Il s'est passé à Brignoles ce que je craignais en mon for intérieur : cela fait un moment que j'ai constaté que l'abstention, bien loin de présenter un recours pour la gauche ou la droite est en fait un réservoir de voix pour l'extrême-droite.
On ne peut pas réduire le FN sans un projet politique et surtout économique crédible. Tant que l'on demeurera impuissant à enrayer le chômage et la désindustrialisation dans notre pays ou encore le déclassement social, ce parti demeurera puissant. Et peu importe que les solutions qu'il propose soient mortifères, ses électeurs ne peuvent en prendre conscience tant qu'elles n'ont pas été appliquées.
Nous devons faire face à un double défi : on ne peut faire autrement que de réduire les dépenses de l'État et revenir à l'équilibre car les dettes publiques vont se stabiliser dans la zone euro, France incluse, à un niveau tellement élevé qu'elles requerraient des taux de croissance impossible à atteindre pour éponger les montants des remboursements. Et dans le même temps, nous devons répondre à la demande de plus en plus forte de protection sociale et parvenir à relancer l'emploi et la création de richesses.
Et bien évidemment, tout le monde cherche la baguette magique sans la trouver. Les Socialistes croient venir à bout de nos dépenses en augmentant toujours plus les impôts. La droite croit qu'on peut réduire les dépenses (mais dans les faits, elle ne l'a jamais fait, opérant au demeurant des coupes au hasard). Le FN s'imagine qu'on peut établir des barrières douanières et la gauche de la gauche finit par croire que les profits virtuels du grand capital ont une existence réelle suffisante pour pouvoir être taxés sans dommages collatéraux considérables. Aucune de ces solutions ne tient la route mais celle du Front de Gauche n'a pas été expérimenté depuis les régimes soviétiques et ce que propose le FN (sortie de l'euro et autarcie) n'a pas encore été essayée (le cas de figure ne s'est pas produit en Europe).
Au sein de la classe politique, seul Bayrou me semble avoir essayé d'apporter une réponse, mais son programme est demeuré embryonnaire. Comme la fonction fait l'homme, Arnaud Montebourg semble avoir compris lui aussi que reconstruire la production en France était l'unique issue, mais, face à la mondialisation et l'inter-connexion des économies, il ne sait pas quoi faire et ne sait plus à quel saint se vouer. Le volontarisme ne parvient pas plus que les autres approches à enrayer notre déclin : le récent échec de Ségolène Royal avec Heuliez en est un témoignage manifeste. Sarkozy, à sa manière, qui se vivait en super-président capable de sauver l'industrie française par ses connexions avec les puissants et quelques hochements de menton aura sans doute essayé lui aussi de redresser notre pays.
Toutefois, aucune de ces initiatives n'a abouti. Montebourg est impuissant, Sarkozy et Royal ont échoué et on ne sait pas ce qu'aurait obtenu Bayrou puisqu'il n'est pas parvenu à conquérir le pouvoir.
Je note toutefois que Sarkozy a fait reculer le FN pendant un certain temps, que Royal était populaire auprès des gens modestes et que Bayrou a constitué l'espoir d'une voie tierce pendant longtemps.
Par un étonnant paradoxe, c'est au moment même de son échec politique, 2012, que son projet économique a comporté peut-être un chemin inédit dans la sphère politique : d'une certaine manière, son made in France nourri d'échanges internationaux et de localisme réconciliait une certaine forme de protectionnisme et le libéralisme. Curieuse synthèse que Bayrou n'a pas achevée et je le regrette.
C'est pourtant là qu'il faudrait reprendre le flambeau avec les personnalités de bonne volonté. Il en existe. Yves Jégo à l'UDI a créé une association délivrant un label qui a fait son chemin. Je crois Montebourg suffisamment aux abois pour revenir sur tout préjugé idéologique dès lors qu'on lui trouve un moyen de relocaliser ou créer de nouvelles industries sur notre sol. Mais mon camarade blogueur de gauche Melclalex doit en savoir plus que moi sur ce dernier point.
Une chose me paraît en tout cas claire : impossible de riposter aux sirènes nationalistes sans parvenir à réaliser la quadrature du cercle. J'avoue que je n'ai pas d'idées, ou, tout du moins, qu'elles restent dans le brouillard. Une fois toutes les utopies "citoyennes" évacuées, celles dont on disserte sur la Toile mais qui heurteraient le mur de la réalité avec d'autant plus de violence que leurs auteurs planent en apesanteur au-dessus du déconomètre, il ne reste à vrai dire plus grand chose. C'est bien là où le bât blesse. La force du FN, c'est d'avoir réussi à faire croire qu'il l'avait, lui, le projet alternatif.
Si une synthèse intelligente pouvait se produire entre le monde parallèle du MoDem et la vision à ras du sol de l'UDI on pourrait peut-être poser les jalons d'une voie inédite. L'alliance Borloo-Bayrou n'aura de ce point de vue un sens que si elle devient une alliance des idées emblématique, capable de subvertir l'ensemble des autres projets politiques pour enfin s'imposer par son évidence aux Français.
Je reconnais qu'en disant cela, je n'ai rien dit, car pour l'instant, nous n'en sommes pas même aux fondations. Mais enfin, tous les explorateurs ont observé un point lointain sur l'horizon pour atteindre un jour leur Eden. Comme le disait un jour Denis Badré, aujourd'hui sénateur honoraire, grand Européen devant l'Éternel, «si tu veux que ton sillon soit droit, oriente ta charrue vers une étoile».