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vertu

  • Requiem pour Henriette

    Et voilà. C'est non sans émotion que j'ai achevé la dernière page du Lys dans la vallée. Admirable Henriette était, admirable demeure-t-elle jusqu'à son dernier souffle. La fin du Lys entraîne le lecteur dans une improbable confrontation entre la belle Araballe, lady anglaise au charme aussi vénéneux qu'irrésistible et la Comtesse de Mortsauf, femme née pour aimer. Alors certes, si Arabelle incarne à merveille ces déesses païennes que l'on se plairait à idolâtrer, il lui manque une dimension humaine qui l'empêche d'atteindre au sublime, et peut-être au céleste, finalement. Félix critique l'Anglaise pour sa sensualité, voyant en elle la réplique en vice de ce qu'est Henriette en vertu. Ce n'est pas cet argument qui m'aura déterminé pour autant mais plutôt une remarque anodine sur laquelle n'insiste pas Félix mais qui me paraît essentielle : Arabelle n'aime personne. Non qu'elle détestât qui que ce soit, mais plutôt qu'elle voit dans chaque individu quelqu'un d'interchangeable. Séduire Félix ne répond d'ailleurs de son point de vue qu'à une certaine forme de caprice, ou, au mieux de curiosité intriguée. Peut-être aussi parce que Félix est capable d'aimer plus que tout homme : ainsi, la séduction orientalisante qu'exerce Arabelle sur Félix est réciproque. C'est la fidélité, la loyauté à toute épreuve, l'amour inconditionnel de ce jeune homme devenu un puissant qui attire l'attention de la belle Lady. Voilà un homme qui vit au sein d'une cour d'aristocrates et qui n'exerce pas son pouvoir, demeurant simplement sur sa réserve parce que son coeur est ailleurs.

    Tomber passionnément amoureux d'Arabelle est très tentant, parce qu'elle est de ces femmes qui inspirent une passion mordante et irrépressible. Passion qui brûle les sens, assurément, mais qui n'atteint pas l'âme. Tout comme Félix, j'aurais pu tomber sous le charme d'une telle femme. Mais j'aurais eu bien du mal à l'estimer en raison de son absence de qualités de coeur.

    Il en va autrement d'Henriette. Ses dernières volontés surgissent comme un dévoilement : ainsi, elle a toujours aimé, désiré même Félix, et ce bien au-delà de ce qu'imaginait Félix, puisqu'elle eût parfois souhaité simplement qu'il la brusquât et s'emparât d'elle. Soucieuse de ne pas déroger aux règles de la morale catholique, elle envisageait de placer Madeleine, sa propre fille entre Félix et elle. C'eût été terriblement malsain. En même temps, parce que Henriette est capable de très grands sacrifices, elle souhaite aussi que sa fille soit heureuse, du moins, ne souffre pas autant qu'elle. Or, connaissant la valeur de Félix, faire en sorte que les deux soient liés et s'unissent peut se comprendre. 

    Le malheur d'Henriette, c'est de ne pas comprendre suffisamment tôt que l'amour ne se commande pas, même si toute son existence est une vaine lutte contre ce dernier. Sa victoire qui sonne comme une défaite a finalement un prix terrible.

    Il y a une certaine facilité à décréter Henriette névrosée parce qu'elle résiste à son désir. Les vertus d'un christiannisme radical ne sont sans doute plus en vogue dans notre société de loisir, de consumérisme et d'apparence.

    La dernière lettre d'Henriette m'a fait penser aux confessions de Soeur Emmanuelle. Soeur Emmanuelle a désiré les hommes, et pendant longtemps. Ce désir l'a poursuivi. Mais elle savait aussi que si elle cédait aux plaisirs terrestres, il n'y aurait plus assez d'espace, dans son coeur, pour pouvoir se dévouer. Ce sont sans doute les mêmes pensées qui animent Henriette.

    Je suis trop mauvais, méchant et corrompu pour pouvoir éprouver l'amour entier que Félix voue à Henriette. Mais il me reste suffisamment de bon pour reconnaître en elle une grande âme. Une femme exceptionnelle, une mère aimante, une comtesse dévouée, affectueuse et emplie d'empathie pour les gens qui habitent sur ses terres. L'eussé-je rencontrée que je l'eusse admirée comme une soeur, un modèle secret que l'on érige en symbole, mais dont une force irrésistible finit par nous éloigner ; lui ressembler, le seul effet de la volonté ? Non, hélas, je partage le pessimisme d'un Schopenauer : il existe une volonté secrète qui guide nos actions à laquelle nous ne pouvons échapper. Contrairement aux jansénistes, je ne crois pas à la prédestination, si bien que cette volonté secrète ne me semble pas installée à la naissance. Mais, somme de nos accidents de parcours, de données biologiques et de notre expérience, une fois qu'elle est installée, j'ai le sentiment qu'elle est irrépressible, que rien ne peut l'arrêter, tout du moins, en pensée.

    J'ai beau pouvoir définir ce qu'est le bien, et assurément, si je me livrais à une définition, je me retrouverais sans difficulté accroché au train du catholicisme, je demeure incapable de le faire, parce que je ne parviens  pas à subjuguer instincts et désirs. Ainsi, c'est Henriette qu'il faudrait aimer, mais c'est sans doute pour Arabelle que j'aurais brûlé, parce que ma part d'ombre l'aurait certainement emporté sur ma part de lumière.

    L'Didier n'a pas ces pudeurs-là, lui, Henriette à ses yeux, est une névrosée, et Lady Dudley une vraie femme. Outre qu'il l'a écrit ici en commentaires, il l'a dit aussi quelque part chez lui, mais pas moyen de retrouver où.

    Je me demande souvent ce que l'on peut apprendre des livres. Beaucoup, à mon avis. Il y a même certainement des choses que l'on ne peut comprendre que dans des livres, parce qu'on n'aurait sans doute fort peu de chances d'y être confronté dans son existence.

  • Affaire Woerth-Bettencourt, quelle confusion des genres...

    J'aimerais bien faire entendre un autre son de coche sur l'affaire qui frappe Éric Woerth, mais franchement, c'est difficile, et ce n'est pas faute d'avoir épluché les informations à disposition sur la Toile.

    Comment Woerth peut-il s'étonner d'être l'objet de tous les soupçons alors qu'il dîne avec ceux que ses services sont chargés de contrôler et que son épouse travaille pour l'un d'entre eux ?

    Je n'ai pour l'argent la détestation de Bayrou (détestation qui m'agace, au demeurant) mais en revanche, je partage tout à fait son analyse sur la nécessité absolue d'une séparation claire entre intérêts privés et intérêt public.

    La République, c'est tenir le monde des intérêts privés, le monde de l'argent en lisière. Or, Nicolas Sarkozy a fait un projet politique qui consistait, pour faire comme les Américains et les Anglais, à marier le monde des intérêts privés et celui de la politique.

    Je n'aime pas que l'on qualifie de dégueulasserie le système américain. C'est un autre système que le nôtre, c'est tout. Je ne l'aime guère, mais, à défaut, là-bas, en Amérique, de telles collusions au plus haut niveau ne passerait pas.

    Bayrou n'en a pas moins raison, et l'on retrouve les accents fort justes de son Abus de pouvoir, de voir dans cette affaire non la malhonnêteté d'un homme mais la marque d'un système.

    La question n'est pas tant : est-ce-qu'il a fait quelque chose, mais, est-ce que le soupçon peut s'introduire dans cette affaire?

    C'est exactement la question que devrait se poser tout édile public. Tout comme Montesquieu, je considère que c'est la vertu qui fait la solidité de tout régime républicain. La moindre des choses seraient de ne pas lui donner à prêter le flanc.