J'ai envie d'entamer un cycle plus pragmatique sur mon blog, et, notamment, de partir des travaux des commissions du MoDem, afin de préciser aux lecteurs ce que l'Europe peut apporter aux préoccupations des Français, et quelles propositions concrètes font les candidats du Mouvement Démocrate sur ces dernières. Il faut toutefois garder à l'esprit que le travail des commissions n'est pas le programme définitif du MoDem pour les élections européennes, mais les réflexions menées éclairent les axes directeurs de ce parti au Parlement européen. Il m'a semblé que l'emploi était un premier sujet de choix pour débuter. J'ai donc feuilleté le consistant rapport du groupe politique sociale du MoDem et sélectionné des extraits significatifs. La présentation de ce travail sera l'objet de trois à quatre notes sur ce blog, et peut-être quelques autres sur le Post.
Je précise que les déclarations de François Bayrou et de Marielle de Sarnez, ainsi que le dictionnaire pour aimer l'Europe qu'elle a écrit, complètent et corroborent avantageusement les propositions qui figurent ci-dessous.
La politique sociale est un corollaire du marché unique.
Au cours des cinquante dernières années, l’Union européenne s’est efforcée de créer un marché unique européen des biens et des services, elle doit aujourd’hui créer un marché européen du travail. A présent, les travailleurs ont eux aussi besoin d’harmonisation, garantissant un traitement équitable et égal dans toute l’Europe. Mais, le travail précaire augmente dans l’Union européenne. La pression actuelle en faveur de la « flexicurité » sur le marché de l’emploi n’est acceptable que si elle améliore la qualité du travail. Comment garantir une concurrence saine entre les entreprises européennes si certaines d'entre elles peuvent s'affranchir du respect de règles minimales en termes de salaires, de temps de travail, de congés ou de licenciement ? De vives inquiétudes se sont exprimées quant à l’impact des récentes décisions de la Cour de justice européenne sur les conditions de travail et de vie des travailleurs en Europe, notamment au regard du droit des syndicats à exercer leur mission de défense des salariés.
Il faut aujourd’hui :
- réviser la Directive concernant le détachement de travailleurs pour garantir un traitement égal des travailleurs migrants et locaux. Le Parlement européen a traité de ces questions dans le rapport «Défis pour les conventions collectives dans l'UE » adopté à une large majorité en octobre 2008. Le MoDem partage l'avis des syndicats européens sur la nécessité d'un nouveau débat démocratique sur les éventuelles lacunes ou incertitudes quant à l'application de la directive. La directive ne s'applique pas, par exemple, dans le cas où les droits des salariés sont définis par des conventions collectives qui ne sont pas d'application générale ;
- veiller à la bonne application de la directive « sanctions », qui définit des sanctions à l’encontre des employeurs d'immigrants illégaux.
Une politique de l’emploi adaptée à la crise
Depuis mars 2000, l’Union européenne définit ses politiques conformément aux objectifs de la stratégie dite « de Lisbonne », qui établit un cadre d’action jusqu’en 2010. La stratégie de Lisbonne visait spécifiquement à une relance économique, mais aussi sociale et environnementale. Elle cherche à renforcer la compétitivité européenne, non pas en misant sur le dumping social, mais en investissant dans une société basée sur le savoir et la productivité. L’Union « s’est fixée un nouvel objectif stratégique pour les dix prochaines années : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
La Stratégie de Lisbonne définit des objectifs spécifiques : un taux d’emploi global de 70 % d’ici 2010 ; un taux d’emploi de plus de 60 % chez les femmes ; un taux d’emploi de 50 % chez les travailleurs seniors ; une croissance économique annuelle d’environ 3 %. Ces objectifs devaient être atteints par une série de politiques comprenant un dosage judicieux de politiques macroéconomiques favorables à une croissance élevée, à l’achèvement du marché intérieur, à l’investissement dans les personnes et à la lutte contre l’exclusion sociale. Les dirigeants de l’Union européenne se sont engagés à viser le plein-emploi en Europe, dans une société respectant les choix personnels des femmes et des hommes.
Bien avant la crise actuelle, un rapport d’évaluation à mi parcours concluait, en 2005, que les résultats étaient décevants et qu’il était fort peu probable que l’Union européenne atteigne ses objectifs en 2010, principalement par manque de volontarisme politique. Il mettait en exergue un agenda surchargé, une mauvaise coordination et des priorités contradictoires. Il constatait aussi que la réforme structurelle était devenue une expression codée pour désigner la dérégulation et l’affaiblissement des droits des salariés, et notait que les politiques devraient plutôt aider les salariés à faire face aux changements structurels (en investissant dans les compétences et la productivité au lieu de déréguler les marchés du travail).
Aujourd’hui, avec la crise mondiale et la récession européenne, il faut prendre acte de l’échec de la Stratégie de Lisbonne et lancer une nouvelle stratégie qui ne soit pas exclusivement orientée vers les réformes économiques, mais qui se donne pour priorités l'accès de tous à un emploi de qualité et de parvenir à garantir une croissance durable. La Stratégie de Lisbonne devrait être renommée "Stratégie pour l'emploi et une croissance durable" Au moment où le chômage repart partout en Europe, où la crise économique risque d’éroder tant les solidarités collectives que, faute de ressources, les solidarités de proximité, il faut également pousser les gouvernements européens à définir des objectifs chiffrés début 2010 au plus tard en termes de revenu minimal (et non de salaire). Ces objectifs respecteront les niveaux de vie dans chacun des États membres. Les États doivent intégrer ces objectifs dans une approche plus globale de la lutte contre la pauvreté, ce qui suppose de traiter la question des bas salaires et des actifs pauvres et d’d'améliorer les taux d'emploi totaux, en comblant le fossé entre le taux d'emploi chez les hommes et chez les femmes.
L’Europe doit renforcer les garanties collectives des travailleurs
La vocation première des institutions européennes est de définir une politique partagée, fondée sur des valeurs. Le développement d'un droit du travail cohérent, fruit de la recherche d'un équilibre entre la garantie d'une protection des salariés et le respect des contraintes des employeurs, doit ainsi constituer une des lignes de force de la construction européenne à l'avenir. L’Europe doit permettre aux acteurs de résister à la fragmentation excessive du marché du travail. De nouvelles formes de travail sont en train d'émerger en Europe de trois façons différentes : contrats atypiques (40% des contrats signés : temps partiel, CDD, travail intérimaire, apprentissages...), autoemploi et nouveaux modes d'organisation (travail de nuit, travail détaché, temps de travail discontinu...). Il en résulte une fragmentation excessive des marchés du travail et des inégalités de traitement en droit, notamment en matière de santé et de sécurité au travail, d'indemnités, ou de représentation dans le dialogue social. Il importe donc aujourd’hui de :
- réviser le cadre législatif pour adapter la représentation des intérêts des travailleurs aux nouvelles formes de travail. La directive Information et consultation des travailleurs doit être revue ;
- repenser l'organisation du dialogue social aux niveaux nationaux et européen pour intégrer les nouvelles formes de travail ;
- prendre en considération la diversité des formes de travail dans les politiques sociales et assurer une égalité de traitement effective
Un des sujets importants dans le débat européen actuel concerne la place respective de la négociation collective et des accords de gré à gré entre le salarié et l’employeur. Pour que l’Europe soit perçue comme protectrice pour les populations, elle doit privilégier les garanties collectives, en matière de durée maximale hebdomadaire de travail par exemple, et donc limiter les dérogations ouvrant la voie aux « accords » salariés – entreprises. L’Union européenne doit promouvoir un cadre commun protecteur pour l’organisation du temps de travail. Au niveau européen, l’encadrement du temps de travail est un puissant signal quant au modèle social que nous souhaitons promouvoir à l'avenir. Il est impératif que la recherche de la compétitivité ne se fasse pas au détriment des populations les plus fragiles ou des droits sociaux. S’il est utile que les entreprises puissent bénéficier d'une dose de souplesse dans la gestion du temps de travail, une plus grande flexibilité n'est pas incompatible avec un niveau élevé de protection de la santé et de la sécurité des salariés. L'équilibre nécessaire impose la définition de normes minimales, de normes de sauvegarde, ainsi que des contrôles adéquats.
Le débat sur la directive temps de travail et la position du Modem
Le débat entre le Parlement et le Conseil en ce qui concerne la révision de la directive sur le temps de travail de 1993 est caractéristique à bien des égards :
- il marque les progrès de l’intégration européenne au niveau des acteurs sociaux : les partenaires sociaux des différents pays mettent à profit la confrontation des expériences nationales ;
- il révèle aussi les protections offertes par l’Europe : même si le débat est délicat, la révision de la directive est rendue nécessaire par le fait que, dès l’origine, on avait prévu le caractère provisoire des dérogations ;
- le compromis envisageable souligne les contraintes d’un système de codécision. En même temps, il faut en permanence garder à l’esprit le chemin parcouru et la relativité des positions des acteurs européens sur la scène de l’Europe sociale : ce ne sont pas les mêmes pays qui sont en pointe sur tous les sujets.
Et pourtant, on a volontiers confondu, en France, les avancées réelles de la Directive européenne Temps de Travail avec de fallacieux arguments visant à justifier les évolutions internes de la législation française. La durée maximale hebdomadaire fixée à 48 heures au niveau européen sert aujourd’hui de prétexte à un effacement progressif de la norme nationale en matière de temps de travail. On confond ainsi, pour des motifs politiques internes, la définition de maxima et la réalité de ce qui est proposé. En adoptant par 34 voix pour, et 13 contre, le rapport de l'Espagnol Alejandro Cercas, les députés de la commission de l'Emploi et des Affaires sociales ont rejeté les tentatives des États membres d'autoriser un employeur à déroger à la limite légale des 48 heures de travail hebdomadaire avec l'accord individuel du salarié. Ils ont rétabli la position initiale du Parlement.
Pour Bernard Lehideux, «l'opt-out va totalement à l'encontre d'un droit européen du travail, protecteur des salariés, que nous construisons pas à pas depuis des années. Il faut être bien naïf pour croire que le salarié est dans une relation d'égal à égal avec son employeur. Dans la très grande majorité des cas, lorsque l'employeur demande au salarié d'envisager une dérogation à la limite légale du travail, ce dernier n'a pas la possibilité de refuser. Cette situation est devenue inacceptable, et il faut en sortir, même si une période de transition est envisageable.» Bernard Lehideux a également voté pour que l'ensemble du temps de garde, notamment dans le cas des professions médicales, soit considéré comme du temps de travail.
La prochaine note portera sur la flexisécurité.