Hier, je me suis lancé dans une analyse psychologique, éthique et politique pour définir les différences que je percevais entre Martine Aubry, Ségolène Royal, et, accessoirement Bertrand Delanoë (ce dernier à la suite d'une question issue du forum les bloggers de François). J'ai donc fait une analyse sommaire des lignes politiques séparant les différentes ex-candidates à la fonction de premier secrétaire du PS. Au passage, j'ai essayé de faire valoir combien les valeurs de fond pouvaient impacter (désolé pour le néologisme) les relations politiques. Car, sur le fond, c'est les héritages respectifs de Ségolène Royal et de Matine Aubry qui font aujourd'hui leurs différences, et, in fine, leur différend...
Et Bayrou, donc, dans tout cela, où se positionne-t-il ? J'avoue que c'est un peu compliqué, et que l'homme frise l'OVNI. C'est bien un catho, il a même nombre de caractéristiques du catho de droite, et pourtant, ce n'est pas un catho de droite. Zut, mince, flûte, crotte, me direz-vous : c'est un catho de gauche alors ? Raté, camarades. Non plus. Il pourrait être un catho de gauche s'il partageait leur mauvaise conscience consubstantielle, mais, aucune nécessité pour lui de la soulager ni de lui prouver quoi que ce soit. En fait, les cathos de gauche subliment leur culpabilité dans une forme de gauchisme moral, et les cathos de droite par la charité. Bayrou est assez atypique, parce que c'est à la base un catho de droite qui a adhéré, très jeune, à une philosophie pacifiste : il été quelques temps proche de la Communauté de l'Arche, initiée par le poète et philosophe, Lanza del Vasto, un disciple de Gandhi. Pour se faire une idée de l'individu, je rapporte ici cette anecdote que rapporte Wikipedia : Un jour, quelqu'un écrasa une araignée devant Lanza del Vasto; il réagit immédiatement en lui disant : « Maintenant que tu as privé l'univers de cette vie, fais donc l'araignée ! ». Ça, une réponse comme celle-là, je la trouve très forte et très bien vue. J'aime bien ce genre d'hommes, et j'avoue, parfois, que dans les réponses de Bayrou, on retrouve quelque chose de cette philosophie. Je dois dire aussi que Lanza del Vasto était un lecteur très éclairé d'Homère et de Virgile. Petite digression en passant : on voit souvent Homère comme l'auteur d'un long poème épique et guerrier. Certes, mais, en réalité, ce que révèle l'Iliade, c'est qu'Homère n'aimait pas la guerre. Les plus doux de ses héros recherchent la paix, et le seul héros que Zeus est prêt à sauver contre son destin, c'est Hector, le fils du roi de Troie. Or, Hector qui se bat avec un courage extraordinaire, cherche, chaque fois qu'il le peut une issue pacifique à la guerre. J'imagine que l'Iliade, pour un homme qui aime la paix, est un poème fondateur, et Homère, bien que décrivant les combats, ne se lance jamais dans leur apologie. Mais, je reviens à mon Bayrou : il a donc été influencé par cet homme, qui s'opposait un nucléaire militaire et soutint les paysans du Larzac contre l'extension d'un camp militaire. Toutefois, cette influence n'est pas exclusive, et Bayrou est à la croisée de plusieurs chemins. En réalité, ce dont se rapproche le plus Bayrou, c'est d'une forme de catholicisme qui avait presque disparu en Europe, tout du moins, dans le champ politique : le catholicisme social, et tout particulièrement le personnalisme. Bayrou en est à mon avis une résurgence aussi inattendue que surprenante.
Ce qui me frappe, dans le personnalisme, c'est notamment ce que certains appellent changement de logiciel, mais, que Alexandre Marc appelle changement de plan, c'est à dire avant tout uner perspective, une méthode d'observation de la société. Cette philosophie donne avant toutes choses la primauté à la personne humaine et à son action. Le jour où François Bayrou a comparé les militants du MoDem et leurs voix au phénomène acoustique de la dalle d'Épidaure (Épidaure est connue pour son théâtre grec antique aux propriétés acoutistiques étonnantes), j'avoue que j'ai fait immédiatement la relation avec le modèle de pensée personnaliste. Nous sommes, avec cette magnifique image, exactement dans cette optique philosophique. Par ailleurs, le personnalisme a irrigué aussi bien la droite que la gauche, ce qui fait qu'il n'est pas victime d'un marqueur idéologique. Enfin, c'est l'un des modèles philosophiques principaux de la construction européenne : il défend en particulier un fédéralisme intégral, c’est à dire pas uniquement horizontal, mais également vertical (c’est à dire entre les différents « corps » ou communautés qui composent la société).
On comprend bien mieux, ainsi, le programme politique parisien et le propos de Marielle de Sarnez en janvier dernier : «Je suis contre la centralisation excessive des pouvoirs. La modernité, c'est de faire vivre une société et ses corps intermédiaires.» D'une certaine manière, et sans surprise, la boucle est bouclée...
Je tiens à préciser que je ne m'inscris pas pour autant, à titre personnel, dans le courant personnaliste, bien qu'il m'intéresse.