Je suis tombé un peu par hasard sur un billet de blog qui date de mai dernier, écrit par Sylvain Jutteau, blogueur d'obédience plutôt libérale pour ce que j'en connais. Il y propose dix mesures simples pour désembourber la France.
J'accueille toujours avec la plus grande prudence un programme qui tient en dix mesures pour gouverner un pays. Je crois que gouverner est un exercice très difficile et qu'on tend à ne jamais envisager les secousses sismiques qu'engendrent des réformes en apparence de bon sens.
Sa première mesure est de ne permettre qu'un seul salaire pour un élu. Il pourra cumuler des mandats électifs s'il le veut mais pas les indemnités qui y sont afférentes. Dans le principe, j'applaudis des deux mains à ce projet. Dans la pratique, qui va le voter ? Imaginer que les élus vont purement et simplement auto-détruire leur principale source de revenus, c'est du romantisme. Donc, cette mesure n'est applicable qu'en la faisant passer par référendum, et ce ne peut être qu'un président qui le décide. Eh bien entendu, en agissant ainsi, il est assuré de se mettre à dos la moitié de la classe politique au minimum, or, il aura besoin de sa majorité pour gouverner...
Deuxième mesure : ramener les salariés de la fonction publique au droit du travail courant. C'est un exemple de fausse bonne idée. Notre droit du travail n'est pas construit ainsi. Chaque profession porte sa part d'avantages et de désavantages. Une abrasion totale des statuts pour les nouveaux entrants aboutiraient à une grave crise de recrutement, et ce, en dépit de la crise, notamment dans des secteurs de la fonction publique où ce n'est déjà pas très brillant (le professorat par exemple). En outre, une guerre est assurée contre l'ensemble des syndicats, et on peut parier que sur un tel projet, ils seraient suivis par les salariés de la fonction publique. En procédant ainsi, on est donc à peu près certain de foutre le feu...
Troisième mesure : les entreprises perçoivent 110 milliards d'euros d'aides mais payent 65 milliards d'impôts de taxes. La logique serait de supprimer les unes et les autres. Dans la pratique, je ne doute pas de très sérieux remous sur le marché de l'emploi. De nombreuses entreprises feraient instantanément faillite parce qu'on ne peut saborder un éco-système économique d'un trait de plume, fût-il vicié. Tout raboter d'un coup, cela risque de ne pas marcher. On ne peut à mon avis pas éviter une approche sectorielle de la micro-économie, et, de ce fait, c'est très complexe.
Quatrième mesure : arrêter de bloquer les constructions en supprimant toutes les contraintes qui y sont liées. Malheureux ! Tiens, Paris, par exemple, on dépasse les 37 mètres alors ? Des tours triangles partout ? Droit de défigurer le patrimoine ? Dans bien des villes, on ne peut de toutes façons créer l'espace qui n'existe pas. Soit on construit sous terre, soit en hauteur. C'est vrai qu'il y a beaucoup de normes dans la bâtiment, mais il convient de ne pas oublier qu'un nombre certain d'entre elles nous garantissent contre la malfaçon et assurent notre sécurité.
Cinquième mesure : cesser de verser l'argent de l'État aux collectivités. Oui, parce que je pense, comme Sylvain Jutteau, qu'elles doivent s'auto-financer. Toutefois, l'État ne doit pas exclure de continuer à intervenir sur les grands projets d'équipement.
Sixième mesure : équilibrer les retraites de la fonction publique en ne ponctionnant que les salaires de la fonction publique à commencer par les hauts salaires. A voir et pas gagné, ça c'est clair. J'avais évoqué la pertinence des comptes notionnels il y a 4 ans sur ce blog. La sixième mesure gagnerait à être détaillée car je ne vois pas précisément où l'auteur de la proposition veut en venir.
Septième mesure : à chacun son assurance chômage et santé. Je suis sceptique. Que se passera-t-il pour les plus modestes ? J'avoue que je me méfie de la privatisation complète de la santé même si j'admets que notre système public est à bout de souffle et bien peu efficient. Je crois, en tout cas, que la transition générerait un beau bazar et des coûts monstrueux.
Huitième mesure : croire que les chefs d'établissement sont compétents pour choisir leur équipe d'enseignants, c'est une douce utopie. Sylvain Jutteau propose de les laisser engager et congédier à leur guise les professeurs. Sur quel critère ? Qu'adviendrait-il des enseignants congédiés ? Je pense que ce système devrait faire d'abord l'objet d'une expérimentation limitée pour tester sa pertinence. S'il s'avère qu'il n'apporte rien par la suite, à quoi bon gaspiller du temps à devoir gérer beaucoup de conflits avec les syndicats qui seront de toutes façons vent debout contre l'idée. Est-ce que cela apporter quelque chose à l'école ? Le système scolaire californien fonctionne selon ce principe et on ne peut pourtant pas vraiment dire qu'il soit réputé pour sa qualité...
Neuvième mesure : Réduire le nombre de lois et de décrets. C'est une bonne idée mais un travail de longue haleine. C'est ce qu'espérait faire Sarkozy. Résultat des courses, il a accru notre code juridique de quelques centaines de pages...On le dit souvent, le mieux est l'ennemi du bien et l'Enfer est pavé de bonnes intentions.
Dixième mesure : supprimer les micro-impôts parce qu'ils ne sont pas efficaces et coûtent plus cher à percevoir que ce qu'ils rapportent. Entièrement d'accord.
Et voilà. Il ne reste plus qu'à attendre une éventuelle réaction, maintenant :-)