En farfouillant du côté des travaux de nos sénateurs, j'ai fait une nouvelle découverte, et des plus intéressantes !
Marcel Deneux, sénateur UDF-MoDem, s'intéresse de très près à la question énergétique, et tout particulièrement à l'électricité. Il a co-rédigé en 2007 un excellent rapport intitulé l'Europe sous tension, dont voici une synthèse éclairante (joli jeu de mot, n'est-ce pas ?). La mission à laquelle Marcel Deneux a participé, mise en place à la suite de la panne d'électricité du 4 novembre 2006 ayant plongé dans le noir quinze millions de foyers européens, a analysé les dysfonctionnements potentiels d'un marché intérieur de l'énergie livré à une régulation purement concurrentielle et avancé des pistes de réflexion et des recommandations en matière de régulation. Dans le prolongement de cette initiative, ce groupe de travail a procédé à un certain nombre d'auditions ciblées et à plusieurs déplacements à l'étranger pour prendre connaissance des positions sur le « paquet énergie » des principaux partenaires de la France, mais aussi à Bruxelles pour faire le point avec des représentants de la Commission européenne. J'ai pu constater que Marcel Deneux et son groupe de travail s'opposent, à l'unanimité, aux projets de la Commission tendant au démantèlement des opérateurs énergétiques en Europe
Pour ma part, je suis heureux de trouver dans ce rapport des analyses qui rejoignent mes convictions profondes des longue date :
Le refus de la libéralisation du marché de l'électricité, au moins telle que l'envisage la commission de la CEE, compte-tenu de l'enjeu majeur que représente cette énergie.
La volonté de faire de l'auto-suffisance, pour les pays européens, et de la sécurité d'approvisionnement, les lignes phares d'une politique européenne de l'électricité.
La nécessité d'une maîtrise publique du système électrique, si possible au niveau européen, et je cite le rapport :
« L’électricité n’étant pas un bien comme les autres, la MCI considère que la sécurité de son approvisionnement nécessite une forte maîtrise publique du système électrique et impose une régulation, y compris au niveau communautaire dans le cadre d’un Pôle européen de l’énergie ».
Le groupe de travail auquel Marcel Deneux participe a émis un certain nombre de propositions frappées du bon sens :
1. Rendre obligatoire l’élaboration par chaque Etat membre de l’UE d’un document prospectif indiquant comment est garantie la satisfaction des besoins en électricité à un horizon de dix ans (bâti sur le modèle de la PPI de production électrique), la Commission européenne étant chargée par le Conseil d’en effectuer la synthèse au plan communautaire.
2. Instaurer des normes minimales de production afin que chaque Etat de l’UE soit en mesure de produire globalement l’électricité qu’il consomme.
5. Maintenir l’option nucléaire ouverte en France et assurer les conditions du remplacement du parc actuel par les technologies nucléaires les plus avancées.
8. De manière plus générale, promouvoir une diversification plus importante du bouquet énergétique français en développant les énergies
renouvelables afin de rééquilibrer les origines de la production électrique en France.
9. L’existence de tarifs réglementés de vente de l’électricité garantissant la protection des consommateurs, obtenir que les termes de la directive « électricité » autorisent explicitement le maintien d’un système tarifaire respectant le principe de couverture des coûts.
12. Confirmer l’opposition de la France à la forme actuelle du projet de séparation patrimoniale entre producteurs d’électricité et GRT.
13. Promouvoir une directive ou tout autre texte européen juridiquement contraignant établissant des règles de sûreté et d’information communes entre GRT en Europe.
15. Créer un centre européen de coordination de l’électricité susceptible de détecter en amont les risques de déséquilibres et de coordonner l’action des différents centres nationaux.
18. Compléter le maillage du réseau de transport français (notamment en Bretagne et en Côte-d’Azur) et étudier les moyens d’accélérer les procédures préalables à la construction de nouveaux ouvrages.
22. Durcir les normes de construction et de connexion des moyens de production décentralisés d’électricité, de sorte que ces installations ne se déconnectent pas instantanément en cas de perturbations sur le réseau.
25. Établir un plan national de la formation des professionnels de la performance énergétique du bâtiment.
27. Modifier l’assiette et certains taux du crédit d’impôt dédié aux économies d’énergie.
28. Moduler les droits de mutation pesant sur les bâtiments disposant du label « haute performance énergétique » (HPE) et « haute qualité environnementale » (HQE).
29. Ouvrir un prêt à taux zéro pour les dépenses réalisées sur des bâtiments existants ayant pour objet de réduire la consommation d’énergie.
34. Interdire la vente d’ampoules à incandescence sur le territoire national en 2010.
35. Encourager l’écoconditionnalité des aides aux entreprises.
38. Imposer la pose de compteurs intelligents à une échéance donnée.
40. Allonger la période d’heure d’été ?
Toutes les propositions me semblent bien pensées, mais j'ai trouvé la 28 particulièrement astucieuse. Le 17 avril dernier, Marcel Deneux a proposé une résolution sur plusieurs directives européennes à propos de l'énergie.
J'ai aimé quelques rappels en préambule de cette proposition, et notamment cette argumentation fondée sur la notion de Service d'Intérêt économique général :
Plus généralement, le groupe de travail souhaite réaffirmer que les fondements de la construction européenne ne reposent pas exclusivement sur la concurrence et que les services publics, à l'instar du service public de l'énergie, jouent un rôle important en matière de régulation économique et sociale. A ce titre, il relève que l'article 16 du traité instituant la Communauté européenne souligne le rôle joué par les services d'intérêt économique général dans la « promotion de la cohésion sociale et territoriale de l'Union » et invite la Communauté et les Etats membres à veiller « à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d'accomplir leurs missions ».
Très joli. Cela me plaît bien. On trouve dans la résolution les préambules suivant :
Estimant nécessaire le maintien de systèmes de tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz qui permettent à la fois de protéger les consommateurs contre les aléas des marchés libéralisés de l'énergie et de garantir la réalisation des investissements nécessaires ;
Considérant nécessaire l'adoption d'une directive-cadre sur les services d'intérêt économique général afin de préserver des services publics de qualité ;
[...]
Et puis,en conclusion le plus important, les déclarations (qui font consensus au sein du groupe de travail, constitué d'élus venus de tous les horizons politiques) :
1. S'oppose fermement à l'alternative proposée par la Commission européenne tendant à obliger les opérateurs énergétiques intégrés soit à procéder à une séparation patrimoniale de leur réseau de transport, soit à désigner un opérateur de système indépendant ;
2. Juge indispensable l'inscription dans les directives d'une troisième voie autorisant le maintien d'opérateurs énergétiques intégrés à la condition que les filiales chargées du transport exercent leurs activités en toute indépendance des sociétés mères et sous le contrôle du régulateur, lequel pourrait, le cas échéant, obliger à la réalisation des investissements nécessaires en cas de carence du gestionnaire du réseau de transport ;
3. Souhaite que soit rendue obligatoire l'élaboration par chaque Etat membre de l'Union européenne d'un document prospectif indiquant comment est garantie la satisfaction des besoins en électricité à un horizon de dix ans, à l'instar de la programmation pluriannuelle des investissements de production électrique en France, la Commission européenne étant chargée d'en effectuer la synthèse au plan communautaire ;
4. Estime nécessaire que soient instaurées des normes minimales de production d'électricité afin que chaque Etat membre de l'Union européenne soit en mesure de produire globalement l'électricité qu'il consomme ;
5. Souhaite que soit favorisé le développement de contrats d'approvisionnement en électricité à long terme pour répondre aux besoins spécifiques des consommateurs professionnels ;
6. Demande la modification des directives afin que celles-ci autorisent explicitement le maintien de systèmes de tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz dès lors que leur niveau couvre les coûts exposés par les opérateurs vendant de l'énergie sous ce régime.
Beau travail, Marcel Deneux et bravo, Messieurs les Sénateurs.