HAMAS : QUINDI versus l'HÉRÉTIQUE
J'enregistre un nouveau billet à la suite des réactions de Quindi au précédent. Avant toutes choses, je dois toutefois préciser qu'à mon sens, nos divergences ne proviennent pas seulement d'une différence d'appréciation de la situation, mais également d'un positionnement philosophique sur l'échiquier politique.
En effet, je tends à appliquer aux peuples ce que j'applique aux individus. Notamment, j'ai du mal à m'enlever de la tête que quoi que l'on puisse en penser, les peuples, tout comme les individus, sont majeurs et vaccinés et donc responsables de leurs actes, en tout cas, jusqu'à un certain degré.
Le Hamas envoie des roquettes sur les villes israéliennes depuis des années, avec une progression quasi-exponentielle ces derniers mois, en dépit d'une trêve. Le Hamas refuse par ailleurs toute reconduction de cette même trêve (limitée en fait aux attentats-suicide, et encore, je subodore fortement que ce sont surtout les services israéliens qui se sont améliorés pour intercepter les kamikazes...).
Comment les Gazaouis peuvent-ils s'étonner, dans ces conditions, que l'état d'Israël finisse par répliquer contre le mouvement qu'ils ont porté au pouvoir ? Le Hamas, avec une absence totale de scrupules, n'hésite pas à s'abriter derrière les populations civiles, y compris les plus vulnérables. Dernière en date : des activistes tirent à partir d'une école. Précédemment, c'est dans une mosquée qu'ils avaient caché des explosifs. Évidemment, l'armée israélienne réplique à chaque fois, et la presse internationale de hurler au crime et à la disproportion, photographies d'école calcinée, de mosquée en flammes, et corps d'enfants à l'appui.
Bien sûr, je me désole totalement d'une telle situation, et je souffre pour les enfants qui sont les victimes innocentes d'un conflit qui les dépasse. Mais je me refuse à faire porter le chapeau à Israël quand le Hamas est largement à l'origine non seulement de ce conflit mais aussi des dérapages. Je salue à cet égard la pertinence et l'acuité des prises de position tant de François Bayrou que de Nicolas Sarkozy à propos du Hamas. Je pense qu'ils ont très bien compris qui a allumé le feu et ont le courage de le dire clairement.
Il n'y a pas de ma part un parti pris en faveur de l'État d'Israël, mais la volonté d'établir la vérité. Je suis par ailleurs favorable à l'établissement d'un état palestinien et au partage de Jérusalem. Avant que le Hamas ne fasse (déjà !) tout capoter par la reprise de ses attentats suicides, Ehud Barak, quand il était au pouvoir, avait envisagé ce partage. Alors quand Arnaud dit que ce leader travailliste n'a pas de courage politique, je trouve qu'il pousse un tantinet la chansonnette.
Pour revenir à notre divergence, c'est que sur le fond, je crois à la responsabilité des individus comme des peuples. Je crois que l'on appelle ça le libéralisme, et que je suis pour large partie un libéral. En ce sens, mon positionnement politique oriente ma réflexion géo-stratégique.
Je profite de ce message pour souhaiter bonne chance au Président Sarkozy dans son entreprise. Dans une situation comme celle-là, une certaine union nationale est nécessaire. Je sais que l'homme bourdonne d'activisme. Les résultats ne sont pas toujours heureux dans notre pays, mais, jusqu'ici, à l'international, sauf quand il reçoit des tyrans chez nous, je l'ai toujours vu plutôt bien se débrouiller dans les situations de négociations (otages en Afghanistan, otages en Lybie, conflit du Caucase).
Je reviens à Quindi pour copier la dernière de ses réactions sur le billet précédent :
J'ai bien saisi que le but de l'opération était la destruction du Hamas. C'est ce même but que je conteste, car il me semble totalement irréaliste sans coût humain / militaire / diplomatique totalement délirant pour Israël, et le fruit d'une mauvaise planification des pouvoirs civils et militaires israéliens.
Plus qu'une destruction, je pensais à un affaiblissement. Ensuite, il s'agit d'un anéantissement des capacités militaires du Hamas. Et de toutes façons, il n'était pas envisageable pour Israël de demeurer les bras ballants en attendant de recevoir des roquettes.
Par contre je ne dis pas qu'elle est uniquement dictée par l'opinion publique, mais aussi par des militaires, peu conscients des risques politiques régionaux d'une telle opération, de la perte d'une occasion historique au niveau international (incapables de se projeter dans l'ère post-Bush), ainsi que des politiciens, aveuglés par les élections à venir, les défaites diplomatiques de Camp David II / Taba (Barak) et stratégiques de l'Intifada II (Barak), militaires au Liban (Kadima), politique à Gaza avec la prise de contrôle par le Hamas (Kadima) pesant trop lourdement dans leurs décisions, les leçons de leurs propres défaites trop peu (Liban 1996 et 2006), ainsi que les leçons de la lutte anti-terroriste internationale qui sont ignorées (Irak, Afghanistan, Pakistan, Indonésie, Philippines, Algérie, Somalie).
Il y a quelque chose qui manque dans tes analyses, Arnaud. Tu n'envisages jamais les occasions manquées du côté palestinien. Tes solutions sont totalement asymétriques. Pour qu'un processus s'enclenche, il faut au moins que le Hamas cesse de manquer à sa parole de manière systématique, utilise ses propres populations civiles comme bouclier ou explosif, et s'abstienne, enfin, de jeter des roquettes à tout va de son territoire, avec une irresponsabilité totale. S'il n'y a pas ces préalables, on ne peut rien faire. Tu dis que la stratégie israélienne est vouée à l'échec, mais je vois que le Hamas commence à envisager de discuter avec ses ennemis d'hier. Le Hamas est en très mauvaise position géostratégique, et Israël ne l'ignore pas : le Fatah le déteste, l'Égypte ne l'aime pas du tout (il est lié aux Frères Musulmans, à l'origine de beaucoup d'agitation et d'extrémisme en Égypte) et de l'autre côté, il y a Israël. Les seuls soutiens du Hamas, c'est la Syrie et l'Iran. Regarde sur une carte où se trouve Gaza, mais je pense que tu le sais bien : il va être de plus en plus difficile pour le Hamas de se réapprovisionner. Nécessité fait loi, tu ne l'ignores pas. Or, qu'apprené-je ? Eh bien le Hamas reprend langue avec l'Égypte... Je crois bien qu'un responsable égyptien a déclaré au début du mois de décembre que l'Égypte ne tolérerait pas un émirat islamique à sa frontière. Le Hamas est désormais pris entre le marteau et l'enclume. Contrairement à toi, je pense que la situation actuelle va amener des décantations imprévues, mais pas forcément néfastes in fine.
De façon plus générale, il n'y a pas de destruction possible d'une entité politico-terroriste de l'extérieur (seules exceptions connues: lorsque cette dernière est d'installation récente sans implantation forte, ce qui était le cas d'Al Qaïda en Irak; lorsque l'on mise sur la population favorable et mène une guerre sans merci, c'était le cas en Tchétchénie, mais ce n'est pas comparable car il n'y a pas de faction favorable en Israël, ou même dans une extrapolation intellectuelle où il s'agirait de Abbas, les moyens mis en avant pour le soutenir sont ridicules, donc inutiles et contre-productifs). Seule un split ou une perte de crédibilité parmi la population qu'elle défend (encore une fois Al Qaïda en Irak usant de méthodes récusées par les sunnites; ETA en Espagne post-Franco; les FARC en Colombie post-processus de paix, les deux derniers étant perçus comme trop violents par une écrasante majorité de la population; etc.) l'affaiblit durablement. Nous en sommes très loin en Palestine, donc spéculer là dessus, revient à prendre ses rêves pour la réalité, et oublier les considérations réalistes du terrain.
De destruction, peut-être pas, mais d'un affaiblissement faute de solution pour ce mouvement qui s'est coincé lui-même, je n'en suis pas si sûr.
L'erreur avec le Hezbollah avait été de croire qu'une guerre conventionnelle pouvait en venir à bout (c'est avant tout un mouvement politique populaire parmi les chiites, voire une frange des maronites; et comme le disait Claudio sur son blog, on ne va pas changer le peuple). L'argument de l'aérien vs. le terrain est un faux argument: 1. parce que la force du Hezbollah n'est pas uniquement basée sur le terrain qu'il occupe 2. parce que le terrain du Sud Liban où s'est déroulé l'essentiel de la guerre (désertique et peu peuplé) est infiniment plus propice à une guerre conventionnelle que Gaza (une théorique victoire israélienne sur ce territoire n'aurait rien changé à moyen terme, cela aurait été une victoire médiatique, au lieu d'une défaite médiatique, sans réel effet opérationnel) 3. parce que les opérations menées au Liban en territoire peuplé (Vallée de la Bekaa, et notamment Baalbek et ses alentours) ont du être arrêtées rapidement compte tenu du nombre de pertes civiles, c'était la leçon de 1996 avec "Raisins de la Colère" (qui avait fini par bombarder des camps de réfugiés de l'ONU). 4. la destruction d'infrastructures est ce qui fait perdre toute crédibilité à Israël dans le pays attaqué (il ne s'agit plus de veiller aux intérêts de ses citoyens, mais aussi d'handicaper tout développement d'autrui), dans la région (facile d'appréhender les problématiques liées à ces destructions) et à l'échelle internationale (+ comme le précise Fred, les infrastructures ne sont pas du Hamas, et ne jouent pas un rôle opérationnel fort). 5. les défaillances politiques du Hezbollah (notamment ses blocages institutionnels nationaux) sont balayées au yeux de la population civile compte tenu de son rôle prépondérant dans la défense du territoire ("résistance") et sa ligne politique claire de refus de négociations avec l'ennemi israélien (constance tant que les conditions préalables à la guerre n'auront pas changé au bénéfice de la population).
Je te concède tout ce que tu veux pour le Hezbollah, le Hamas n'est pas le Hezbollah. En outre, il y a une fraction non-négligeable de l'opinion libanaise qui s'est trouvée exaspérée d'avoir été entraînée dans la guerre par un parti minoritaire dans le pays.
A Gaza, les mêmes erreurs auront été commises, en pire: 1. la zone est dense et les dommages collatéraux sont inévitables;
La zone est dense, mais très peu étendue et adossée à la mer ou à des terres hostiles. Le Hamas ne dispose ni de base arrière ni de relais.
2. une opération de terrain est beaucoup plus risquée pour les militaires israéliens, d'où bombardement plus long, l'un et l'autre ont des effets minimes sur les infrastructures du Hamas, qui sont pour l'essentiel sous-terraines (sans en arriver au délire de Vietcong de Riot);
Je pense que les militaires israéliens ont tout de même pensé à cet aspect des choses. A mon avis, leurs objectifs militaires sont certainement plus précis que tu ne le penses.
3. les combats de rue souhaités par le Hamas sont un piège pour les israéliens (l'intensification des tirs de roquettes juste avant la fin de la trêve en était le signe) qui devront prolonger leurs opérations, à un coût humain supplémentaire sans gains opérationnels significatifs;
C'est surtout une souricière pour les Palestiniens que le Hamas utilise comme bouclier humain.
4. l'arrêt des roquettes de courte distance signifie occupation prolongée des franges frontalières, décrédibilisant les militaires et politiques israéliens après désengagement récent - l'arrêt des roquettes de longue distance est impossible même avec une occupation totale du territoire, très chère en coût humain, diplomatique, et de ressources / moral des militaires;
Je pense qu'un certain nombre d'arsenaux auront été détruits. Il ne sera pas si facile au Hamas de reconstituer ses stocks.
5. le nombre de morts civils est donc élevé et jugé inacceptable par la communauté internationale;
Il y a une bataille de l'information à mener du côté israélien. Une nouvelle fois, qui utilise sa population comme bouclier ?...
8. la destruction d'infrastructures est inévitable vu les moyens mis en oeuvre (bombardements), les civils meurent plus facilement de dommages collatéraux compte tenu des circonstances propres à Gaza du fait des israéliens (coupures électriques, manque d'eau, manque de médicaments, départ des humanitaires, blocage des frontières);
Oui, ça, c'est clairement en défaveur d'Israël.
9. il n'y a pas de stratégie de sortie israélienne de la crise à Gaza, qu'une stratégie de réengagement asymétrique menant forcément au statut de paria de la communauté internationale, mais de manière beaucoup plus importante, une perte de crédibilité négociatrice régionale et locale en Palestine.
Mais si il y a une sortie : la négociation. Tu paries sur le fait qu'Israël l'a radicalement exclue. Je n'en suis pas si sûr. Simplement, pas avec 1500 roquettes qui touchent les villes dans l'année, c'est tout.
Bref un net recul de toute possibilité de négociation réaliste, au pire moment, avec l'arrivée d'une nouvelle administration américaine, le réengagement diplomatique européen, le relatif consensus de la Ligue Arabe pour coordonner ses efforts de paix. Même dans le cadre d'une négociation de paix, ce serait Israël qui se retrouverait sans partenaire, ayant poussé son avantage tactique au delà de ce qui est acceptable dans une négociation de paix, notamment lors de la ratification populaire (formelle ou tacite) d'un tel accord. Encore une erreur historique, ça commence à faire beaucoup pour quelques roquettes.
Sauf que là, tu fais de la politique-fiction. Tu es dans un film, pas dans la réalité. Les seules pressions qui peuvent fonctionner, ce sont les pressions directes sur le Hamas et ses soutiens.
10a. Qui exercerait le contrôle policier à Gaza post éviction du Hamas? Que ce soit les israéliens ou le Fatah, ils feraient l'objet d'attaques de guérilla continues; il y aurait donc vide sécuritaire et intensification des conditions de guérilla même en cas de victoire partielle d'Israël sur le Hamas.
Je ne sais pas si Israël vise l'anéantissement du Hamas. Je ne le pense pas. Ce que les Israéliens visent, c'est l'affaiblissement de cette mouvance. Ce n'est pas pareil.
Bref, dans ce contexte, il n'y a pas d'effondrement possible du Hamas, sans coût excessif (humain, militaire, diplomatique) pour les israéliens, au contraire, il y aura probablement renforcement, et affaiblissement de l'Autorité Palestinienne. Même dans l'hypothèse d'un affaiblissement durable du Hamas, un autre groupe radical prendrait la relève (cf. Fred). Exactement l'inverse de ce qu'il fallait faire, sur la base des leçons de la guerre contre le Hezbollah, celles de la lutte anti-terroriste du XXIème siècle, celles de la décolonisation et lutte contre des mouvements de libération nationale au XXème siècle.
Effondrement, non, mais un espoir d'affaiblissement afin de l'amener à négocier, peut-être.