Récemment, il y a eu quelques commentaires à la suite d'un billet que je venais d'écrire : j'essayais de pointer du doigt l'essence du libéralisme et ses clivages actuels. Dans cet article, je faisais une distinction entre libéraux de droite et de gauche, et observais qu'on pouvait positionner le MoDem sur l'aile gauche du libéralisme. Or, j'ai eu une réaction quasi-courroucée de LOmiG, me tançant vertement de ce qu'en réalité, les démocrates étaient des libéraux par utilitarisme et non des libéraux de conviction.
Or, il se trouve que je poursuis ma lecture de De la démocratie en Amérique de Tocqueville (elle touche désormais à sa fin) et que je viens de passer dans la deuxième partie du Tome II plusieurs chapitres sur l'individualisme (chapitre II,III,IV et VIII). Or, ce que dit Tocqueville, c'est que les régimes démocratiques combattent les excès de l'individualisme par d'une part des institutions libres (plutôt confier de petites affaires à chacun que de grandes affaires à tous) mais également par l'idée de l'intérêt bien entendu.
Lorsque le monde était conduit par un petit nombre d'individus puissants et riches, ceux-ci aimaient à se former une idée sublime des devoirs de l'homme; ils se plaisaient à professer qu'il est glorieux de s'oublier soi-même et qu'il convient de faire le bien sans intérêt comme Dieu même. C'était la doctrine officielle de ce temps en matière de morale.
Je doute que les hommes fussent plus vertueux dans les siècles aristocratiques que dans les autres, mais il est certain qu'on y parlait sans cesse des beautés de la vertu; ils n'étudiaient qu'en secret par quel côté elle est utile. Mais, à mesure que l'imagination prend un vol moins haut et que chacun se concentre en soi-même, les moralistes s'effrayent à cette idée de sacrifice et ils n'osent plus l'offrir à l'esprit humain; ils se réduisent donc à rechercher si l'avantage individuel des citoyens ne serait pas de travailler au bonheur de tous, et, lorsqu'ils ont découvert un de ces points où l'intérêt particulier vient à se rencontrer avec l'intérêt général, et à s'y confondre, ils se hâtent de le mettre en lumière; peu à peu les observations semblables se multiplient. Ce qui n'était qu'une remarque isolée devient une doctrine générale, et l'on croit enfin apercevoir que l'homme en servant ses semblables se sert lui-même, et que son intérêt particulier est de bien faire .
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Il y a longtemps que Montaigne a dit: « Quand, pour sa droicture, je ne suyvray pas le droict chemin, je le suyvray pour avoir trouve, par expérience, qu'au bout du compte c'est communément le plus heureux et le plus utile. »
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L'intérêt bien entendu est une doctrine peu haute, mais claire et sûre. Elle ne cherche pas à atteindre de grands objets; mais elle atteint sans trop d'efforts tous ceux auxquels elle vise. Comme elle est à la portée de toutes les intelligences, chacun la saisit aisément et la retient sans peine. S'accommodant merveilleusement aux faiblesses des hommes, elle obtient facilement un grand empire, et il ne lui est point difficile de le conserver, parce qu'elle retourne l'intérêt personnel contre lui-même et se sert, pour diriger les passions, de l'aiguillon qui les excite.
Moi, j'aime bien la doctrine de l'intérêt bien entendu, et je ne m'étonne pas de retrouver Montaigne en même temps que Tocqueville parmi les utilitaristes. In fine, c'est un peu ma propre doctrine politique, que je trouve résumée là : dès lors que l'intérêt collectif converge avec l'intérêt individuel, l'action politique devient possible. A cet égard, au MoDem, Marielle de Sarnez me semble particulièrement bien incarner cette doctrine.