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Le Lys dans la vallée et les résiliences de Félix

L'Didier m'a inspiré : moi aussi je me suis mis à relire le Lys dans la vallée d'Honoré de Balzac. Contrairement à lui, je n'ai jamais trouvé l'ouvrage mièvre, à l'époque où j'étudais le roman par lettres. L'inconvénient, dirais-je, c'est surtout d'avoir lu ce livre trop jeune. Je viens juste de parcourir les premières pages. Félix de Vandenesse y déroule une existence malheureuse, ignoré et méprisé tant de sa famille que de ses semblables. Balzac se pique de vraisemblance, mais, à vrai dire, je me suis interrogé : Félix se perçoit comme un être aimant, désespérant de trouver de l'affection. Il se refuse à la flagornerie auprès des "puissants" quand il manque de ressources. La question que je me pose est la suivante : comment avec des parents durs sinon absents peut-il avoir développé des valeurs humaines fortes et l'amour de son prochain. Les premières lignes de la lettre à Blanche de Morsauf sont une longue litanie de plaintes. J'ai cru que j'avais ouvert par erreur les Confessions ou les Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau. Je me suis d'ailleurs demandé si Félix avait vraiment souffert dans on enfance ou si le malheureux avait développé au fil du temps une paranoïa singulière, tant le monde entier semble le rejeter, à l'en croire. Sa mère est une folcoche en puissance, pas très loin de la mère d'un Poil de carotte, et le père finalement, de ces pères absents et lâches qui cèdent à des femmes hystériques par ennui ou par faiblesse. En effet, le jour où Félix fait une dette de cent francs, le père est d'avis de faire preuve d'indulgence quand la mère y voit le plus sûr chemin vers le vice (ce en quoi elle n'a pas forcément tort, au demeurant...).

Aimer s'apprend. Pas par un apprentissage scolaire mais tout simplement par imprégnation. Comment ce garçon peut-il avoir appris à aimer s'il n'a pas été lui-même aimé ? Comme je me souviens encore de ma première lecture du roman, il y a plus de 20 ans, il me revient à l'esprit que le Félix se fait renvoyer sur les roses par Natalie de Manerville à laquelle est adressée la lettre. Elle s'exaspère de ce que Félix lui envoie une longue lettre pour ne parler que de l'amour qu'il a éprouvé pour une autre femme, soit-disant pour mieux se faire connaître de sa nouvelle aimée. Natalie conclut qu'elle ne sera pas le nouvel objet de sa passion et le repousse.

J'ai quelque méfiance quant à l'authenticité du témoignage de Félix : un individu qui parle autant de lui se regarde surtout beaucoup. Dès lors, la véracité des comportement qu'il prête à sa mère d'abord, son frère et ses soeurs ensuite, est plus que sujette à caution. Il faut même une sacrée dose d'égocentrisme, et, par suite, en raison de la naïveté de ce sentiment chez Félix, de goujaterie pour raconter si longuement à une femme à laquelle on a déclaré sa flamme son premier amour passionnel. Égocentrisme, naïveté, goujaterie, bêtise, même, finalement. Absence de psychologie la plus élémentaire envers une femme.

Toutefois, un fond de vérité peut substister : Félix en cherchant une femme plus âgée, ce qui n'est pas commun pour les hommes de son temps, cherche peut-être la mère, mère qu'il a le sentiment de ne pas avoir eu. 

En dépit de son égocentrisme forcené, Félix n'est pas un mauvais bougre. S'il peut aimer, c'est qu'il y a une forme de résilience chez lui. Or, toute résilience est l'effet de choses positives que l'on a vécu dans sa vie. Il reste à savoir lesquelles : je ne sais pas si j'en trouverai la trace dans la longue lettre qu'il adresse à Natalie de Manerville. Je serais tenté évidemment d'ajouter qu'il n'est vraiment capable d'aimer qu'une seule personne : lui-même. Attendons de voir avant de pousser l'acte d'accusation...

Commentaires

  • c'est vrai que c'est plus intéressant que de parler politique :)
    Aimer ... vaste sujet ... les psychiatres te diront que bien souvent c'est l'idée de l'amour que les gens aiment. Et ce Félix là à mon avis ne sait pas aimer et ne s'aime pas non plus ... il est davantage en quête de reconnaissance que capable d'amour.

  • @Mirabelle
    C'est aussi mon avis. Ce qui m'étonne, toutefois, c'est le romantisme du personnage et son code de valeurs. Un enfant qui eût été vraiment maltraité n'aurait pas développé ces traits.

  • Je ne sais pas, il a pu vouloir inventer l'amour et le sublimer ...

  • c'est que je ne me souviens plus du tout du bouquin, il faudrait que je le relise !

  • @L'hérétique,
    Voilà une esquisse psychologique finement poussée ... que n'aurait peut être pas démenti l'auteur du Lys dans la Vallée. Peut être a t'il manqué à Fabrice davantage de temps pour corriger ce qu'il donnait à paraître de lui même. L'enseignement que vous donnez de Fabrice est presque à la lisière entre le roman et la réalité de la vie. La distance heureuse que l'on exerce sur soi-même est certainement un facteur d'ouverture sur autrui dans l'histoire d'une relation amoureuse, à condition d'accepter fondamentalement que l'on est pas le seul maître à bord. Privés de ces prémisses essentielles, aimer et savoir partager avec sa partenaire demeurent un apprentissage difficile. Heureusement que l'expérience de la vie permet parfois de corriger ces trajectoires assez désastreuses, qui à la base trahissent des défauts de jeunesse perpétrés par une certaine éducation.
    Écrit par : Jourdan | lundi, 14 février 2011

  • Bonjour Jourdan
    J'en suis au passage ou Mme de Mortsauf raconte à son tour son enfance à Félix. Je la crois plus crédible. Je vais en parler dans un prochain billet.

  • Bonsoir l' hérétique, sujet de dissertation du Bac de francais:
    "Un philosophe a déclaré qu'il avait beaucoup plus appris sur l' économie et la politique dans les romans de Balzac qu'en lisant les économistes et les historiens. Dans quelle mesure la lecture des romans permet-elle de connaitre une période historique et une société?"

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