique, s'imagine que se forme le marché. Je ne dis pas que le marché est un bien commun au sens moral du terme, mais un bien commun au sens du bien que tous possèdent, oui, d'une certaine manière, certainement. Donc, ce bien commun, finalement, il pourrait bien prendre la place du bien commun moral de la doctrine classique. Et j'ajoute que Montesquieu, dans l'Esprit des lois, voit d'un bon oeil le commerce pour tout ce qu'il apporte en termes de paix et d'échanges. Cette position, que j'ai nourrie de mes lectures est à discuter, mais, je la dis ici aussi pour dire que je n'adhère pas forcément à 100% aux affirmations de Schumpeter. Ce que j'apprécie, c'est sa manière de ridiculiser le romantisme benêt et naïf qui aboutit aux pires dévoiements, et l'assurance tranquille du capitaliste convaincu.

  • Que pèse la blogosphère ?

    Je viens de lire un article fort intéressant, sur Marianne2 dont j'approuve tout à fait la conclusion.

    « Enfin, le monde des «netoyensr» s'est refermé sur lui-même en un dense réseau où l'on se cite et se référence les uns les autres, où l'on parle le même jargon, où l'on blogue à propos des blogs autant que des sujets dont on blogue, au point qu'il devient possible d'oublier qu'il existe un autre monde, qui ne nous lit pas

    C'est exactement ce qui m'agace de plus en plus au sein de la blgopshère. Il y a une espèce d'aristocratie qui n'en peut plus d'arrogance et de sentiment d'évoluer dans des sphères supérieures, et qui se donne une importance qu'elle n'a sans doute pas. En fait, elle rejoint progressivement l'attitude commune des intellectuels français et autres courtisans du pouvoir. Schumpeter a écrit des choses admirables sur ces gens-là.

     Je reviens sur le chapitre XIII de Capitalisme, Socialisme et Démocratie

    Dans la seconde partie, la sociologie des intellectuels, Schumpeter écrit :

    « Néanmoins, l'intellectuel typique ne se souciait guère de monter sur le bûcher, toujours dressé pour les hérétiques, mais, en règle générale, il préférait grandement prendre sa part d'honneurs et de confort. or, tout compte fait, et bien que les humanistes aient été les premiers intellectuels disposant d'un publie au sens moderne du terme, de tels avantages ne pouvaient être dispensés que par les princes spirituels ou temporels. »

    et plus loin, il complète son propos sur les moyens de parvenir aux dits honneurs :

    « Cependant les honneurs et les émoluments peuvent être obtenus par des procédés divers. L'obséquiosité et la flatterie sont souvent moins fructueuses que l'arrogance et l'insulte. »

    C'est, globalement, ainsi que je vois les choses. J'ajouterai que le blog est un phénomène d'autant plus français, qu'outre la tradition autobiographique  française, c'est aussi une posture qui convient bien pour le coq dressé sur ses ergots. Il peut ainsi claironner à tue-tête avec la sensation d'avoir un auditoire réservé. Ainsi, l'aristocratie ne se réduit pas à quelques blogs fameux, et le phénomène du coq est généralisé.

     La réalité est que nos pauvres blogs sont bien peu de choses et pèsent, au final bien peu. Bien moins que ce que nous leur prêtons. Et nos blogs politiques aussi. Quand on dissèque les chiffres, que reste-t-il ? Je table, ce mois-ci, sur 8  000 visiteurs uniques c'est à dire au moins 8 000 lecteurs différents. Mais un article, la plupart du temps, recueille 100 à 200 visites, et même les plus lus n'excèdent guère 700 à 800 visites. A moins de titrer Carla Bruni ou Laure Manaudou nue, on ne peut espérer vraiment plus. Que l'on observe la géo-localisation, ce que je peux voir, et pour une campagne municipale, par exemple, il m'est aisé de réaliser que je vais toucher avec un seul article une trentaine, à peine, d'électeurs concernés par l'actualité de mon billet. Sur ces trente là, les 3/4 seront déjà convaincus dans un sens ou dans l'autre. Il en reste  10 à 15, finalement, qui n'ont peut-être pas de positions nettes. Heureux si je réussis à en convaincre, ou si je contribue à en convaincre ne serait-ce qu'un seul avec mon billet. 

    Revenons à nos blogueurs : allez dans la rue, et demandez au premier badaud croisé qui est Versac. Il n'en saura 99% du temps fichtre rien. Les Embruns ? Pour lui ce sera certainement une plage bretonne ou vendéenne. Tedcrunch sera certainement une marque de chocolat, et Fred Cavazza du café...

    Bref, nul n'est besoin de citer la fable fameuse de La Fontaine sur la grenouille et le boeuf, fable qu'au demeurant il emrpunta à Phèdre ou Esope. Mais à défaut de la citer, je pense que la blogosphère toute entière devrait la méditer, cette fable... 

    Oh, et puis zut, je la copie intégralement :

    Une Grenouille vit un bœuf
    Qui lui sembla de belle taille.
    Elle qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
    Envieuse s'étend, et s'enfle, et se travaille
    Pour égaler l'animal en grosseur,
    Disant : Regardez bien, ma sœur ;
    Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
    - Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
    - Vous n'en approchez point. La chétive pécore
    S'enfla si bien quelle creva.
    Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
    Tout Bourgeois veut bâtir comme les grands Seigneurs,
    Tout petit Prince a des Ambassadeurs,
    Tout Marquis veut avoir des Pages.

  • Capitalisme, Socialisme et Démocratie (10) : performance publique

    Encore quelques chapitres de l'ami Schumpeter, dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie : certains se sont réclamés de Schumpeter pour affirmer la supériorité du socialisme sur le capitalisme en raison de la comparaison des deux organigrammes qu'effectue Schumpeter.

     Il faut dire que l'organigramme tel que l'envisage l'auteur n'a plus grand chose de marxiste : d'une part, il l'imagine vidé de sa substance moralisante et idéologisante (l'argent c'est pas bien,les bourgeois sont des méchants, être riche c'est honteux, mort aux profiteurs) d'autre part, il rhébilite l'appât du gain au sein de l'économie publique qu'il décrit, excluant radicalement toute comparaison avec le système soviétique d'ailleurs, qu'il assimile à une mascarade.

    Il écrit, par exemple, au chapitre 18 sur les archanges et les demi-dieux :

    « L'appel aux archanges, à son tour, est l'écho de la thèse bien connue selon laquelle les modalités d'existence socialistes présupposeraient un niveau moral dont on ne saurait espérer que les hommes, tels qu'ils sont, puissent s'y hausser.

    Les socialistes n'ont d'ailleurs qu'à s'en prendre à eux-mêmes si des arguments de ce calibre ont jamais apporté de l'eau au moulin de leurs adversaires. Ils ont, en effet, discouru à perte de vue sur les horreurs de l'oppression et de l'exploitation capitalistes qu'il suffirait, soi-disant, de faire disparaître pour révéler d'emblée la nature humaine dans toute sa beauté ou, en tout cas, pour amorcer un processus éducatif qui réfor­merait les âmes humaines jusqu'à les hausser au niveau moral réclamé 1. Ils se sont ainsi volontairement exposés, non seulement au reproche de flatter les masses à un degré absurde, mais encore au ridicule d'avoir épousé une doctrine à la Rousseau, depuis longtemps discréditée. Or, ces socialistes auraient parfaitement pu se passer de ces histoires de brigands, car les arguments de bon sens ne leur faisaient aucunement défaut pour étayer leur cause. »

     

    Dans son régime socialiste, on cultive avant toutes choses la performance, et, à cet effet, Schumpeter réintroduit la récompense au mérite et l'appât du gain afin de favoriser la compétence et la productivité. 

    « Mieux vaut reconnaître sans plus attendre qu'il serait également irréaliste, soit de se reposer exclusivement sur un sens du devoir purement désintéressé, soit de dénier catégoriquement le rôle important que cette vertu est susceptible de jouer. Même si l'on tient complètement compte des différents facteurs apparentés au sens du devoir, tels que la satisfaction que procurent le travail et le commandement, un système quelconque de récompenses, tout au moins sous la forme de promotion et de prestige sociaux, n'en aurait pas moins, on est en droit de le présumer, son utilité. D'une part, en effet, l'expérience quotidienne nous enseigne qu'il est difficile de trouver un homme ou une femme, quelle que soit leur élévation d'esprit, dont l'altruisme ou le sens du devoir ne comportent pas, dans quelque mesure, un alliage de ce que l'on pourrait désigner par le terme d'égoïsme désintéressé ou, si l'on préfère, de vanité ou de désir de s'affirmer. D'autre part, il est évident que l'attitude psychologique sous-jacente à ce désir, dont les manifestations sont souvent attendrissantes, est plus pro­fondément enracinée que le système capitaliste lui-même et fait partie de la logique de l'existence au sein de n'importe quel groupe social. Par conséquent, on aurait tort d'en faire bon marché en discourant sur le microbe capitaliste qui infecte les âmes et vicie leurs penchants « naturels ». »

    «Quant au traitement préférentiel en termes de revenu réel, il convient d'observer, en premier lieu, que, dans une certaine mesure, une telle pratique, tout à fait indépen­damment de sa vertu stimulante, a pour but de ménager rationnellement le stock de ressources sociales existant. De même que les chevaux de course et les taureaux de concours sont les bénéficiaires reconnaissants de faveurs qu'il ne serait ni rationnel, ni possible d'accorder à tous les chevaux et à tous les taureaux, de même, si l'on entend respecter les principes de la rationalité économique, l'on doit réserver un traitement préférentiel aux hommes qui réalisent des performances exceptionnelles.» 

    Il suggère de placer les individus issus de la bourgeoisie au sein de l'appareil productif aux postes de responsabilités afin d'y insuffler l'esprit de pragmatisme et d'efficacité de le classe bourgeoise. 

    « Toutefois, il ne serait aucunement malaisé d'installer les hommes de souche bour­geoise aux places qui leur conviennent à l'intérieur de la bureaucratie socialiste, ainsi que de remodeler leurs habitudes de travail. Nous verrons plus tard que, tout au moins dans le cas d'une socialisation réalisée lorsque les temps auront été révolus, les con­ditions d'une adhésion morale à l'ordre de choses socialiste et d'un transfert des loyalismes en faveur de ce régime seraient probablement remplies, sans qu'il soit besoin de commissaires pour aboyer aux chausses des réfractaires ou pour les mordre. »

    En termes modernes, installer aux postes-clef de l'administration des individus issus du privé qui auraient fait leur preuve... 

    Son administration publique partage nombre de points communs avec l'entreprise monopolistique dont il s'est évertué à démontrer la supériorité en régime capitaliste dans plusieurs chapitres précédents (voir notamment Pratiques monopolistiques). 

    Il soulève le principal problème, à mes yeux, en tout cas, inhérent à la gestion bureaucratique :

    « La méthode bureaucratique de traitement des affaires et l'atmosphère morale qu'elle diffuse exercent fréquemment, à n'en pas douter, une influence déprimante sur les esprits les plus actifs. Cette inhibition tient principalement à la difficulté, inhérente à la machine bureaucratique, de concilier les conditions mécaniques de son fonction­nement avec l'initiative individuelle. »

    Il va de soi que trouver une solution à ce mal consubstantiel à l'administration publique pourrait s'avérer intéressant pour tous ceux qui cherchent à réformer nos administrations. 

    «Cette machine ne laisse fréquemment que peu de liberté aux initiatives, mais beau­coup de liberté aux manœuvres hostiles visant à les étouffer. Un tel état de cho­ses peut développer chez les fonctionnaires l'impression décourageante de la vanité de leurs efforts, laquelle engendre, à son tour, une mentalité qui s'extériorise dans des critiques stérilisantes dirigées contre les efforts d'autrui. » 

    Tiens, allez savoir pourquoi, cela me rappelle quelque chose... 

  • L'homme civilisé selon Schumpeter

    Je poursuis Capitalisme, Socialisme et Démocratie, et en suis arrivé aux remarques préalables de Schumpeter sur la Démocratie. J'y reviendrai plus tard, mais je voulais juste soumettre aux lecteurs de ce blog cette définition de l'homme civilisé que je trouve très belle alors qu'il parle de la solidité des convictions démocratiques :

     L'homme civilisé se distingue du barbare en ce qu'il réalise la fragilité relative de ses convictions et néanmoins les défend sans reculer d'un pas.

    Je vais en faire la devise de mon blog. Si, au MoDem, nous faisions nôtre une telle déclaration, j'en serais heureux. Ce que j'aime de Schumpeter, c'est sa propension à être impitoyable avec ses propres convictions. Nous aurons l'occasion d'en reparler ici.

  • Statistiques de fréquentation pendant l'année 2007

    statistiques de fréquentation pour le mois de décembre et pour l'année 2007 en général.

    2007 Visites Visiteurs Visites par jour  (Moyen / Max)
    Janvier 2847
    1523
    91  / 281
    Février 2040
    802
    72  / 116
    Mars 2356
    831
    76 /119
    Avril 2249
    617
    74 /101
    Mai 10893
    7810
    351 /1198
    Juin 3920
    1455
    130 /214
    Juillet 2950
    1409
    95 /252
    Août 4482
    2405
    144 /294
    Septembre 5456
    2804
    181 /395
    Octobre 6543
    4020
    211 /675
    Novembre
    7378
    4239
    245 /397
    Décembre
    9908
    5740
    319 /574

    A peu près 60 000 visites, au total mais 33 500 visiteurs uniques, sans compter le taux de re-visite.

    Voici donc mes statistiques de l'année. Depuis le 11 décembre 2007, j'ai  installé un compteur autonome très performant, et bien plus précis. Difficile de projeter 20 jours sur une année, mais à ce qu'il semble, entre 25 et 30% des visiteurs viennent de Paris intra-muros. En 20 jours, j'ai des lecteurs venus de 967 villes différentes qu se sont connec(és sur mon blog. 62 pays différents ont également visité mon blog. La France, sur ces 20 jours, toujours, totalise 87% des lectures. Pour affiner ces données, il faudra évidemment du temps.

    Le billet le plus lu est un ancien billet, celui qui concerne Fatima Bhutto, qui date de novembre 2007, à une date où l'actualité tragique n'avait pas rattrappé cette jeune et jolie poétesse. L'affrontement google-wikipedia, la vision schumpeterienne de la WII, le sort politique de Thierry Benoît et le programme économique dans le domaine financier de Marielle de Sarnez à Paris sont ensuite les billets qui ont intéressé le plus les lecteurs. Notez qu'il faut demeurer prudent, puisqu'un billet qui est publié plus tôt dans le mois augmente sa probabilité de visites supplémentaires.

    Les trois ordres de Pascal et Bayrou, les considérations sur le Nouveau Centre ou encore les vues de Nicolas Sarkozy sur Marielle de Sarnez, ont également intéressé les lecteurs. Tout cela demeure très relatif, évidemment, puisque cela concerne de 80 lecteurs au moins à 550 lecteurs au plus pour les billets concernés, avec un très net avantage pour le premier cité.

    Ces chiffres font de Démocratie et hérésie économique un blog moyen, avec une assez bonne fréquentation, mais peu de lecteurs réguliers (en comparant le ratio visiteur/visites, on comprend qu'il doit y avoir approximativement une trentaine de lecteurs très réguliers sur ce blog) très loin encore de ténors comme Farid Taha, Quitterie Delmas, Ma vie en Narcisse ou encore Ginisty pour citer quelques blogs oranges parmi les plus fameux de la blogopshère MoDem.

     J'en profite pour souligner le peu fiabilité des classements des annuaires de blogs : plus j'ai progressé en lecteurs, plus j'ai reculé chez Technorati, ce qui est ridicule : dans le temps où je passais de 2500 visiteurs uniques à 5500, j'ai reculé en page rank de 4500 à 8500. Absurde.

    Wikio est un peu mieux, mais à peine. Je recule petit à petit dans son classement, après avoir réalisé une entrée fracassante, alors que mes visiteurs augmentent. Bref, comme quoi, ce que cela vaut, c'est sans doute assez peu de choses au final. 

    Il faudrait que j'écrive à Fatima Bhutto, parce que mon blog arrive en 3ème lien quand on tape son nom dans google en décembre : sans surprise, elle est le mot-clef le plus recherché sur mon blog, Bayrou et le MoDem ne venant qu'assez largement après. Il ne faut pas oublier que les classements des blogs bougent de semaines en semaines, donc il est, là aussi difficile d'établir une règle. Par exemple au mois de mai 2007, j'arrivais en 5ème position pour Mouvement Démocrate, d'où le record de fréquentation.

    Bref, dans la fréquentation d'un blog, beaucoup de données sont si incidentes, qu'il est toujours difficile de généraliser. 

  • Capitalisme,Socialisme et Démocratie (9) : Atmosphère sociale et intellectuels en régime capitaliste

    Les derniers chapitres de Capitalisme, Socialisme et Démocratie que j'ai lus, m'ont à la fois  laissé sur ma faim et à la fois procuré un intense sentiment de satisfation, par lequel j'avais peine à retenir un ricanement mauvais, tant je trouvais pertinent certaines de ses évocations :-) Voici ce que Schumpeter écrit, en introduction du chapitre 13 :

    « Enfin, nous avons observé que le capita­lisme donne naissance à une mentalité d'objecteurs qui, après avoir détruit l'autorité morale de multiples institutions non capitalistes, en vient à se tourner contre les propres institutions de ce régime. Le bourgeois découvre, à sa grande stupéfaction, que l'esprit rationaliste ne s'en tient pas à mettre en question la légitimité des rois ou des papes, mais que, poursuivant son offensive, il s'en prend à la propriété privée et à tout le système des valeurs bourgeoises.»

    Je suis un peu étonné, pour le coup, du manque de perspicacité de Schumpeter : il constate à raison que des phénomènes sociaux suivent les phénomènes économiques au sein de la société capitaliste. Mais, il n'imagine pas que ces phénomènes sociaux puissent évoluer de la même manière que les phénomènes économiques, c'est à dire avec un processus de création destructrice appliquée au social. Certes, l'un des aspects du Capitalisme, c'est de tendre à saper un certain nombre de valeurs qui le constituent, mais, sa force c'est d'être régulièrement capable de les récupérer ! Si Schumpeter avait connu mai 68 puis sa récupération ultérieure par les forces commerciales, il aurait été soufflé ! ou encore toute la publicité que l'on a pu tirer du mythe guévariste. Dans un domaine plus sérieux, la constitution de panier d'actions de société respectant une charte éthique et environnementale, tout simplement parce que ces sociétés sont plus perfomantes sur la durée : elles présentent en effet moins de risques, puisqu'elles respectent les législations et qu'elles inspirent confiance, ce qui est fondamentale dans une société et un marché de crédits comme le nôtre ! 

    L'essence du capitalisme, c'est aussi de générer toujours plus de droit, parce que ces droits sont une sécurité pour le commerce et l'économie, même s'ils peuvent par ailleurs engendrer marginalement des rigidités. Tout le chapitre est un développement de l'idée exprimée en introduction. Bien sûr, en fin psychologue, Schumpeter observe des phénomènes justes : notamment, il a très bien pressenti la nature de l'agitation gauchiste, et il dresse un panorama saisissant des démagogues de tout poil s'emparant du discours anti-capitaliste. Faut-il pour autant réduire l'évolution sociale du capitalisme à cette agitation ? Je ne le pense pas.

    Il n'en reste pas moins des moments savoureux : Schumpeter n'aime pas le type de l'intellectuel vain et débatteur, et ses interrogations rhétoriques et observations sont souvent jubilatoirement cruelles :

    « Ce type social est malaisé à définir et cette difficulté est même l'un des symptô­mes associés à l'espèce. Les intellectuels ne forment pas une classe sociale au sens où les paysans ou les travailleurs industriels constituent de telles classes. Ils accourent de tous les coins de la société et une grande partie de leurs activités consiste à se com­battre entre eux et à former les avant-gardes d'intérêts de classes qui ne sont pas les leurs. Néanmoins, les attitudes de groupe qu'ils prennent et les intérêts de groupe qu'ils développent sont suffisamment accentués pour que beaucoup d'intellectuels adoptent les comportements généralement associés au concept de classe sociale.»

     J'aime bien le «ils acourrent» : on sent qu'il a envie de dire qu'ils se précipitent à la curée, le père Schumpeter...Mais il se lâche vraiment dans cet autre passage :

    « Les intellectuels sont effectivement des gens qui manient le verbe écrit ou parlé et qui se différencient des autres écrivains ou orateurs par le fait qu'ils n'assu­ment aucune responsabilité directe en ce qui concerne les affaires pratiques. Cette dernière caractéristique en explique une autre : l'intellectuel, en général, ne possède aucune des connaissances de première main que fournit seule l'expérience. Une troisiè­me caractéristique consiste dans l'attitude critique de l'intellectuel, déterminée à la fois par sa position d'observateur - et même, dans la plupart des cas, de profane (outsider) - et par le fait que sa meilleure chance de s'imposer tient aux embarras qu'il suscite ou pourrait susciter. Profession de l'individu sans profession? Dilettantisme professionnel? Gens qui parlent de tout parce qu'ils ne comprennent rien?  »

    Il ne les aime pas, n'est-ce pas ? J'ai eu déjà l'occasion d'en parler dans un autre billet, d'ailleurs. On comprend mieux la position de Schumpeter si l'on lit le chapitre 11, la civilisation du Capitalisme. En réalité, il y a un fond protestant très fort qui émerge chez Schumpeter : il aime l'idée de l'homme self made man, qui se forme tout seul, entreprend, et crée : un peu l'idéal des premiers protestants émigrés en Amérique, finalement. Pour ces hommes d'action, les intellectuels sont avant tout des ratiocinateurs. Très certainement, Schumpeter distingue les hommes de lettres ou les philosophes des intellectuels, même s'il ne le dit pas excplicitement. On croit comprendre, toutefois, à son analyse, qu'il a conservé une dent contre ces derniers...

    C'est assez amusant : le côté systématiquement critique de l'intellectuel, allez savoir pourquoi, cela me rappelle quelque chose de déjà vu sur la blogosphère... Un peu comme la politique compassionnelle du samedi 29 décembre 2007...