Un militant MoDem a eu l'excellente idée de retranscrire l'entretien de Jean Lassalle, député MoDem, sur France-Culture lundi 12 avril. Faute de disposer de son nom, je ne peux le remercier nominativement, mais, à défaut, je fais le lien vers sa contribution sur le site du MoDem, et je la copie sans vergogne ici.
Jean LASSALLE sur France Culture le 12 avril 2008
1/ Pourquoi faîtes-vous de la politique ?
J’aime ça, j’ai le virus comme on dit. Et puis j’avais un besoin de revanche, de réhabilitation, notamment pour ma famille, pour mon père que j’ai beaucoup aimé, pour ma mère parce qu’ils n’étaient pas jaugés à l’aune auquel je les voyais. J’étais très heureux avec eux, dans ma famille et très malheureux à l’extérieur. J’avais conscience d’une certaine injustice profonde qui m’a certainement habité. Et puis après ça a été un concours de circonstances. Comme j’étais très timide, au point de ne pas pouvoir parler jusqu’à l’âge de 18 ans. Mais quand je suis revenu du lycée agricole, c’étaient les municipales. Le village était divisé –il n’est pas besoin d’être nombreux pour être divisés- et j’ai été élu maire puis conseiller général.
Être maire d’un petit village, c’est quelque chose d’exceptionnel. On devrait, parmi la multitude de textes que l’on sort et qui ne servent à rien, en adopter un qui ferait obligation d’être maire pendant d’une petite commune pendant au moins un mandat. Je vous assure que ça ramènerait beaucoup d’humilité et ça ramènerait aussi à une autre relation humaine que celle que nous avons aujourd’hui.
2/ le Panthéon de Jean LASSALLE
J’ai beaucoup d’admiration pour DE GAULLE et aussi, sans trop pouvoir en dire les contours pour KENNEDY. J’ai admiré très peu de gens et puis j’ai admiré des personnages locaux qui m’ont formé. Mais aussi Mélina MERCOURI pour sa volonté et son combat pour la liberté.
3/ Ce qui vous révolte ?
L’indignité.
4/ Comment admire-t-on DE GAULLE quand on fait partie d’une formation politique qui a toujours été anti-gaulliste
Moi j’ai aimé DE GAULLE pour la fibre résistance et pour cette attitude d’un homme qui se lève seul pour incarner une certaine idée de la France. Mais j’admirais aussi le PC et c’était donc une déchirure. Je n’aimais pas l’URSS mais j’admirais aussi cette grande idée du partage et de l’être ensemble. Alors DE GAULLE et le PC c’était difficile alors je me suis réfugié au Centre. Je suis un réfugié politique du Centre.
5/ sur François BAYROU : sera-t-il un jour Président de la République ou au fond est-ce que cette question n’a pas d’importance ? Il mène son combat et peu importe s’il l’est un jour ou pas ?
Je pense qu’il le sera car je n’ai jamais vu quelqu’un habité par une telle constance et aussi peu habité par le doute. Il porte cela en lui avec une tranquille assurance depuis le premier jour où je l’ai vu. Maintenant, est-ce que ça a de l’importance ? Pour moi oui parce que je crois qu’il est porteur du message de notre temps. Il est l’homme de cette époque. Maintenant est-ce que c’est important ? Qu’est-ce qui est important ? Nous ferons tout ce qui est possible de faire pour conduire cet homme parce que je suis intimement convaincu que cet homme est une nécessité à ce niveau de responsabilité pour la France, pour redonner un sens à l’Europe et pour restructurer un peu le monde.
6/ sur les amis qui partent
Vous rappeliez les propos de Jean ARTHUIS et moi je ne me considère pas comme un illuminé, je n’ai aucune envie de m’immoler par le feu, pour qui que ce soit. S’ils pouvaient faire un convoi groupé et partir tous ensemble, ça nous arrangerait bien parce que d’abord, eux ça les libèrerait, parce qu’ils ne sont pas heureux et puis nous aussi parce que ça nous permettrait de faire enfin ce qu’il convient de faire et que tous ceux qui doivent partir s’en aillent. Peu importe qu’ils soient sénateurs, députés –bah on n’est plus beaucoup !- et conseillers généraux ou maires ou conseillers régionaux et qu’on puisse redémarrer parce que manifestement nous sommes sur une souffrance parce que nous sommes dan la même maison mais ne parlons plus de la même chose.
7/ sur la représentation du rural et la place des élus
Nous n’avons plus de militants et moi je crois qu’il faut du militantisme et c’est pourquoi j’espère tant du Mouvement démocrate pour recréer un terreau de militants d’où sortiront des élus qui, à ce moment-là, exprimeront la voix e ceux qu’ils représentent. Les élus des campagnes n’osent plus parler de peur qu’on les assimile à des ringards.
Nous nous sommes laissés déposséder du pouvoir d’intuition, du pouvoir d’engager l’action politique par une camarilla de très hauts fonctionnaires qui sont à la tête de l’État, qui représentent l’ensemble des corps de l’État et qui prennent les dispositions à notre place.
8/ Sur le cumul des mandats
Sur le cumul des mandats, moi je crois qu’il faut un mandat national et un mandat local si on ne veut pas se couper davantage.
9/ Sur la technostructure
Je crois que nous ne sommes plus aux manettes et nous sommes les seuls à faire croire, de faire semblant de croire que nous y sommes encore.
10/ Sur la question du local, du pouvoir et de la capacité de faire (termes de la question du journaliste) « il y a aujourd’hui beaucoup de réunions de collectivités. Jusqu’à quel point pensez-vous qu’il faille se rassembler pour qu’elles puissent exister ou pensez-vous qu’à force de les réunir, on leur fait perdre leur âme ? »
À force de vouloir tout réunir, tout rassembler, tout concentrer, on finit par perdre l’essence même de la vie, de la représentation.
Le politique doit rêver pour que quelques-uns de ses rêves s’accomplissent. Moi je commencerai par des états généraux pour redessiner la France et mettre toute cette bonne volonté, toutes ces interrogations, toute cette énergie que l’on ressent aux quatre coins de notre pays, pouvoir la mettre autour de tables de réflexion.
Je m’insurge parce que des hommes et des femmes ont poursuivi des études qu’ils n’ont jamais rattrapées se permettent de venir réglementer les Pyrénées comme si les Pyrénéens ne savaient pas être Pyrénéens et s’ils ne savaient pas faire chez eux le minimum qu’il faut, dans ce pays qu’ils aiment le plus, dans une région qu’ils possèdent au fond du cœur et des entrailles.
11. Sur l’Union Européenne
Il y a une contradiction chez moi que j’assume. Je crois qu’on ne peut pas être un homme politique et ne pas avoir son lot de contradictions. Nous en portons tous. Pourquoi moi les nierais-je ?
Je pense que l’Europe, si elle veut vraiment trouver le rayonnement qui lui faut doit se faire par étapes successives –et nous avions très bien commencé- mais passer du jour au lendemain d’une notion où il y avait des États aussi fortement marqués qu’en Europe, avec des puissances aussi implantées historiquement –la France éternelle c’est pas tout à fait l’Ohio, l’Espagne si vieille c’est pas le Connecticut et que dire de la Rome antique et de la Grèce qui n’a même pas d’âge, c’est pas le Massachussetts et moi je crois qu’on a voulu trop copier le système américain alors qu’il fallait y aller par étapes et moi je crois que la réunion, come on le fait pour les communautés de communes à notre niveau, pour les communautés de ville, mais faire une communauté où l’on réunit l’ensemble des pays, où on se donne des mécanismes de prise de décision aurait été sans doute beaucoup mieux perçu et beaucoup mieux compris et nous aurait fait gagner beaucoup plus de temps que ce que nous avons fait. Nous n’étions pas prêts pour une fédération ou une confédération –la France n’a jamais été cela et ne le sera certainement pas ou sinon ça se saurait- et nous avons été engagés dans de faux débats qui ont failli me faire perdre mon latin. En tout cas moi j’ai voté contre (le référendum et le traité de Lisbonne) car je n’y comprenais rien. Je ne savais pas du tout ce qu’on voulait faire.
10. Sur la grève de la faim et l’usine TOYAL
Si les choses ne vont pas, il faut bien commencer quelque part et moi j’ai commencé à cet endroit-là [à Accous, site d’implantation de l’usine TOYAL de Total dont la direction voulait délocaliser dans le bassin de Lacq, à soixante kilomètres]. Et en le faisant pour mon usine, je le faisais aussi au nom de tous ceux que je voyais pleurer à la télévision ou de tous les collègues qui rentrent avec moi le lundi soir, qui viennent de province, en disant « j’en ai trop pris sur la gueule ce week-end, demain je vais éclater au parti, je vais le dire dans la réunion de groupe ». Je le retrouvais à 14h00 et lui demandais « alors, tu t’es bien éclaté à la réunion de groupe ? » - « J’ai pu rien faire car bien sûr, on m’a parlé de la primaire que j’aurai à la prochaine législative ». Voilà alors moi j’ai voulu dire « stop » au nom de ces gens. Et j’ai voulu dire « stop » aussi à une manière de l’économie comme quelqu’un à un autre niveau que moi l’avait fait en 1929-1930 aux États-Unis, je veux parler de ROOSVELT car si le politique n’imprime plus sa griffe sur les grands choix économiques, on va dans la jungle dans laquelle nous nous trouvons et dont nous ne savons comment sortir.
11. Sur SARKOZY
Je crois qu’il est animé d’un désir profond de faire changer les choses. On n’a pas le parcours qu’il a eu, on ne se débarrasse pas du chiraquisme comme il l’a fait avec autant d’efficacité redoutable si on n’a pas envie de faire changer les choses par contre son arrivée au pouvoir a été terrible, plus tragique encore que celle de VGE parce qu’alors là il a gâché, par gaminerie, par jeunesse, par bêtise, une situation dorée. Mais pourquoi accumuler autant d’âneries en si peu de temps ? Donc je pense que ça l’a discrédité. Bon les Français sont on peuple malgré tout, ils vont lui laisser sa chance. Les Français ont besoin d’avoir un roi. Ils lui ont coupé la tête mais ils ont toujours besoin néanmoins d’avoir quelqu’un. SARKOZY, je le retrouve tel que je l’avais imaginé dans un premier temps, prétentieux et ça m’insupportait et je m’honore d’avoir été le seul député de France à l’avoir interrompu parce qu’il n’avait pas tenu parole à mon égard. J’ai trouvé quelqu’un de très volontariste avec qui je me suis très bien entendu et s’il n’y avait pas eu la présidentielle et ce choix qui est intervenu –cornélien devant lequel j’ai été mis, j’aurais continué avec SARKOZY. C’est un bagarreur et c’est dommage qu’il ne soit pas plus équilibré.
12. Sur le monde
Nous avons à peu près cinq ou six ans, peut-être dix au grand maximum, pour changer le cours des choses et retrouver le bon sens et remettre le politique en phase avec la gestion de la cité, avec les fonctionnaires, avec les journalistes, avec les intellectuels, bref tout le monde doit se réveiller sinon nous aurons la troisième guerre mondiale. Je ne le dis pas pour faire de l’effet, je le dis parce que ça me brûle, ça me fait terriblement mal. Lorsque nous arrivons aux extrémités auxquelles nous sommes rendus, il y a un très grand danger. Je suis président de cette association des pays de montagne du monde qui réunit 76 pays tout de même et je peux voir, aux quatre coins de la planète, le même mal qui ronge. D’abord on a faim, de plus en plus, deuxièmement on ne sait plus qui on est, on n’a plus d’identité, on n’appartient plus à rien, donc toutes les conditions malheureusement semblent remplies. Quant à ces politiques d’une incohérence terrifiante [qui font que l’on détruit les exploitations agricoles, les agriculteurs et les excédents, qui imposent des jachères alors qu’une partie du monde meurt de faim] ça donne le résultat que nous avons. Il aurait fallu, comme l’a fait Edgar PISANI en 1965, faire une grande loi-cadre agriculture et citoyenneté plutôt que cette misère sur les OGM qui dresse tout le monde les uns contre les autres et auquel personne ne comprend rien pour voir comment on va se nourrir, nous mais aussi les Européens et le monde et comment faire en sorte que d’ici quelques années, 4 milliards d’êtres humains sur 6, affamés, soient sur le pied de guerre. Alors ils perdront mais nous perdrons aussi. Et c’est surtout nos enfants et même leurs petits qui sont partis dans un cycle de violence qui sera sans fin. Nous avons la chance de pouvoir réagir, j’en suis convaincu, il y a suffisamment d’esprits éclairés qui ont ce pressentiment. Et bien assumons-le, c’est ce que j’essaie de faire, à ma modeste mesure.
Je ne perdrai pas ma part de rêve.
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