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bonheur

  • Le bonheur animal

    On nous annonce souvent dans les zoos des durées de vie à n'en plus finir pour des animaux, qui, dans la nature, auraient péri bien plus tôt.

    Je me dis souvent que cela n'a rien de drôle de passer son existence dans une fosse, derrière une grille ou dans un aquarium.

    En même temps, les animaux qui naissent dans les zoos n'ont jamais connu d'autres environnements. Ils sont certes aliénés parce qu'à l'évidence autres qu'à l'état naturel, mais sont-ils malheureux pour autant ?

    Ils sont soignés, nourris, surveillés, ne connaissent pas le stress de devoir échapper à des prédateurs et plus généralement tous les dangers inhérents aux divers milieux naturels. 

    Il y a quelques années, j'étais demeuré soufflé par le cas particulier d'une colombe (ou une tourterelle, j'ai un doute sur l'espèce) ayant atteint l'âge phénoménal de 60 ans en capitivité, ou, tout du moins, aux côtés d'un couple d'humains qui l'avait recueillie, 50 année plus tôt, alors qu'elle était petite et blessée. En parcourant des forums, j'ai vu que cet animal peut parfois atteindre jusqu'à 40 ans, mais l'âge maximal attendu est plutôt de l'ordre de 10 années en règle générale...

    Je n'ai pas pour objectif d'écrire un plaidoyer pour les zoos, mais je m'interroge simplement sur ce qu'est le bonheur pour un animal et cette question rejoint nos propres interrogations : dans de nombreux courants écologistes on fait sien le parti pris de Jean-Jacques Rousseau qui est de considérer que l'homme est naturellement bon et heureux tant qu'il mène une vie sauvage. Ce parti pris n'est d'ailleurs pas propre à Rousseau : au XVIIIème siècle on faisait du bon sauvage l'envers moral de la décadence de la civilisation et nombreux sont les écrivains à en avoir fait le paradigme de la vertu. Voltaire et son Ingénu, Chateaubriand et son Atala et bien d'autres encore.

    Il me semble que la question qui vaut pour l'homme vaut aussi pour l'animal. Mirabelle qui s'intérese souvent au sort des animaux me semble très qualifiée pour donner son avis sur une telle question. je crois que je vais en faire une chaîne.

    L'Didier qui aspire à élever une meute de chiens  et nourrit les chardonnerets pourrait aussi donner son avis sur ce qu'il estime être le bonheur animal et pas seulement celui d'Elstir ou de Golo (un chaton) , hein ?

    Je ne sais pas trop à qui d'autre je pourrais proposer la chaîne, la plupart des blogues que je fréquente ne s'intéressent qu'aux animaux politiques. Peut-être Rosa qui passe à nouveau de temps en temps ici et soignait les hérissons il y a cinq hivers ?

  • La violence et les extra-punitifs...

    Dans ma prime jeunesse, je me suis piqué de psychologie, et me suis montré lecteur assidu des Mucchielli père et fils (Alex et Roger). J'ai notamment parcouru avec attention les réactions de défense dans les relations inter-personnelles. Je me souviens notamment de la classification qu'il en faisait selon les caractères des individus. Il distinguait l'impunitif (les malheurs ne sont la faute de personne mais de l'enchaînement des circonstances), l'intro-punitif (c'est ma faute si la centrale nucléaire de Fukushima a volé en éclats) et l'extra-punitif (salauds de profs qui ne savent pas gérer les situations de conflits avec les gentils apprenants).

    Manager, gérer, se former, c'est la grande mode par les temps qui courent. La violence s'accentue à l'école ? Il faut former les profs, ils ne savent pas la gérer. On lance des pavés sur les CRS dans les cités ? Situation de conflit classique avec de gentils jeunes gens qui cherchent simplement à attirer l'attention de la société. Licencié et au chômage suite à délocalisation ? On va vous former pour apprendre à chercher un emploi.

    On a dit du XIXème siècle qu'il était hystérique et du XXème qu'il était névrotique. On pourra dire du XXIème siècle qu'il aura été pervers. On y cultive le bon sentiment, et on y fait de la compassion (surtout quand elle ne coûte rien) l'alpha et l'oméga de toutes choses alors même que notre société devient impitoyable pour les perdants, sur lesquels nous jetons un voile pudique.

    Les associations vertes fleurissent, on évoque la protection des animaux dans le temps même où l'on a industrialisé à grande échelle leur massacre et où espèce sur espèce s'éteignent.

    De grandes marches pour protester contre la violence et les incendies de commissariats, de logements sociaux, d'écoles maternelles, ce crèches, même ? Les briquets qui sont brandis dans les défilés sont ceux-là mêmes qui ont enflammé mèches et bidons d'essence, comme l'observait avec acuité Xavier Darcos il y a une dizaine d'années.

    On porte sur les fonds baptismaux l'enfance ? On conspue (à juste titre) les pédophiles ? Mais pendant ce temps, on organise les défilés de beauté pour enfants, et la mode prévoit pour de toutes jeunes filles des vêtements que des femmes honorables évitent de porter. Côté garçons, c'est la racaille et la mode racaille qui sont portées aux nuées ; le blouson noir autrefois, le rappeur aujourd'hui, le fumeur de joint, le présentateur qui s'en met plein les poches et cetera...

    Les coachs, les invitations à cueillir le jour, les idéologies de développement personnel fleurissent, et dans le même temps, les conditions de travail se sont dégradées au point que nous sommes beaucoup plus proches de la misère de la condition ouvrière du XIXème siècle que nous le pensons. Pour les précaires, c'est "marche ou crève" et il n'y a pas d'autre issue.

    Le grand marché de Noël nourrit les consciences et les charity-business de toutes sortes au moment même où les enfants chinois et nord-coréens se crèvent la carcasse à l'alimenter pour nous.

    On cultive, enfin, le culte du gratuit, le souci de n'avoir aucun effort à faire, et pour la jeunesse, le slogan "citoyen" remplace l'initiative et l'esprit d'entreprise qui sont muselés par tous les moyens.

    L'honneur, le courage, la générosité, la courtoisie sont des valeurs révolues sauf s'ils servent à mener de grands shows télévisés à grand renfort de tapage médiatique.

    Bref, nous baignons dans une société dont l'hypocrisie atteint des sommets.

    Ils sont bien peu aujourd'hui à se tourner vers un modèle de développement humain dont l'individu est le coeur. C'est le chemin emprunté manifestement par Thierry Crouzet dans sa Tune dans le caniveau, qui en dépit des reliquats idéologiques qui marquent sa narration, n'en considère pas moins que ce n'est qu'en se changeant que l'on peut changer le monde. C'est aussi une idée qui est relativement présente dans toutes les associations qui promeuvent le développement durable, comme les Amis de la Terre, par exemple, ou encore dans le programme politique du MoDem dont le préambule annonce la volonté de libérer l'individu et son esprit d'initiative.

    Toutefois, des trois (rares) contre-exemples cités, Thierry Crouzet est le seul à engager autant la responsabilité des individus qu'il n'invite à leur libération.

    Elles sont loin les sagesses pratiques des écoles de l'Antiquité, épicurisme, stoïcisme, pythagorisme, qui faisait de l'être humain et sa capacité à se modifier (ou au contraire à demeurer égal) la pierre angulaire du chemin vers le bonheur.

  • Les conditions de travail plutôt que le temps de travail...

    Tous les derniers combats de la gauche sur le travail, depuis trente ans, se sont concentrés sur le temps de travail plutôt que sa qualité.

    Quand j'analyse les motifs pour lesquels les Français s'arc-boutent sur la retraite à 60 ans, je vois que c'est surtout la pénibilité de leur travail qui les pousse.

    En réalité, presque tous les emplois deviennent les uns après les autres pénibles parce que le stress, la compétition, l'agressivité ont envahi toute la sphère de l'emploi. Concurrence pour trouver un emploi à 25 ans, concurrence pour en garder un à 50 ans, menaces de délocalisation, course à la performance, dévalorisation dans la fonction publique, la liste des maux qui menacent l'exercice même du travail serait longue à établir. Les suicides en entreprise, impensables il y a encore 20 ans se multiplient, désormais ; et la sphère du privée n'est pas la seule touchée. Des cas diplomatiquement tus touchent aussi la fonction publique.

    C'est le sentiment de ne pas pouvoir durer qui plus que tout affole, sans doute à juste titre, ceux qui voient avec effroi leur durée de travail à nouveau s'allonger.

    La question de fond, et je la partage avec Théodore Zeldin, que Karim-Émile Bitar interrogeait dans son Regards sur la France en 2006, c'est la signification de la valeur travail dans nos sociétés modernes.

    Pourquoi les Socialistes ont-ils mis en place les 35 heures ? Au prix d'un reniement des valeurs fondamentales du socialisme, et notamment l'idée que le travail émancipait l'être humain. 35 heures parce que le travail c'est dur. Alors oui, si l'on travaille 35 heures, ce sera encore plus dur, mais cela ne sera que 35 heures ; c'est toujours cela de gagné. Voilà qui en dit long sur l'état de la valeur travail dans l'opinion.

    Les syndicats avaient obtenu des choses intéressantes, dans de nombreux secteurs : comités d'entreprise, aides financières de l'entreprise, statuts, solidarités diverses dont il ne reste rien, au final.

    Voilà un point sur lequel je suis radicalement en désaccord avec Hashtable et Aurélien, le Président du Parti Libéral-Démocrate, par exemple. Aurélien en particulier reproche à la CGT de gérer les loisirs et les vacances des salariés d'EDF. Eh bien la CGT a bien raison, et elle devrait faire de l'idée de la priver de cet avantage un casus belli. Ceci ne l'exonère évidemment pas de publier des comptes corrects, mais le principe d'une inter-pénétration harmonieuse entre vie privée et vie professionnelle via les Comités d'entreprise est loin d'être une idée idiote, quand bien même elle aurait un coût.

    Google est l'exemple même de l'entreprise rêvée pour ceux qu'elle emploie : des horaires aménagés, une grande liberté, des avantages considérables, et, au final...l'envie d'y passer toujours plus de temps.

    Le monde du travail ne devrait pas se résumer à un "chacun pour sa pomme" et "crève ou marche".

    Seulement, pour réinventer un modèle solidaire de vie professionnelle, il y a un chemin très long qu'une société aussi individualiste que la société française a bien du mal à emprunter...

    Il faut enfin se réhabituer à l'idée que le bonheur et le travail ne sont pas nécessairement antinomiques. Il reste alors à poser les fondations d'un système ou l'emploi ne vire pas au cauchemar pour les Français...

  • Un idéal de perfection individuelle

    J'entends souvent dans la bouche de proches ou de gens que je côtoie que notre société est individualiste, égoïste, même. Et l'on déroule, çà et là, les phrasés sur les nécessaires solidarités, ou encore la redistribution des richesses.

    C'est saisissant de voir à quel point l'égoïsme ne réside pas dans notre modèle de société mais vraiment dans les comportements individuels. Et il ne faut pas s'y tromper : l'égoïsme n'a pas de couleur politique. Les mêmes qui déclarent vertueusement être les défenseurs du service public sont parfois les premiers à rejeter avec un égoïsme forcené bien que gêné la différence. La religion n'est pas non plus une sauvegarde. J'ai à l'esprit le statut particulier du handicap.

    Pas de pitié pour les crapauds dans nombre d'établissements du second degré : ici, dans le public, refus de présence d'auxiliaire de vie scolaire dans les classes par certains enseignants, par exemple, parce qu'ils perçoivent l'AVS comme une "gêne" ; là-bas, dans le privé, une mère pratiquante, habituée de la messe de 11h00 le dimanche refuse catégoriquement une fusion avec un établissement pour handicapés parce qu'elle ne veut pas que ses enfants fréquentent des "tarés".

    A désespérer de la nature humaine. Ils peuvent bien crever, ces pauvres gamins pas gâtés par les hasards de la fortune, auxquels on refuse toute mansuétude, toute assistance pour des motifs largement irrecevables.

    Sur le fond, la générosité, ce ne peut être une politique publique. C'est avant tout un comportement individuel, un idéal de perfectionnement personnel.

    N'attends pas que les événements arrivent comme tu le souhaites ;  décide de vouloir ce qui arrive et tu seras heureux.

    Manuel, VIII, Épictète

     

     

  • Dépend-il de nous d'être heureux ? (sujet de philo 2010)

    Je viens de prendre connaissance des sujets du bac de philosophie pour l'année 2010. On trouve par exemple en série scientifique «dépend-il de nous d'être heureux». Typiquement le genre de questions qui m'intéressent.

    Il y a dans ce sujet une alternative : soit le bonheur dépend de quelque chose (par exemple de nous) et, dans ce cas, il n'est pas accidentel, mais s'inscrit dans un engrenage de cause à effet, soit il ne dépend de rien, et dans ce cas, nous n'avons aucun pouvoir dessus car il est le fruit du hasard.

    S'il dépend de quelque chose, il dépend soit de nous, soit d'une cause extérieure. S'il dépend de nous, il renvoie aux sagesse pratiques en particulier. Je pense à celle des Stoïciens ou des Épicuriens. Pour les premiers, l'homme de bien demeure imperturbable face à l'adversité, tandis que les seconds proposent de s'abstenir de toute peine. Or, la peine résidant dans le défaut ou dans l'excès, il faut alors s'abstenir de l'un et de l'autre. Il y a bien sûr une dimension joyeuse dans l'épicurisme : s'abstenir de ce qui fait souffrir, mais s'ouvrir aussi à la joie. Ainsi, Épicure, dans sa lettre à Idoménée, en dépit des souffrances infligées par sa maladie, se réjouit de voir ses amis et des souvenirs heureux et communs qu'il a avec eux.

    Difficile de border l'envie dévorante qui alimente un consumérisme toujours renouvelé dans nos sociétés modernes. Difficile également d'éviter les contingences absolues du corps. Avoir faim, froid, soif, sont des barrières presqu'infranchissables si le chemin qui mène au bonheur est un parcours d'obstacles.

    L'idée que le bonheur dépend de nous cache aussi un autre pré-supposé : qu'il ne dépende pas des autres. Tentation autarcique s'il en est. C'est celle de l'ermite qui se retire du monde, de l'ascète qui se prive de tout ce qui nourrit ses envies et ses désirs. Mais si notre bonheur est en autrui, ou, tout du moins, dans la relation à autrui, il ne dépend pas entièrement de nous. Il nous appartient, dans ce cas, de nourrir cette relation et de poser sur elle un regard favorable, amical et débonnaire.

    Je ne pourrais pas achever cette note sans me demander tout de même ce qu'est le bonheur : est-ce une sorte de tranquillité de l'âme, une forme de sérénité, ou au contraire, une extase absolue telle que seuls la grâce ou l'idéal peuvent offrir, ainsi la contemplation des idées chères à Platon ?

    Je n'avais pas le désir, en rédigeant cette note, de proposer un corrigé aux étudiants qui viendraient à passer, à faire oeuvre scolaire, en somme, mais simplement à poser sur l'écran les quelques réflexions qu'un tel thème de réflexion m'inspirait. Ma note, très loin d'être exhaustive, demeure ouverte à qui désire s'en emparer et rebondir.

  • Du bonheur en économie.

    J'ai lu les billets respectifs de Hashtable et de Toréador à propos de la dernière idée géniale de Nicolas Sarkozy : mesurer le bonheur national brut. A vrai dire, je ne vois pas trop ce que je vais pouvoir ajouter de plus tant je partage globalement leur avis sur la chose. Que cherche-t-on à faire avec un tel outil statistique ? Comment peut-il avoir un sens dans nos sociétés marchandes qui ont fait du bien-être la mesure de toutes choses ? Plus largement, je commence à m'inquiéter quand un État s'avise de décréter si je suis heureux ou non. Bien que l'idée naisse en démocratie, ce sont plutôt les états totalitaires qui se targuent, en règle générale, de pouvoir calculer scientifiquement le bonheur des citoyens.

    D'après le rapport remis à Sarko, de nouveaux indicateurs doivent donc être créés pour mieux prendre en compte les activités non-marchandes (travaux domestiques, bénévolat, loisirs...), l'accès à la santé ou l'insécurité, tout en reflétant davantage les inégalités. Ah bon ? et ils n'existent pas déjà ? Quand je vois déjà comment l'Intérieur faisande allègrement les chiffres de l'insécurité en France, je me dis que cela promet.

    Toutefois, ils sont quelques uns à se demander à l'heure actuelle, si l'économie est une science morale. Amartya Sen a cru pouvoir répondre par l'affirmative, tandis que les économistes autrichiens, qui récusaient tout positivisme, n'ont jamais réussi à donner une justification morale à leurs théories. J'ai déjà exprimé les critiques que j'adressais aux capabilités d'Amartya Sen.

    Il s'ajoute enfin un autre problème : le calcul du PIB est une mesure internationale reconnue par tous avec des critères communs. Il en ira tout autrement d'un indice intégrant le bien-être, susceptible de varier selon le niveau de développement et selon les cultures.

     

  • Enfants de l'Ariège ou l'Odyssée d'un bonheur impossible

    J'ai lu l'article du Figaro sur l''incroyable odyssée des enfants Fortin. Je trouve cet article très éclairant, parce qu'en filigrane, on devine ce qui a opposé le père et la mère des deux adolescents. La mère l'a dit, à la fin de l'article, elle a voulu se séparer de son mari et récupérer la garde des enfants dès lors qu'elle a compris que leur père ne voudrait pas les scolariser. Dans ce même article, le journaliste évoque la vie des deux jeunes garçons avec leur père : vie au milieu de la nature, à proximité d'une communauté rurale, parmi des animaux domestiqués, au sein d'un domaine qui produit ses propres ressources.

    On comprend, en fait, que le père a voulu une autre forme de société que celle dans laquelle nous vivons pour ses enfants. Je ne sais pas si c'est bien ou c'est mal. Ce que je sais, c'est que notre société tend à condamner le fait pour des individus, de vouloir vivre en marge de ce qu'elle représente.

    En même temps, on ne peut pas ainsi soustraire des enfants à leur mère si longtemps. J'ai le sentiment que ce qui déchire cet homme et cette femme qui se sont pourtant aimés, ce ne sont pas des choses forcément personnelles mais des représentations de la vie en société et du bonheur. Ces deux enfants ont-ils été malheureux parce qu'ils ne participaient aux formes communes de notre société consumériste ? Je ne le sais pas. Je ne voudrais pas que l'on utilise ces éléments-là à charge contre Xavier Fortin.

    Le seul élément légitime, du point de vue la justice, c'est de ne pas avoir fait en sorte que les deux garçons voient leur mère. Et cela, ce n'est pas simple, parce qu'en effet, pour ces deux garçons, leur père est un dieu vivant et leur mère l'encombrant obstacle à la perpuétation d'une vie "idyllique".

    D'une certaine manière, je retrouve dans cette histoire la problématique du "bon sauvage" qui a arrosé largement la littérature du XVIIIème siècle puisque un Voltaire, un Rousseau, un Chateaubriand (XIXème) s'en emparent avec un égal talent. L'homme n'est-il pas plus heureux à l'état de nature, finalement ? Voilà la question de fond que pose cette histoire : car c'est bien là la cause profonde qui a généré la séparation entre Xavier Fortin et la mère de ses deux enfants. Dans l'article du Figaro, elle le sous-tend explicitement, d'ailleurs : elle n'a jamais été inquiète pour la santé de ses enfants, car elle connaissait le père. Non, ce qui a mis le feu aux poudres, c'est le symbole même de la socialisation que représente l'école.

    J'ajoute une autre problématique : nos sociétés respectent bien sûr les choix des familles, mais, le principe d'un État puissant comme le nôtre et plus généralement celui des démocraties libérales occidentales, c'est que l'éducation et l'enfant n'appartiennent pas exclusivement au père et à la mère. Via l'État, la société toute entière a son mot à dire sur le devenir d'un enfant, quand bien même il vivrait à l'écart de cette même société. Est-ce juste, pertinent ? Quelle est la limite ?

    Voilà en tout cas de vastes et délicats sujets de débats. On en revient, finalement, presque toujours aux questions essentielles que sont le bonheur et la liberté de chaque individu.

  • Vaincre la peur de la mort

    Presque mourant, il écrit cette lettre à Idoménée : "Alors que nous passons et terminons le jour heureux de notre vie , nous vous écrivons ceci : des souffrances stranguriennes et de la dysenterie se sont succédées sans rien perdre de leur intensité extrême ; la joie dans mon âme au souvenir de nos entretiens passés repousse toutes ces douleurs. "Quant à toi, conformément à une disposition d'esprit depuis ta jeunesse à mon sujet, et à la philosophie*, prends soin des enfants de Métrodore." Et il en fut ainsi.

    ἢδη δὲ τελευτῶν γράφει πρός Ἰδομενέα τήνδε ἐπιστολήν· τὴν μακαρίαν ἄγοντες καὶ ἅμα τελευτῶντες ἡμέραν τοῦ βίου ἐγράφομεν ὑμῖν ταυτί· στραγγουρικά τε παρηκολουθήκει καὶ δυσεντερικὰ πάθη ὑπερβολὴν οὐκ ἀπολείποντα τοῦ ἐν ἑαυτοῖς μεγέθους· ἀντιπαρετάττετο δὲ πᾶσι τούτοις τὸ κατὰ ψυχὴν χαῖρον ἐπὶ τῇ τῶν γεγονότων ἡμῖν διαλογισμῶν μνήμῃ· σύ δὲ ἀξίως τῆς ἐκ μειρακίου παραστάσεως πρὸς ἐμὲ καὶ φιλοσοφίας ἐπιμελοῦ τῶν παίδων Μητροδώρου. καὶ ἔθετο μὲν ὧδε.

    « la joie dans mon âme au souvenir de nos entretiens passés repousse toutes ces douleurs » c'est cette phrase en grec  : ἀντιπαρετάττετο δὲ πᾶσι τούτοις τὸ κατὰ ψυχὴν χαῖρον ἐπὶ τῇ τῶν γεγονότων ἡμῖν διαλογισμῶν μνήμῃ . Quand j'ai traduit ce texte, ce passage m'a beaucoup marqué.

    On peut comparer avec la version que donne Cicéron (qui l'adresse à Hermarque) en latin dans De finibus, II, 30, 96.

    Audi, ne longe abeam, moriens quid dicat Epicurus, ut intellegas facta eius cum dictis discrepare: 'Epicurus Hermarcho salutem. Cum ageremus', inquit, 'vitae beatum et eundem supremum diem, scribebamus haec. tanti autem aderant vesicae et torminum morbi, ut nihil ad eorum magnitudinem posset accedere.' Miserum hominem! Si dolor summum malum est, dici aliter non potest. sed audiamus ipsum: Compensabatur', inquit, 'tamen cum his omnibus animi laetitia, quam capiebam memoria rationum inventorumque nostrorum. sed tu, ut dignum est tua erga me et philosophiam voluntate ab adolescentulo suscepta, fac ut Metrodori tueare liberos.'

    Ecoute, sans que je m'éloigne de mon sujet, ce que dit Epicure en mourant, afin de comprendre que ses actes différaient de ses paroles : "Epicure te salue, Hermaque. Alors que nous vivons ce jour heureux, le dernier, de notre existence, nous t'écrivons ceci : Les malaises occasionnés par la vessie et les coliques sont telles que rien ne pourrait s'ajouter à leur ampleur." Malheureux homme. Si la douleur est un le plus grand grand mal, on ne peut rien dire d'autre. Mais écoutons-le :«ces maux étaient compensés par la joie prise à me remémorer nos raisonnements et découvertes. Mais toi, comme il est digne de ton attitude depuis ta jeunesse envers moi et la philosophie, fais en sorte de protéger les enfants de Métrodore».

    Le texte ci-dessus serait la dernière lettre qu'Epicure aurait écrit sur son lit de mort, alors qu'il s'apprête à rendre son dernier soupir. Je méditais à ce sujet, songeant à la mort et à l'angoisse de la mort et j'appliquais à mon propre cas : il m'est toujours resté dans l'esprit la naissance de mon fils aîné comme un merveilleux moment de bonheur, et je me disais que si au moment de mourir, quand l'heure sera venue, il me fallait trouver une image apaisante pour adoucir l'angoisse du dernier moment, ce serait certainement celle-là, et le souvenir de ses premières années.

    On va me trouver bien mortifère en ce mois d'août, d'autant que je viens de fêter son 7ème anniversaire, mais bon, on ne choisit pas toujours les pensées qui traversent l'esprit, et après tout, la mort et la peur de la mort sont des sujets très sérieux.  

    J'imagine que l'engagement politique est aussi, d'une certaine manière, une volonté plus ou moins consciente de la transcender en laissant derrière soi quelque chose qui touche le genre humain, et pas seulement quelques individus.

    C'est sans doute le souvenir des moments forts et heureux qui permet de résister à l'angoisse en général. Dans cet ordre d'idée, et pour déborder le sujet, des études ont montré que des enfants qui avaient connu un début d'existence heureux résistaient mieux aux malheurs de la vie s'ils devaient en subir, que ceux qui au contraire avaient été malheureux dès le début. Les psychologues appellent cela la résilience, je crois. C'est peut-être une forme de résilience, finalement, ce qu'évoque Epicure.