Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Capitalisme, Socialisme et Démocratie (4) : le problème du chômage

A la fin du chapitre V, Schumpeter aborde le problème du chômage en régime capitaliste :

Cependant, qu'il soit durable ou temporaire, qu'il empire ou non, le chômage, on ne saurait le contester, est et a toujours été un fléau. Dans la prochaine partie de cet ou­vra­ge, nous aurons à apprécier son élimination possible en tant que l'un ces éléments de supériorité que le système socialiste peut faire valoir. Toutefois, je consi­dère que la tragédie réelle ne consiste pas dans le chômage en soi, mais dans le chô­ma­ge aggravé par l'impossibilité de subvenir adéquatement aux besoins des chômeurs sans compromettre les conditions du progrès économique ultérieur: en effet, de toute évidence, la souffrance et la dégradation - la destruction des valeurs humaines - que nous associons au terme chômage (mais non pas le gaspillage de ressources producti­ves inutilisées) seraient largement éliminées et le chômage cesserait pratiquement d'être un objet d'effroi si la vie des chômeurs n'était plus sérieusement affectée par la perte de leurs emplois. Certes, l'on ne saurait dénier que, dans le passé - disons, environ jusqu'à la fin du XIXe siècle -, le régime capitaliste, non seulement se serait refusé à accorder une telle garantie aux chômeurs, mais aurait même été tout à fait hors d'état de le faire. Cependant, étant donné qu'il serait désormais en mesure de leur procurer la sécurité à laquelle ils aspirent, pourvu qu'il maintienne pendant un demi-siècle le rythme de ses accomplissements antérieurs, cet argument anticapitaliste doit, dans le cas d'espèce, rejoindre au cimetière de l'histoire les tristes spectres du travail des enfants, de la journée de seize heures, de la chambre habitée par cinq personnes - c'est-à-dire de toutes les tares qu'il est tout à fait équitable de souligner quand on ap­pré­cie le coût social des achèvements capitalistes du passé, mais qui cessent d'être nécessairement pertinentes lorsque l'on soupèse les possibilités alternatives de l'ave­nir. Notre époque se situe quelque part entre les insuffisances manifestées par l'évolu­tion capitaliste au cours de ses premières phases et les réalisations susceptibles d'être accomplies par le système parvenu à sa pleine maturité. Aux États-Unis, tout au moins, la meilleure partie de l'œuvre capitaliste pourrait, dès à présent, être réalisée sans imposer une tension excessive au système. Les difficultés à surmonter ne paraissent pas tellement consister dans le défaut d'un excédent de ressources suffisant pour effacer les ombres les plus noires du tableau social - mais elles consistent, d'une part, dans le fait que de 1931 à 1940, des mesures d'inspiration anti-capitaliste ont gon­flé le nombre des chômeurs au delà du minimum inévitable et, d'autre part, dans le fait que l'opinion publique, dès qu'elle prend conscience du devoir à remplir envers les chômeurs, s'oriente immédiatement vers des méthodes irrationnelles de finance­ment des secours et vers des méthodes relâchées et onéreuses de gestion de ces secours.

Une grande partie de l'argumentation précédente vaut pour les possibilités futures (et, dans une large mesure, immédiates) inhérentes à l'évolution capitaliste en ce qui concerne la protection des vieillards et des malades, l'éducation, l'hygiène, etc. De même, en se plaçant au point de vue des foyers individuels, on pourrait raisonna­blement s'attendre à ce qu'un nombre croissant de marchandises sortent de la zone des biens économiques (et donc rares) et deviennent pratiquement disponibles jusqu'à satiété. Une telle situation pourrait être réalisée par voie d'arrangements soit conclu entre des sociétés productrices et des offices publics, soit de nationalisation ou de municipalisation, car le développement progressif de telles institutions constituerait, bien entendu, l'un des traits de l'évolution future du capitalisme même si. à tous autres égards, il devait rester libre d'entraves.

C'est tellement bien vu et bien pensé que je ne sais pas quoi dire de plus. Il a tout prévu, tout finement analysé, notamment les réactions irrationnelles de l'opinion publique en matière de chômage et plus généralement de protection sociale. Voilà, c'est exactement cela notre problème, en France... 

Et ils ne manquent pas, les responsables politiques qui soulignent l'irrationalité de la gestion du chômage. La difficulté politique, c'est de faire accepter ce fait à l'opinion publique. Mais, une chose est sûre, et cela, je ne sais pas si Schumpeter s'en est occupée, c'est que l'on ne peut rien faire accepter à l'opinion publique sans équité. Or, c'est bien le coeur du projet social et économique du MoDem et de François Bayrou. C'est à mon avis une première réponse à la difficulté soulevée par Schumpeter. 

J'aurai l'occasion d'y revenir, et notamment de comparer équité et égalité, en montrant comment la seconde est un leurre, tandis que la première est fondatrice. Et, sur ce point, j'appellerai en renfort de grands philosophes.

Commentaires

  • Pour rebondir sur ce sujet, je vous conseille vivement la lecture du livre de Y Algan et P Cahuc: une société de défiance

  • Bonjour Gérard,


    Je vais essayer de me le procurer dès que possible. Merci pour la référence !

Les commentaires sont fermés.