J'ai lu l'article du Figaro sur l''incroyable odyssée des enfants Fortin. Je trouve cet article très éclairant, parce qu'en filigrane, on devine ce qui a opposé le père et la mère des deux adolescents. La mère l'a dit, à la fin de l'article, elle a voulu se séparer de son mari et récupérer la garde des enfants dès lors qu'elle a compris que leur père ne voudrait pas les scolariser. Dans ce même article, le journaliste évoque la vie des deux jeunes garçons avec leur père : vie au milieu de la nature, à proximité d'une communauté rurale, parmi des animaux domestiqués, au sein d'un domaine qui produit ses propres ressources.
On comprend, en fait, que le père a voulu une autre forme de société que celle dans laquelle nous vivons pour ses enfants. Je ne sais pas si c'est bien ou c'est mal. Ce que je sais, c'est que notre société tend à condamner le fait pour des individus, de vouloir vivre en marge de ce qu'elle représente.
En même temps, on ne peut pas ainsi soustraire des enfants à leur mère si longtemps. J'ai le sentiment que ce qui déchire cet homme et cette femme qui se sont pourtant aimés, ce ne sont pas des choses forcément personnelles mais des représentations de la vie en société et du bonheur. Ces deux enfants ont-ils été malheureux parce qu'ils ne participaient aux formes communes de notre société consumériste ? Je ne le sais pas. Je ne voudrais pas que l'on utilise ces éléments-là à charge contre Xavier Fortin.
Le seul élément légitime, du point de vue la justice, c'est de ne pas avoir fait en sorte que les deux garçons voient leur mère. Et cela, ce n'est pas simple, parce qu'en effet, pour ces deux garçons, leur père est un dieu vivant et leur mère l'encombrant obstacle à la perpuétation d'une vie "idyllique".
D'une certaine manière, je retrouve dans cette histoire la problématique du "bon sauvage" qui a arrosé largement la littérature du XVIIIème siècle puisque un Voltaire, un Rousseau, un Chateaubriand (XIXème) s'en emparent avec un égal talent. L'homme n'est-il pas plus heureux à l'état de nature, finalement ? Voilà la question de fond que pose cette histoire : car c'est bien là la cause profonde qui a généré la séparation entre Xavier Fortin et la mère de ses deux enfants. Dans l'article du Figaro, elle le sous-tend explicitement, d'ailleurs : elle n'a jamais été inquiète pour la santé de ses enfants, car elle connaissait le père. Non, ce qui a mis le feu aux poudres, c'est le symbole même de la socialisation que représente l'école.
J'ajoute une autre problématique : nos sociétés respectent bien sûr les choix des familles, mais, le principe d'un État puissant comme le nôtre et plus généralement celui des démocraties libérales occidentales, c'est que l'éducation et l'enfant n'appartiennent pas exclusivement au père et à la mère. Via l'État, la société toute entière a son mot à dire sur le devenir d'un enfant, quand bien même il vivrait à l'écart de cette même société. Est-ce juste, pertinent ? Quelle est la limite ?
Voilà en tout cas de vastes et délicats sujets de débats. On en revient, finalement, presque toujours aux questions essentielles que sont le bonheur et la liberté de chaque individu.