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Lectures - Page 2

  • Cousin Pons

    Cela fait déjà plus d'un mois que j'ai achevé le Cousin Pons d'Honoré de Balzac, et, à vrai dire, j'avoue que je n'en finis pas de le digérer, enchaînant méditation sur méditation à son sujet.

    J'ai trouvé dans le dernier Magazine littéraire une analyse intéressante à ce sujet. L'auteur y écrit que d'une certaine manière, l'écriture balzacienne est une contestation radicale du droit en vigueur. Le droit napoléonien ne reconnaît pas les situations affectives particulières. Le Cousin Pons voudrait tester en faveur de son ami Schmucke, mais en dépit de ses ruses, c'est à sa vile famille que ses biens reviendront.

    Ce qui se fait en droit ne cadre donc en aucune manière avec la réalité des sentiments. L'auteur de l'article évoque à ce sujet Ursule Mirouët que je me suis empressé d'acheter, du coup. Ce sera ma prochaine lecture.

    J'ai trouvé aussi dans ce livre matière à penser sur la frontière entre le mal et le bien avec la Cibot : voilà une femme qui accueille d'abord nos deux artistes par un mouvement de bonté naturelle. C'est lorsqu'elle entrevoit la possibilité de faire fortune qu'elle bascule dans le mal, ourdissant des stratagèmes dignes d'une Lady Macbeth ou encore d'une Tullia avec son père, le roi romain légendaire Servius Tullius.

    Ainsi, le fil est si ténu entre le mal et le bien, dès lors que l'intérêt bien compris entre en jeu...Ce sont finalement toutes les petites et grandes bassesses des hommes et des femmes qui font le "sel" du Cousin Pons. Pauvre Cousin Pons, pauvre "pique-assiette"...

  • J'ai fini la Cousine Bette

    Plus qu'à passer à un autre Balzac. Étonnant, tout de même, Balzac, par sa propension à friser le fantastique dans certains de ses romans. La vengeance du Brésilien Montès fleure bon  quelqu'antique malédiction inca ou, mieux encore, du vaudou. Une maladie qui décompose le sang en moins d'une semaine, et qui ne peut être guérie qu'aux «Indes». Quel final magistral. Magistral mais pas tragique : tout est bien qui finit bien ou presque. Les gentils sont récompensés, les méchants sont punis.

    Dans son histoire des XIII, l'atmosphère mystérieuse qui entoure les réunions secrètes ou encore un Ferragus m'avait déjà fait songer à plus d'un égard à ce genre littéraire.

    Quand je lis un roman de Balzac, je retrouve une évolution presque similaire dans le déroulement de l'action. Lent d'abord pendant une bonne moitié du roman puis accélération progressive et une montée en puissance dans les dernières pages, celles pour lesquelles je suis prêt à me coucher à 3 heures du matin pourvu que je puisse les dévrorer jusqu'à la dernière lettre.

    La Cousine Bette ne me paraît pas vraiment un personnage diabolique. Plutôt une vieille fille un peu mauvaise mais entière qui n'éveille pas vraiment l'attention. C'est en fait sa seule force. La virtuose, c'est la belle Valérie, même si elle finit en tas de boue pour en avoir trop fait. Pas de scrupules, experte à tromper son monde, un aplomb sans faille.

    Les hommes ne sont pas à la fête : Crevel, Hulot, des vieux débris, des tas de ruine libidineux. Steinbock, un bon à rien, un rêveur-poseur expert en paroles, limité en actes. Je partage l'avis de Balzac : avec des natures faibles de cette sorte, il ne faut pas des femmes douces, mais rudes ; le non-actif total, en somme, le Polonais.

    Il y a bien sûr Adeline, un modèle de dévouement, la dame patronesse chrétienne par excellence. Je vois déjà de là qu'elle a du déplaire à plus d'un, parmi ceux qui n'aiment pas le sentiment dégoûlinant, n'est-ce pas, l'Didier ? S'il considère Lady Dudley comme une forme d'idéal féminin, Valérie Marneffe a bien dû lui plaire aussi, à tous les coups...

    Eh bien moi, ma préférée, dans cette histoire, ce n'est pas une sainte, cette fois, Josépha, une jeune et belle actrice juive. Elle donne une leçon d'humanité extraordinaire à tout le monde, et par la manière dont elle prend soin finalement de Hulot, et par la noblesse d'âme avec laquelle elle accueille Adeline, sans pour autant renier ce qu'elle est (au contraire d'une Valérie Marneffe sur son lit de mort).

    Il ne me reste plus qu'à sélectionner mon prochain Balzac. A priori le Cousin Pons, mais j'envisage aussi une Ténébreuse affaire. Je pense aussi que je devrais relire la Peau de chagrin, alors...j'ai du pain sur la planche, sans compter les Illusions perdues qui m'attendent également sur ma table de chevet...

  • Ah, le gros dégueulasse !

    Sur les conseils du Didier, j'ai attaqué la Cousine Bette, puisqu'il m'assure que la vieille peau l'emporte en scélératesse sur la femme sur Colonel Chabert. Je n'en suis qu'aux toutes premières pages, mais j'ai fait la connaissance d'un gros dégueulasse qui vaut bien toutes les scélératesses de la Comédie humaine. Il s'agit de Célestin Crével, ex-commis de César Birotteau, qui a fait fortune. J'ai tout de même l'impression qu'il n'aime pas les parvenus, mon Honoré, à en lire les descriptions qu'il en rend.

    Célestin Crével, c'est l'espèce de gros rougeaud bedonnant et parvenu, sûr de son fait parce qu'il a de l'argent ; le voilà à expliquer à la baronne Hulot ses découchages avec le mari de cette dernière. On apprend avec force détail comment ces deux répugnants personnages débauchent avec force finance et pressions des jeunes filles de respectivement 15 et 13 ans. 

    Le malhonnête individu, pour se venger de ce que le baron Hulot lui a pris sa "petite", pour reprendre ses termes, veut déshonorer ce dernier avec la baronne, ce qu'il vient tout de go lui annoncer en menaçant d'empêcher la fille de la baronne, Hortense, de se marier faute d'argent.

    La grossièreté avec laquelle il annonce toutes ses prépositions dénote l'esprit vulgaire de ceux qui se sont enrichis à bon compte et en fripons.

    J'observe que la noblesse d'empire n'est pas mieux considérée par Balzac, à en juger le goût sordide du Baron Hulot pour les jeunes filles et très jeunes femmes...

    Après le Lys dans la vallée, cela va être "la merde dans le caniveau", cette histoire-là...

    Juste une observation encore sur la fameuse cousine Bette : wikipedia en fait d'ores et déjà l'infâme personnage diabolique que présage sa sale gueule. Trop tôt pour donner un avis, mais le fait est que la vieille fille laide donc pas baisée et même pas riche paraît une figure-émissaire idéale pour servir de caution aux calculs les plus infâmes. Je pressens pourtant que je me porterai du côté de la défense, au fil de ma lecture...

  • Requiem pour Henriette

    Et voilà. C'est non sans émotion que j'ai achevé la dernière page du Lys dans la vallée. Admirable Henriette était, admirable demeure-t-elle jusqu'à son dernier souffle. La fin du Lys entraîne le lecteur dans une improbable confrontation entre la belle Araballe, lady anglaise au charme aussi vénéneux qu'irrésistible et la Comtesse de Mortsauf, femme née pour aimer. Alors certes, si Arabelle incarne à merveille ces déesses païennes que l'on se plairait à idolâtrer, il lui manque une dimension humaine qui l'empêche d'atteindre au sublime, et peut-être au céleste, finalement. Félix critique l'Anglaise pour sa sensualité, voyant en elle la réplique en vice de ce qu'est Henriette en vertu. Ce n'est pas cet argument qui m'aura déterminé pour autant mais plutôt une remarque anodine sur laquelle n'insiste pas Félix mais qui me paraît essentielle : Arabelle n'aime personne. Non qu'elle détestât qui que ce soit, mais plutôt qu'elle voit dans chaque individu quelqu'un d'interchangeable. Séduire Félix ne répond d'ailleurs de son point de vue qu'à une certaine forme de caprice, ou, au mieux de curiosité intriguée. Peut-être aussi parce que Félix est capable d'aimer plus que tout homme : ainsi, la séduction orientalisante qu'exerce Arabelle sur Félix est réciproque. C'est la fidélité, la loyauté à toute épreuve, l'amour inconditionnel de ce jeune homme devenu un puissant qui attire l'attention de la belle Lady. Voilà un homme qui vit au sein d'une cour d'aristocrates et qui n'exerce pas son pouvoir, demeurant simplement sur sa réserve parce que son coeur est ailleurs.

    Tomber passionnément amoureux d'Arabelle est très tentant, parce qu'elle est de ces femmes qui inspirent une passion mordante et irrépressible. Passion qui brûle les sens, assurément, mais qui n'atteint pas l'âme. Tout comme Félix, j'aurais pu tomber sous le charme d'une telle femme. Mais j'aurais eu bien du mal à l'estimer en raison de son absence de qualités de coeur.

    Il en va autrement d'Henriette. Ses dernières volontés surgissent comme un dévoilement : ainsi, elle a toujours aimé, désiré même Félix, et ce bien au-delà de ce qu'imaginait Félix, puisqu'elle eût parfois souhaité simplement qu'il la brusquât et s'emparât d'elle. Soucieuse de ne pas déroger aux règles de la morale catholique, elle envisageait de placer Madeleine, sa propre fille entre Félix et elle. C'eût été terriblement malsain. En même temps, parce que Henriette est capable de très grands sacrifices, elle souhaite aussi que sa fille soit heureuse, du moins, ne souffre pas autant qu'elle. Or, connaissant la valeur de Félix, faire en sorte que les deux soient liés et s'unissent peut se comprendre. 

    Le malheur d'Henriette, c'est de ne pas comprendre suffisamment tôt que l'amour ne se commande pas, même si toute son existence est une vaine lutte contre ce dernier. Sa victoire qui sonne comme une défaite a finalement un prix terrible.

    Il y a une certaine facilité à décréter Henriette névrosée parce qu'elle résiste à son désir. Les vertus d'un christiannisme radical ne sont sans doute plus en vogue dans notre société de loisir, de consumérisme et d'apparence.

    La dernière lettre d'Henriette m'a fait penser aux confessions de Soeur Emmanuelle. Soeur Emmanuelle a désiré les hommes, et pendant longtemps. Ce désir l'a poursuivi. Mais elle savait aussi que si elle cédait aux plaisirs terrestres, il n'y aurait plus assez d'espace, dans son coeur, pour pouvoir se dévouer. Ce sont sans doute les mêmes pensées qui animent Henriette.

    Je suis trop mauvais, méchant et corrompu pour pouvoir éprouver l'amour entier que Félix voue à Henriette. Mais il me reste suffisamment de bon pour reconnaître en elle une grande âme. Une femme exceptionnelle, une mère aimante, une comtesse dévouée, affectueuse et emplie d'empathie pour les gens qui habitent sur ses terres. L'eussé-je rencontrée que je l'eusse admirée comme une soeur, un modèle secret que l'on érige en symbole, mais dont une force irrésistible finit par nous éloigner ; lui ressembler, le seul effet de la volonté ? Non, hélas, je partage le pessimisme d'un Schopenauer : il existe une volonté secrète qui guide nos actions à laquelle nous ne pouvons échapper. Contrairement aux jansénistes, je ne crois pas à la prédestination, si bien que cette volonté secrète ne me semble pas installée à la naissance. Mais, somme de nos accidents de parcours, de données biologiques et de notre expérience, une fois qu'elle est installée, j'ai le sentiment qu'elle est irrépressible, que rien ne peut l'arrêter, tout du moins, en pensée.

    J'ai beau pouvoir définir ce qu'est le bien, et assurément, si je me livrais à une définition, je me retrouverais sans difficulté accroché au train du catholicisme, je demeure incapable de le faire, parce que je ne parviens  pas à subjuguer instincts et désirs. Ainsi, c'est Henriette qu'il faudrait aimer, mais c'est sans doute pour Arabelle que j'aurais brûlé, parce que ma part d'ombre l'aurait certainement emporté sur ma part de lumière.

    L'Didier n'a pas ces pudeurs-là, lui, Henriette à ses yeux, est une névrosée, et Lady Dudley une vraie femme. Outre qu'il l'a écrit ici en commentaires, il l'a dit aussi quelque part chez lui, mais pas moyen de retrouver où.

    Je me demande souvent ce que l'on peut apprendre des livres. Beaucoup, à mon avis. Il y a même certainement des choses que l'on ne peut comprendre que dans des livres, parce qu'on n'aurait sans doute fort peu de chances d'y être confronté dans son existence.

  • Fabuleuse Henriette !...

    J'approche désormais de la fin du Lys dans la vallée. Je me demande parfois s'il n'y a pas un âge pour lire certaines histoires, ou, tout du moins, les comprendre. Comment une telle oeuvre a-t-elle pu m'échapper ? Un effet du bachotage ? A l'époque, il s'agissait pour moi d'étudier tout un groupement d'oeuvres : la Nouvelle Héloïse de Rousseau, les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos, Manon Lescaut de l'Abbé Prévost et le Lys dans la Vallée. Le Lys est fabuleux. Henriette est fabuleuse : voilà une femme mère extraordinaire, épouse sainte et entrepreneuse hors-pair, sage entre les sages, capable de comprendre la cour comme un courtisan expert.

    Douce, généreuse, emplie de mansuétude, charismatique (elle est appréciée des fermiers qui travaillent pour Clochegourde), cette femme semble parée de toutes les qualités.

    Je me demandais il y quelques mois, sur twitter, comment la productivité avait pu croître au fil du temps en Occident. J'ai une réponse claire avec le plan la Comtesse de Mortsauf pour améliorer le rendement de ses terres. C'est elle qui vainc les résistances et de son mari, et de ses paysans, pour les convaincre d'appliquer une nouvelle méthode, l'assolement quadriennal. Il ne faut faire pousser du blé sur la terre qu'une fois tous les quatre ans. Entre temps, on récolte d'autres produits. Pour venir à bout des craintes conservatrices du Comte et des métayers, la Comtesse, fait un test ouvert avec une seule ferme. Ce sont les résultats qui achèvent de convaincre les récalcitrants. 

    A cela s'ajoutent les talents d'une DRH : Henriette s'y entend à recruter des occupants de qualité. Elle compte au moins autant sur le facteur humain que sur la technique pour améliorer ses rendements. Ce en quoi elle ne se trompe pas, puisque, devant sa réussite, le Comte de Mortsauf finira par s'approprier l'idée de son épouse.

    En même temps, Blanche (le vrai nom d'Henriette) peut être monstrueuse à l'insu de son plein gré, pour plagier une formule célèbre. Si l'on admet que toute son attitude démontre qu'au fond, Félix lui inspire des sentiments, alors il faut entendre comme une révélation terrible son plan secret. 

    Lorsque Félix revient après plusieurs mois de liaison passionnée avec la belle Arabelle (Lady Dudley), Henriette ne parvient pas à masquer ses terribles désillusions. Il me semble bien se souvenir qu'elle laisse échapper, alors, à propos de sa fille Madeleine, qui a grandi depuis,  un je vous la réservais ou quelque chose de ce genre. Et j'ai le souvenir que quelque part au milieu de la lettre de Félix, bien avant la «tromperie» de ce dernier, elle prend un air entendu pour dire à Félix qu'elle a des projets, pour Madeleine, qui le concernent...

    Tout est dit à demi-mots, mais si j'ai bien compris, alors il y a quelque chose de monstrueux : voilà une femme prête à marier sa fille par procuration à un homme qu'elle aime secrètement parce qu'elle s'interdit de l'aimer comme elle devrait l'aimer, au nom de la morale et de principes catholiques.

    Il faudrait que je demande l'avis d'un autre lecteur histoire de voir s'il a bien compris la même chose que moi. L'Didier devrait pouvoir donner son avis s'il passe dans le coin.

     

  • Atlantico, c'est parti !

    Tiens tiens : en lisant l'Nicolas, je viens de découvrir un nouveau pure-player, comme on dit outre-Atlantique, sur la Toile française : Atlantico. Y'a du beau monde, là-bas, si l'on considère les premières signatures d'articles. On y trouve même, au milieu des philosophes et essayistes divers, mon affreux libéral favori.

    Évidemment, j'ai tout de suite pensé à Slate, et fait la comparaison. Altantico tombe à mon avis dans un travers qui touche largement les autres pure-players (Rue89, Mediapart, par exemple) : les unes sont convenues. Pas de sujet décalé ni de titre qui accroche pour la première page. L'accent est bien trop mis sur la politique, si bien que l'on peine à déterminer la valeur ajoutée de la Une. Il y a un peu de people et de l'insolite pour pondérer l'ensemble et des titres dans la tradition des sites et blogues de gauche pour attirer le chaland, c'est à dire, en somme, rien de bien nouveau sur le fond... Le ton réplique la sorte d'apostrophe au bon peuple, la recherche du coup et du titre fumants qui caractérisent nos blogues et la presse en ligne française dans son ensemble. Bref, d'Atlantico à Slate, le chemin sera long... Tenez, par exemple, le jour où je trouverai un article comme celui-là «Engager un mercenaire, combien ça coûte ?», on pourra considérer qu'Atlantico pourra commencer à rivaliser avec Slate.

    Allons, courage camarades ! il va falloir faire encore des efforts pour me donner l'envie de chercher Atlantico dans un moteur de recherche ou encore d'en taper l'url.

  • Pauvre bonhomme Chabert

    Dans la collection des Balzac, en voilà encore un autre que je viens de finir, juste avant d'entamer le Lys dans la Vallée : le Colonel Chabert. Pauvre vieux.

    Je me suis longtemps demandé, au fil de ma lecture, s'il parviendrait à faire enfin reconnaître son identité ou non. Je me suis même demandé pendant un temps si sa femme n'était pas sincère : après tout, la demande du vieil homme pouvait sembler incongrue si le colonel Chabert était censé être mort, d'autant que son vieillissement accéléré avait achevé d'en faire un autre homme.

    Et puis non. C'était bien lui. Homme droit face à une femme sans scrupules. Sans scrupules ? Allez savoir...Jamais Balzac ne présente les choses sous cet aspect, ou du moins, uniquement dans la bouche de la Comtesse de Féraud ; et même ainsi, il en fait un subterfuge pour mieux tromper le colonel Chabert. La question méritait pourtant d'être posée, et, c'est tout à son honneur, Chabert qui n'avait jamais voulu autre chose que de récupérer son identité, qu'on la reconnaisse, du moins, était tout prêt à laisser, par amour et délicatesse, sa femme vivre sa seconde vie.

    Balzac a préféré faire de cette femme un monstre, prête à faire disparaître le colonel une fois sa déclaration écrite de renonciation à son identité entre ses mains. C'est tellement plus agréable de passer du statut de Rose Chapotel à celui de Comtesse d'une famille reconnue...

    Dialectique de l'être et de l'avoir : le colonel ne cherche qu'à être ce qu'il est déjà, pas plus, quand les autres veulent avoir toujours davantage, à commencer par Rose.

  • Réhabilitons Félix (un peu)

    Je n'épargnerai rien à mes lecteurs : ils sauront tout (enfin, du moins tout ce que moi j'en pense) du Lys dans la vallée d'Honoré de Balzac. Je fais bien de relire ce livre. J'avais vraiment tout oublié... J'ai été dur avec Félix, je l'ai accusé d'égocentrisme parce qu'il parlait beaucoup de lui. Rendons-lui hommage : ses boquets de fleurs composés avec l'attention particulière d'un compositeur méditant sa symphonie méritent l'admiration et surtout, prouve sa capacité à se dépasser pour l'objet de son amour. Au passage époustouflant Balzac qui énumère en virtuose tout ce que les champs et les prés comptent de plantes à fleurs. J'ai laissé entendre que Félix était surtout en contemplation de lui-même, mais je corrige : il est sincèrement amoureux d'Henriette, puisqu'il est prêt à tous les sacrifices pour elle, même de se faire prêtre.

    Je me suis aussi intéressé à ses rapports avec les deux enfants d'Henriette, Madeleine et Jacques. Ils l'attendrissent, mais, est-ce le cas pour ce qu'ils sont ou simplement parce qu'ils sont les enfants d'Henriette ? Félix dit dans un premier temps que tout ce qui est proche d'Henriette mérite attention et amour. J'ai donc d'abord eu le sentiment que les enfants étaient objetisés. Mais par la suite, on sent dans les rapports que Félix entretient avec eux qu'une certaine forme d'autonomie (toute relative, toutefois) se forme entre eux, dans leurs relations. A ce stade-là, toutefois, si Henriette périssait, il est assez probable que les enfants retourneraient à leur statut d'objets d'Henriette. Toute proportion gardée, je vais faire un parallèle qui va faire bondir les puristes : dans la série de JK Rowling, Severus Rogue n'a de l'attention (bien cachée) pour Harry Potter que parce qu'il  a été amoureux de sa mère. Peut-être est-ce dans cette catégorie qu'il faudrait chercher au cas où Henriette périrait, encore que Félix est bien plus tendre et sentimental que Sévérus...

  • L'écriture de Justine

    Je crois que je n'en ai pas fini de commenter les deux livres de Justine Lévy, Rien de grave et Mauvaise fille. J'ai écrit dans ma note précédente sur Mauvaise fille que je trouvais l'écriture de Justine hachée. J'y ai bien réfléchi. En fait, quand j'ai tourné les premières pages de Rien de grave, j'ai eu la sensation bizarre de tomber sur une sorte de Petit Nicolas tragique et féminin.

    L'écriture de Justine Lévy réplique l'expression d'un enfant ou d'une adolescente. Je me suis demandé pourquoi, me doutant qu'une jeune femme aussi talentueuse ne pouvait avoir que fait sciemment ce choix d'écriture, et finalement, je crois avoir trouvé la réponse. Elle est à mi-chemin, j'en ai la sensation, des sentiments qui agitent Justine et de sa création littéraire propre.

    Dans ses deux récits autobiographiques, Justine apparaît toujours comme une jeune fille qui peine à prendre des décisions, et surtout, qui ne se vit pas comme une adulte libérée de ses parents. Je ne dirais pas qu'ils l'ont enchaînée d'une manière ou d'une autre, cela je ne peux le savoir, mais elle, à l'évidence, a bien du mal à voler de ses propres ailes ; non pas matériellement ou physiquement, mais psychiquement. Ses parents, son papa, sa maman, demeurent les références absolues de son logiciel.

    Du coup, je ne comprends son écriture que par le refus (ou la difficulté, du moins) à assumer un développement psychique et psychologique pleinement adulte. Or, franchir le seuil qui sépare définitivement l'enfant du parent (sans pour autant que les liens soient brisés) devient une nécessité avec la maternité. Il est difficile de se positionner comme mère (ou comme père) quand on est encore par trop l'enfant de ses parents. D'ailleurs, c'est quasiment ce qu'écrit Justine à la dernière page de son roman à propos de sa mère : il fallait qu'elle meure pour me laisser être mère à mon tour.

    J'ai relu la fin de Mauvaise fille ; ce n'est pas encore une certitude, mais j'ai eu l'impression d'une évolution du style. Une ponctuation plus correcte, des négations entières, moins de ruptures de construction et d'ellipses, tout ce qui contribue à générer une atmosphère stressante, tout au long des deux ouvrages, avec ces phrases qui se succèdent et se bousculent, les unes à la suite des autres, sans laisser au lecteur le temps de physiquement respirer.

    J'avoue attendre avec la plus grande impatience le prochain livre de Justine Lévy. J'espère qu'elle continuera à relater sa passionnante et riche existence. Peu de livres m'ont marqué autant que les deux siens.

  • Justine Lévy ou le sacré coup de cafard

    J'ai pour habitude de lire plusieurs livres en même temps. Parallèlement à mes lectures balzaciennes ou hegeliennes, j'ai achevé Rien de grave de Justine Lévy et je suis bien avancé dans son Mauvaise fille. Mauvaise fille ? Mauvaise mère, plutôt, oui...

    Dans une écriture volontairement naïve, elle relate les derniers mois d'existence de sa mère, simultanément à sa grossesse. Les deux livres m'ont intéressé sous plusieurs aspects.

    Le premier d'entre eux est sociologique : il révèle les turpitudes, les a priori et les passe-droits de cette petite société effervescente que consituent tous ces intellectuels engagés, à droite ou à gauche, des années 70 jusqu'à nos jours. Des gens qui donnent des leçons et veulent refaire le monde, mais ne sont pas foutus de s'occuper correctement de leur fille au jour le jour...Que l'on songe donc : quoi penser d'une mère qui laisse se promener sa fille toute seule à 5 ans dans la rue ou encore la confie à deux copines camées pendant 48 heures, la réduisant à n'avoir pour toute pitance que des tartines qu'elle a elle-même recouvertes de sel ?

    J'ai beaucoup de respect pour la relation que Bernard Henri-Lévy entretient avec sa fille. Il l'aime vraiment, et surtout, il s'en est vraiment occupé. J'ai été très touché par ses inquiétudes et la tendresse qu'il manifeste à sa fille depuis toujours. Mais bon, il fait aussi quelques belles c.....eries plus jeune, comme engager un braqueur italien comme baby-sitter pour Justine afin de l'exfillter, vraisemblablement au nom d'une amitié politique.

    Si on ajoute à cela l'atmopshère omni-présente de shoot, de drogues, de coke, de canabis, de médocs de toute sorte dans laquelle flotte Justine et pendant son enfance, et pendant son adolescence, ce paraître à tout prix qui met presqu'à égalité le show-bizz, les grands noms de la médecine et nos élites intellectuelles, on a un sale portrait de ceux qui prétendent tenir le haut du pavé. 

    Justine, elle le dit d'ailleurs, aurait rêvé d'une vie simple et normée. Avec des limites. Qu'on la réveille à l'heure pour partir à l'école, qu'on lui interdise les aliments qu'on aurait du lui interdire, qu'on aille la chercher à l'école, des vacances en famille, des choses simples, en somme.

    Le pauvre BHL : il a tout de même drôlement servi de tiroir-caisse, si l'on considère toutes les sinuosités des parcours de sa première épouse ou même de sa fille.

    J'ai toujours une sorte de gêne à lire le mot fauché dans le récit de Justine Lévy. Elle a été fauchée, sa mère a été fauchée, son compagnon aussi a été fauché, mais ils partent à Rome, fréquentent la haute société, disposent de passe-droits, bref, des choses qui, une fois de plus, ne manqueront pas d'énerver passablement le petit peuple, ou plus simplement, à chaque strate de la société, la base qui ne dispose d'aucun privilège particulier.

    Ça, c'est pour l'aspect sociologique.

    L'aspect humain, maintenant.

    Là, j'ai les boules. Dans Rien de grave, je voyais Raphaël (je ne me souviens plus du nom qu'elle lui donne) comme un intrigant, prétentieux et égocentrique. Mais finalement, il me restait de la lecture du livre une vague touche d'espoir.

    Je n'ai pas encore fini Mauvaise fille, mais cela réveille vraiment toutes les angoisses dormantes. Saloperie de cancer. Crever à petit feu d'un cancer inéluctable et sans rémission, entouré de médecins soit brusques, soit lénifiants, soit arrogants parce qu'ils ont un nom et une réputation, c'est en-dessous de glauque et cauchemardesque. Selon Justine Lévy, une personne sur dix sera atteinte au cours de sa vie d'un cancer. Elle ne doit pas être loin de la réalité. Mais l'univers qu'elle dévoile fait froid dans le dos. Agoniser des semaines au milieu des râles d'agonie de ceux qui crèvent à côté de vous. Bon sang, pas d'acharnement thérapeutique, m...., la dose de morphine forte, svp, très forte, s'il faut en arriver là un jour. 

    Reste la relation de Justine Lévy avec sa mère. En fait, je dirais plutôt que c'est la relation de Justine avec sa propre culpabilité. Il y a un passif entre Justine et sa mère. Sa mère ne s'est pas occupée d'elle quand elle était petite, au moment où il eût fallu qu'elle se comporte en adulte et non en adolescente écervelée. Des liens ne se sont pas créés, si ce n'est ceux de l'amertume ; il ne reste donc que ceux de la convention, et, une vague complicité. Alors Justine s'en veut de ne pas éprouver de sentiments face à la déchéance de sa mère. En fait, elle se trompe. Ce qu'elle n'éprouve pas, c'est le déchirement qu'une fille peut ressentir à la disparition d'une mère, mais elle n'en éprouve pas moins quelque chose. La preuve éclatante en est la culpabilité qui l'envahit : cette culpabilité n'est pas tournée vers le regard d'autrui, mais entièrement vers sa mère ; à preuve  le récit des défaillances de sa mère pour se disculper. Justine avait des comptes à régler avec sa mère. En fait, sa mère avait des comptes à lui rendre, plutôt. Mais parce que Justine est une émotive introvertie et timide, elle n'a jamais osé présenter l'addition. Peut-être par peur, peut-être aussi parce qu'elle a tablé, dès le départ, sur le fait que sa mère ne comprendait de toutes façons pas ses griefs.

    Sa mère : personnage typique de ces extra-punitifs libertaires des années 70. Jamais leur faute. Jamais de leur responsabilité. Ils ont toujours eu raison et fait pour le mieux, à leurs yeux, du moins. Que des certitudes. Un manequin longtemps habituée à ce qu'on la regarde. Paradoxalement, Justine aura voulu la protéger jusqu'au bout, étouffant les quolibets dégueulasses de petits merdeux sur une plage, serrant le cou de la bonhommie méprisante d'un grand nom de la médecine, donnant assurances sur assurances à sa mère pour lui éviter de désastreuses désillusions.

    Justine se reproche de ne pas avoir aimé sa mère comme elle eût voulu l'aimer, mais, son vrai problème, n'est-ce pas plutôt de ne pas s'être avouée qu'elle l'aimait vraiment, en dépit de toutes ses défaillances, parce qu'elle restait sa mère ? Une relation affective qui n'avait pas la force affective de celle qui la lie à son père, certes, mais une relation qui existait. Ce qu'elle a eu du mal à admettre, par exemple, c'est que l'on peut ne pas avoir envie de voir sa mère, qu'on peut s'ennuyer profondément en lui rendant visite à l'hôpital, et pourtant l'aimer. 

    Être une mauvaise fille, Justine, c'est presqu'aussi difficile que d'avoir une mauvaise mère...

    J'aime l'écriture de Justine Lévy, même si j'ai été au départ dérangé par sa syntaxe hachée et ses ruptures de construction incessantes. Elle a quelque chose. Son témoignage a le caractère d'une authenticité exceptionnelle. Il n'y a rien de faux  ni de fictif dans ce qu'elle écrit. Peut-être de la reconstruction, mais inconsciente et sincère. Décidément, les mères...après celle de Félix puis d'Henriette, je n'ai pas fini d'en parler ici...