Mes chers amis,
Je voudrais d'abord vous dire à quel point nous avons apprécié le travail de ceux qui ont organisé et animé cette journée : Pierre Albertini et ceux qui l'ont accompagné dans la rédaction du projet, Pierre-Emmanuel Portheret, tous ceux qui sont venus ce week-end du 11 novembre traditionnellement dédié aux réunions de famille et d'amis. Votre nombre et votre chaleur sont très importantes pour l'UDF et pour son président.
D’ici six mois, nous Français nous aurons choisi notre destin, à première vue pour cinq années, en réalité pour beaucoup plus longtemps.
Car tout le monde voit bien qu’un cycle de la vie politique de notre pays s’achève. Et qu’un autre cycle va s’ouvrir.
Et il est juste de dire que, de ce cycle qui s’achève, la France sort inquiète, sans perspectives, à la vérité harassée.
La France des quatre millions de chômeurs. Les statistiques officielles nous disent deux millions, mais quand on sait qu'on ne compte pas les Rmistes et les ASS ! On ne compte pas dans les statistiques officielles, ceux qui sont le plus mal, ceux qui ont eu le plus à souffrir du chômage …
La France où plusieurs centaines de quartiers sont devenus, le mot est affreux, des « zones », « zones » au sens de l’éducation dite prioritaire, « zones » quand on parle d'insécurité : "zones" de non-droit. Et je me souviens de la campagne de 2002 : on nous promettait la main sur le cœur, non sans rodomontades : « il n’y aura plus en France de zones de non droit », tolérance zéro. Et comme les journaux nous le révèlent, consigne est désormais donnée aux policiers et CRS de ne pas entrer dans ces quartiers.
La France où depuis la fin des émeutes il y a un an – écoutez bien, je dis depuis que les émeutes sont finies - 125 voitures en moyenne brûlent chaque nuit, et désormais brûlent aussi des autobus, et dans les autobus, et c'est à pleurer, des jeunes filles, issues de ces quartiers, issues de l'immigration, et qui se sont trouvées prises au piège de la violence stupide de ceux qui ont commencé par brûler des voitures, puis des bâtiments, puis des bus, et qui maintenant brûlent leurs sœurs.
La France qui a assimilé jadis des millions de femmes et d’hommes, des Portugais, des Espagnols, des Italiens, des Polonais, et que l’immigration chamboule aujourd’hui comme jamais.
La France des classes moyennes, qui firent la force et l’esprit de conquête de notre pays et qui n’arrivent plus à joindre les deux bouts.
La France dont l’école garantissait la cohésion, et matérialisait, incarnait pour chaque famille l’espoir de progression au mérite, et qui se trouve aujourd’hui doutant de son école primaire, de son collège, de son université, doutant comme doutent ses diplômés au chômage.
La France de la croissance zéro, au dernier trimestre.
La France qui s’enfonce dans tous les classements de la planète. Et je pourrais faire avec vous un exercice simple : est-ce que vous pouvez vous souvenir d’un seul classement international, un seul, ces dernières années, où la France ait monté au lieu de descendre ?...
La France qui ne sait pas comment s’en sortir, qui ne sait plus, puisque personne parmi ses citoyens ne se représente plus le chemin à suivre pour remettre les choses à l’endroit.
Et pourtant c'est la France qui est pleine d’atouts, qui forme les meilleurs chercheurs du monde, où les investissements continuent à affluer, en raison de sa situation géographique et du prestige de ses paysages, de ses villes, de son histoire, et la France qui a aussi la démographie la plus vivace.
Alors, comment peut-on en arriver à ce pays harassé, à partir de ce pays doté d’autant de chances ? Comment produire autant de malaises à partir d’autant de dons ?
Alors, il faut que nous soyons implacables dans le diagnostic, autrement les mêmes causes produiront les mêmes effets. Il faut que nous soyons optimistes et ambitieux, en sachant que le propre des grands peuples est de se redresser, et que c’est même à cela, à cette capacité à se redresser, à se reconstruire quand tout va mal, que l’on reconnaît les grands peuples.
Durant ces vingt-cinq dernières années, nous avons pris un mauvais chemin.
Nous nous sommes mal dirigés. Ou nous avons été mal dirigés.
Nous avons été dirigés ces vingt-cinq dernières années exclusivement, alternativement ou ensemble, par deux partis politiques, le Parti Socialiste de François Mitterrand et de ses successeurs, et le RPR devenu UMP, le parti de Jacques Chirac, de ses héritiers devenus ses ennemis. Tout le reste alors, les formations politiques épisodiquement présentes dans ces coalitions, y compris nous lorsque nous avons participé au gouvernement, tout le reste n’était qu’alibi.
Ces deux partis ont eu entre les mains, alternativement ou ensemble, tous les leviers de commande depuis 25 ans.
Et il est intéressant de regarder ce qu’ils ont en commun. On trouvera alors, sans doute, pourquoi ils ont échoué. Ce qu'ils ont en commun, c'est cela :
- Tous les deux ont méprisé la société civile et ont concentré tous les pouvoirs entre leurs mains.
- Tous les deux ont refusé un Parlement digne de ce nom.
- Tous les deux ont voulu à chaque alternance défaire ce qui avait été fait par le précédent.
- Tous les deux ont dit - il suffit de regarder les questions d'actualité, le mardi et le mercredi à l'Assemblée Nationale - que si ça allait mal, c’était la faute de l’autre.
- Tous les deux ont voulu la bipolarisation, et tous les deux ont perpétuellement choisi des gouvernements minoritaires.
Cette phrase vous fait certainement lever le sourcil ? Je voudrais m’arrêter une seconde, à cette idée qui n’est jamais examinée, et selon moi est cruciale. Je vous avoue que je n’aime pas beaucoup la bipolarisation. Je la trouve stupide, comme si on voulait écrire la musique avec deux notes. Je la trouve simpliste, comme si on voulait rendre toutes les couleurs avec du noir et du blanc. Je la trouve fausse, parce que la vie nous apprend tous les jours que rien n’est tout noir ou tout blanc.
En plus, ce modèle politique-là est parfaitement identifié, on sait d'où il vient. C’est le modèle politique américain, qui suppose une organisation complètement différente de la vie politique, avec d'un côté un fédéralisme, de l'autre une participation des citoyens, des citoyens et non pas des adhérents, à la vie interne des partis par l’organisation de primaires publiques ouvertes.
Je n’aime pas ce modèle, en particulier à cause de l'asservissement à l'argent, les millions de dollars qui font la réalité de la vie politique américaine. Mais quand il marche, là où il est utilisé - et je rappelle que ce n’est nulle part sur le continent européen - il suppose au moins une donnée. C’est que les deux partis représentent plus ou moins 50 % du corps électoral. La bipolarisation, c’est 50 contre 50. De sorte que quand ils gouvernent, il y a un gouvernement majoritaire.
Je vous demande de réfléchir à ceci : en France, on prétend nous faire de la bipolarisation, mais la puissance des extrêmes fait qu'on ne travaille pas à 50 contre 50, mais à 30 contre 30, et parfois à 20 contre 20.
La force de l’extrême droite dans toutes ses composantes, autour de 20 %, de l’extrême gauche dans toutes ses composantes, idem autour de 20 %, cela a une conséquence : les vainqueurs, quand ils prennent le pouvoir, ont au mieux le soutien de 30 % au maximum, et se retrouvent au bout de trois mois avec un soutien de 20 % des électeurs. Les partis que nous appelons majoritaires sont en fait des partis perpétuellement minoritaires, et c'est parce qu'il n'y a pas de majorité qu'on ne peut en France ni gouverner, ni conduire de réformes.
Je m'adresse à tous nos concitoyens : on ne peut pas gouverner courageusement avec un soutien aussi minoritaire. On se réfugie dans la concentration de tous les pouvoirs entre les mêmes mains, mais quand on n’a aucune légitimité, c’est un grand risque ! Voilà pourquoi aucune réforme n’est possible en France.
Et voilà pourquoi il faut une démarche politique radicalement nouvelle !
Ou plus exactement, il faut retrouver une démarche politique qui a été bienfaisante dans notre pays chaque fois qu’elle a été utilisée.
Il faut choisir le rassemblement, et tourner le dos aux divisions artificielles. Il y a des divisions justifiées. Pendant longtemps, le rideau de fer a marqué la frontière de l’affrontement entre ceux qui acceptaient le totalitarisme soviétique ou faisaient semblant de l’accepter, et ceux qui voulaient la démocratie de liberté. Cette frontière était juste et nous nous sommes battus sur cette tranchée, pour la liberté et contre le totalitarisme, assez longtemps pour n'avoir pas de leçons à recevoir.
Mais ces frontières ne sont plus de saison. Il faut que revienne l’esprit de rassemblement.
Chaque fois que la France a été l’otage d’une lutte de partis, d'une moitié de la France contre l’autre, chaque fois, elle a été conduite sur le mauvais chemin. Chaque fois au contraire que ses responsables ont cherché à la rassembler - et je vais prononcer de grands noms - Pierre Mendès-France, Charles de Gaulle, Valéry Giscard d'Estaing, chaque fois, elle a fait de meilleurs choix.
Et il y a à cela une raison profonde : la France, ce n’est pas un pays comme les autres.
Les autres pays s’accommodent de la division, aussi bien de la division politique que de la division sociale. La France ne s'accommode pas de la division.
Je me faisais cette réflexion en lisant que la commission chargée de préparer notre projet, autour de Pierre Albertini, avait choisi comme titre de ce texte, présenté désormais à la réflexion des adhérents, "la France ensemble".
Et au premier abord on y lit l’expression d’une volonté : "nous voulons faire la France ensemble".
Mais, si on va un peu plus loin, ce n’est pas un projet, c’est une définition. Ensemble, c’est le vrai mot, historique et philosophique, pour définir la France. Le vrai nom de la France, le vrai nom de la République en France, c’est ensemble.
Et ce n’est pas tout à fait le cas des autres pays, même des pays qui nous entourent.
Le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, leur projet de société, ce n’est pas tout à fait « ensemble »…
La nationalité allemande, jusqu’il y a peu, c’était le droit du sang. La société britannique, ce sont ces communautés, marquées par l’origine ou par la classe sociale, cohabitant les unes avec les autres, mais sans trop de lien. La société espagnole accepte l’idée de nationalités différentes à l’intérieur du même ensemble. L’Italie, vous le savez, ce sont des tensions fortes entre régions, avec souvent, comme on l’a vu récemment dans une proposition de référendum, la volonté des plus riches de se détacher des plus pauvres pour ne plus supporter la charge de la solidarité. Et vous pouvez continuer ainsi le tour de l’Europe, vous découvrirez pays après pays combien notre projet national est un projet singulier.
C’est le projet de notre pays, qui ne supporte pas la division et la vit comme une blessure !
Et ce qui est vrai du point de vue national, c’est vrai aussi du point de vue social. C'est vrai du point de vue des opinions. C'est pourquoi la laïcité est la clé de voûte de la maison que nous avons construite ensemble.
Nous sommes le pays de l’unité, mes chers amis, et nous avons bien raison de l’être.
Nous ne supportons pas la logique d’une société qui creuse les inégalités. Particulièrement pas lorsque les inégalités touchent les droits fondamentaux : le droit à la formation, le droit à la santé. Lorsque les uns disposent des connaissances, des relations et des moyens qui permettent de trouver la meilleure tactique, la meilleure réponse, le meilleur circuit, la meilleure stratégie, tandis que les autres sont laissés de côté, parce qu'ils n'ont pas de relations et que leurs moyens sont réduits au minimum.
C’est pourquoi je n’ai pas aimé la légèreté avec laquelle Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal ont considéré que la carte scolaire devait être jetée aux orties.
Car la carte scolaire - je demande qu'on y réfléchisse - ce n’est pas autre chose que l’obligation - non pas l'obligation qu'impose l’Éducation nationale, mais l'obligation qu'elle s'impose - de garantir une éducation à chances égales dans le quartier abandonné de la banlieue la plus éloignée et dans les centres-villes les plus avantagés.
Je sais très bien que c’est un idéal, mais cet idéal, je le revendique. Certains diront que c’est une utopie : je ne le crois pas. La France a relevé ce défi pendant des décennies. Ce défi relevé a été à la fois celui de l’unité nationale, et la chance de millions de jeunes Français qui ont découvert à l’école des horizons qui, autrement, leur seraient demeurés fermés.
Est-ce que cette obligation est satisfaite aujourd’hui ? La réponse est : non. Faut-il pour autant y renoncer ? La réponse est : non. Au contraire, précisément au contraire ! Il faut réévaluer cette obligation, cette partie de notre pacte républicain national, en donnant à notre système éducatif les moyens concrets de rétablir partout les deux éléments qui font la réalité de l’égalité des chances : le premier devoir, et je le dis sans biaiser, c'est le respect dans l’école, respect des enseignants et respect des élèves entre eux, l’ordre de l’école face à l’ordre de la rue ; c'est-à-dire l'ordre assuré par des enseignants et des surveillants, et non pas par des policiers (j’ai toujours défendu comme un principe la sanctuarisation de l'école). Et, deuxième élément, l’excellence des parcours, voulue et cultivée, pour les élèves qui le méritent. Au lieu de la médiocrité pour tous, médiocrité qui est mortelle là où ça va mal, l'excellence scolaire, comme une réévaluation de la mission républicaine de l’école républicaine, au lieu du ghetto accepté, auquel on se résigne...
La France ensemble. Ensemble, c’est la vocation de la France. Voilà pourquoi il est plus douloureux à la France qu’à aucun autre pays de voir se déliter l’unité à laquelle notre pays aspire, de la voir se dissoudre dans les communautarismes, dans les ghettos, de quartier, d’origine, de religion, de situation sociale.
Voilà pourquoi ceux, tous ceux qui dans le débat politique actuel, suivant le fil de l’eau, la pente du modèle dominant sur la planète, le modèle de l’inégalité revendiquée, tous ceux qui veulent en réalité que l’on tourne la page sur « ensemble », et veulent que l'on en arrive à l’acceptation du chacun pour soi, ceux-là se trompent.
Ils se trompent de pays, ils se trompent de modèle, ils se trompent de peuple.
Nous avons le droit de leur faire, au nom de la France, un procès en abandon du modèle républicain français qui nous fait vivre.
Et à ceux-là, j'oppose le besoin, le premier, peut-être le seul, le besoin de la France aujourd’hui : le besoin d'une nouvelle synthèse entre modernité et modèle républicain français, entre modernité et nos valeurs nationales et européennes.
La modernité, ce n’est pas l'ennemi des valeurs républicaines : c’est leur meilleur allié.
Je prends deux exemples très simples.
Hier, et jusqu'à il y a quelques années, l'accès aux documentations, aux documents, n’était pas égal entre qui disposait d’une bibliothèque accessible, et qui n’en disposait pas. Aujourd’hui, internet met à la portée de la main de tous et partout, à portée de clavier, tous les documents de la planète. Bien sûr il faut savoir les analyser, il faut les trier, mais on peut y accéder de tous les collèges, et bientôt j'espère, de tous les appartements, de tous les HLM de France.
Hier, l’information était limitée, donc l'égalité des chances n'était pas une réalité ; aujourd’hui l'information est abondante et l'égalité des chances peut donc se réaliser.
Le modèle républicain français, il n’est pas un handicap pour la France dans la modernité : il est, c’est ma conviction, son meilleur atout.
Car il en est de la compétition entre pays comme de la compétition sportive : une équipe ne vaut pas tant par la somme de ses individualités, par ses vedettes, que par l’esprit d’équipe, par la solidarité entre joueurs, par l’abnégation de leur dévouement les uns envers les autres.
Nous assumons la modernité. Nous en voyons les lignes de force. Nous croyons au modèle de société qui est en train de naître, je crois qu'un modèle de société est en train de naître dans l’univers d’internet, modèle plus autonome, plus participatif, plus coopératif. Nous croyons à l’invention, à l’innovation , à la création.
Et nous croyons à l’entreprise, nous voulons faire de la France le pays le plus pro-entreprise du continent européen.
Nous croyons à la recherche, nous croyons à l’invention, nous croyons qu’on doit et qu’on peut aider l’entreprise et l’entrepreneur, la recherche et le chercheur, les soutenir et les aimer. Ils assurent la multiplication des chances, et en fait ils assurent les moyens d’un projet social. Ils changent l’homme, de consommateur en créateur. Nous croyons que le monde moderne, du XXI° siècle, va offrir des chances à nulles autres pareilles à qui voudra les saisir. Nous ne récusons pas l’avenir, nous le voulons. Nous l’acceptons avec ses ombres et ses lumières. Et nous acceptons ce défi : c’est au politique de saisir les lumières pour en faire de l’énergie, et conjurer les périls qu’il devine dans l’ombre.
Et nous croyons que c’est dans ce monde-là précisément, dans ce monde de la modernité, dans le monde de demain et pas dans le monde d’hier, que notre idéal, que nos valeurs de société les plus généreuses, les plus solidaires, les plus égalitaires, égalité des chances et égalité des droits, peuvent s’épanouir comme elles ne se sont jamais épanouies.
Et en l’absence de cette synthèse, si l’on va vers le monde du chacun pour soi, dans le monde où l'on sépare perpétuellement les gagnants et les perdants, dans le monde des réseaux privilégiés d'un côté et des ghettos de l'autre, alors, je vous le dis, la France souffrira plus qu’aucun autre pays ne souffrira.
Mais si l’on choisit cette synthèse entre nos valeurs et la modernité, alors la France s’épanouira, comme aucun autre pays ne s’épanouira.
Et ce modèle d'une nouvelle synthèse entre nos valeurs et la modernité, nous le proposons pas seulement à nous-mêmes. Nous le proposerons, quand il aura trouvé sa dynamique et son équilibre, nous le proposerons à l’Europe, et par l’Europe au monde. Nous le concevons et proposons, non pas comme un modèle domestique, mais comme un modèle universel.
Et il est vrai, il faut regarder les choses en face, que c’est un modèle de résistance au modèle dominant sur la planète. Et il est vrai que c’est, en Occident au moins, le seul modèle concurrent que puisse rencontrer le modèle américain dominant.
Nous assumons cette vocation française. Et nous devons l’assumer aussi dans le concert des nations.
J’ai souvent eu maille à partir avec Jacques Chirac et Dominique de Villepin. Mais, je vous faire une confidence, je veux dire devant vous que l’un des moments où j’ai été le plus fier de mon pays ces dernières années, c’est dans le courant de cet hiver 2003, où se préparait la guerre en Irak, et particulièrement quand Dominique de Villepin a parlé devant le Conseil de Sécurité le 14 février 2003, quand il a parlé au nom d’un « vieux pays, la France, d’un vieux pays de la vieille Europe ».
J’ai été fier, et nous tous Français l’avons été. Et nous avons soutenu le gouvernement et le Président de la République. Sans faiblir.
Dieu sait pourtant, je peux le révéler aujourd'hui, qu’il ne manqua pas à l'époque de pressions amicales et d’influences bien intentionnées pour nous persuader de nous démarquer, en raison de la situation politique, en raison de la tradition de cette famille d’amitié avec le peuple américain, et de porter dans le débat politique français une compréhension bienveillante à la position de Bush et des siens.
Nombreuses étaient les ambassades et les visites qui venaient me dire : « vous avez eu le courage de vous démarquer des autres ? c'est formidable ! Vous avez là une occasion en or, vous devriez défendre la nécessité de l’intervention, ne laissez pas le monopole de cette position à Monsieur Untel (je laisse un blanc par amitié) ou à Monsieur Untel (je laisse un blanc par charité) »… Et au sein même de notre bureau, je savais bien que cette thèse était présente - je sais lire dans les yeux !
Je savais bien qu'il ne fallait pas laisser un pouce de terrain. Il était pour moi aveuglant que cette explosion, que déclenchait avec légèreté le pouvoir américain, apparaîtrait un jour comme un drame pour le Moyen-Orient, un drame pour le monde, et au bout du compte un drame pour l’Amérique elle-même.
Ce jour-là, la France a été à la hauteur de sa vocation.
Je n’ai eu qu’un regret, je vous l'avoue : c’est que ce combat que notre pays menait à juste titre au sein du Conseil de Sécurité, il ne cherche pas, en même temps, à le faire partager à nos frères européens.
Bien sûr, les gouvernants britanniques, espagnols, italiens, portugais, et d’autres, étaient alignés sur les thèses de l’administration Bush. Mais les peuples ne l’étaient pas ! Par millions, dans les rues de Londres, de Madrid, de Rome, nos concitoyens européens manifestaient. Ils avaient besoin d’appui, de soutien, d’une voix européenne qui exprime leur résistance et leur espérance. Cette voix aurait pu, je le crois, et dû, je le pense, être la voix de la France au sein de l’Europe, et peut-être alors, ce jour-là, le destin eût-il changé de cours…
Voyez-vous, puisque nous parlons du destin de la France, tout est lié. Nous avons un projet de société singulier. Et nous avons une voix singulière dans le concert des nations.
Et si nous avons la volonté de donner à ce projet et à cette voix l’influence et la force qu’ils méritent, alors nous avons besoin de construire l’Europe politique qui nous fait tant défaut.
Le monde étant ce qu’il est, la planète étant ce qu’elle est, nous avons besoin de pouvoir faire inscrire sur l’agenda des nations des rendez-vous, des obligations, des préoccupations qui concernent toute l’humanité.
Nous avons besoin de parler de climat, nous avons raison de le faire même si ce n'est pas à l'intérieur de l'hexagone que se règle le climat de la planète Terre - l'air que nous respirons aujourd'hui, mes chers amis, n'est pas un air français ! Mais l'humanité ne se préoccupera pas de son patrimoine s'il n'y a pas un peuple qui se préoccupe de ce défi, et ce ne peut être que la France.
Concernant l'immigration, je ne crois pas aux murs, aux miradors, aux avisos, aux papier anthropométriques infalsifiables. Quand vous avez de l'autre côté du mur toute la misère du monde, aucun douanier ne peut l'empêcher de passer - on peut la ralentir, on peut la contrôler - là aussi il nous faut l'ensemble européen - on ne peut pas l'arrêter. Il n'y a qu'un moyen, c'est que nous mettions devant nous, peuples européens, cette question : comment pouvons-nous faire pour que les Africains demeurent en Afrique, pour que ce soient eux qui nourrissent et équipent le continent africain ? Ce que nous avons fait à partir de 1945 pour garantir aux paysans européens qu'ils nourriraient l'Europe, ce schéma pour bâtir et protéger un ensemble, ne peut être abordé que par des gouvernants européens ensemble, décidés à peser ensemble sur l'organisation de la planète.
Nous avons besoin pour l’immigration, de volonté, pour protéger nos standards de vie en commun. Nous avons besoin d’une volonté politique de l’Europe. Et cette volonté politique ne peut se forger que dans une démarche démocratique de l'Union européenne.
Si l’Europe redevient ou demeure une technocratie, elle mourra, elle s’étiolera, elle sera rejetée.
Et si elle est rejetée, ou divisée, ou privée de volonté, alors le modèle dominant en Occident aura fait un pas, sans doute irréversible, vers sa suprématie.
Voilà pourquoi, à l'orée de cette campagne électorale, il faut reprendre et conduire la révolution démocratique de l’Union européenne. C’est à nous de la proposer, et s'il le faut de l'imposer. Des règles simples, compréhensibles par tous, pour que dans les domaines où doit s’exprimer la volonté européenne, les citoyens européens soient assurés d’être informés et reconnus comme la source de la souveraineté à construire. Nous traiterons, je traiterai cette question pendant la campagne électorale qui vient. Et ce n’est pas une question seconde : c’est une question principale.
Et il n'y aura pas de question principale, pendant cette période de choix national, qui ne soit par nous traitée et éclairée. Parce que les citoyens ont le droit de savoir pour exercer le droit de choisir.
Des citoyens qui viendront de bien au-delà de nos rangs - et là, je m'adresse à vous. Car cette voix différente, nous qui sommes réunis aujourd'hui en Conseil National, nous allons la porter en notre nom, bien sûr, mais au nom de beaucoup d’autres Français qui n’avaient jusqu’à maintenant jamais imaginé que l’UDF pourrait incarner une part d’eux-mêmes, qui n'avaient jamais pensé que l'UDF, comme ils croyaient la sentir, comme elle était trop souvent, puisse porter une part de ce qu’ils avaient de plus précieux. Eux qui nous regardaient comme étrangers, vont maintenant nous regarder comme des compagnons de combat.
C’est pourquoi je vous appelle, dans la période qui vient, à l’ouverture.
Et je veux vous dire ceci : il y a des millions de Français de droite, fidèles à leurs valeurs, mais qui ne veulent pas que l’on mette en scène, constamment, l’opposition, l’affrontement, la confrontation au cœur de notre peuple, qui trouvent cela inquiétant et qui ne s’y résignent pas. Il y a des millions de Français de droite qui veulent un État impartial, une vraie séparation des pouvoirs, et pas un État de connivence. Il y a des millions de Français de droite qui ne se résignent pas, en matière de projet de société, à la fascination actuelle pour le modèle américain, et aux yeux énamourés qui sont, en fait, promesse d’alignement.
Et il y a des millions de Français de gauche, fidèles à leur tradition et à leurs valeurs, qui considèrent qu'il faut un autre choix que ceux auquel on voudrait les condamner, et pour qui la politique, ce ne devrait pas être de suivre les sondages, mais les devancer. Des millions de Français qui pensent que lorsqu’il s’agit d'un problème aussi important que l’adhésion de la Turquie, le futur président de la République est supposé avoir sa propre opinion et la défendre devant ses concitoyens, même si elle est minoritaire, et non la calquer sur eux. Des Français de tout bord qui pensent que s’il avait fallu suivre la majorité, et que si c’était cela la politique nouvelle, il n’y aurait pas eu de 18 juin, et pas d’abolition de la peine de mort. Il y a beaucoup de Français de gauche qui considèrent que la représentation du peuple et la représentativité de l’élection valent bien mieux que le tirage au sort et la traduction des élus devant des jurys populaires.
Tout ceux-là en réalité, ce sont des citoyens français de tout bord, citoyens français, ils veulent qu’on les respecte et pas qu’on les suive. Ce n'est pas la même chose de respecter et de suivre. Ils ne se sentent nullement représentés par les sondages. Ils ne veulent pas qu’on écrive les programmes politiques avec la Sofres et l’Ifop, comme on le fait, paraît-il, à perte d’heures et de jours, chez les deux représentants jumeaux de cette démocratie qu’on veut nous vendre, qui n’est pas la démocratie d’opinion, mais la démocratie d’abaissement devant l’opinion.
Ils sont citoyens du peuple français, ils pensent que la République commence par la démocratie, et que la démocratie ce n’est pas la démagogie, que c’est exactement le contraire, c'est le respect du peuple, le respect du peuple par les élus, qui commence en leur disant la vérité : ce qu’on sait, ce qu’on voit, ce qu’on croit, même si c’est difficile, même si c’est à contre-courant ; et alors, en retour, en raison même de cette attitude, le respect des élus par le peuple citoyen.
Et quand j’assiste, quand nous assistons à la plus vaste opération de bourrage de crâne qui ait jamais été mise en œuvre depuis des décennies, avec des moyens puissants, qui martèle comme un tam-tam les noms jumeaux de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal, avec leur pareille vénération devant les sondages, chacun dans leur dérive - mais leur dérive est si semblable - alors je me dis qu'il faut que nous restaurions pour la France, face à la démocratie agenouillée devant l’opinion, la démocratie de conviction.
Il faut que nous évitions ce qui est en train de devenir la règle quotidienne de la vie politique -la politique du bouc émissaire. Vous vous souvenez ce qu’était aux temps bibliques, le bouc émissaire. Quand le peuple allait mal, quand il se sentait oppressé de ses fautes, on allait chercher un bouc, on le chargeait de tous les péchés du peuple, on le rendait coupable de tout, on le couvrait d’insultes, et on allait le perdre dans le désert. Alors, tout le monde se sentait mieux. Les démagogues ont toujours agi ainsi. C’est très populaire hélas ! d’attaquer les enseignants, en public ou en privé. C’est devenu le sport à la mode, évidemment de la part de gens qui ne tiendraient pas, devant les classes que nous avons aujourd’hui, la moitié des vingt heures de cours qui sont requis. C’est très facile d’attaquer les juges. Tantôt en les accusant de sévérité excessive (lorsqu'il s'agit de la délinquance en col blanc), tantôt de laxisme (dans les banlieues), en oubliant que les juges appliquent des lois et imposent des peines qui sont définies par les mêmes hommes politiques qui les accusent.
C’est la politique du bouc émissaire, qui fait pendant à la politique des sondages. L’un va avec l’autre : c’est toujours la même manière de flatter l’opinion, de la caresser dans le sens du poil, de la dresser contre l’autorité, au lieu de la restaurer dans sa responsabilité, dans son intelligence, et dans sa conscience.
Ces deux candidats prétendument rivaux, ils ne sont pas un duel, ils sont un duo. Et je n’ai pas envie qu’il n’y ait que Le Pen pour échapper à leur duo. Parce que restaurer la République, ce n’est pas l’affaire des extrêmes qui n'aiment pas la République, c’est l’affaire des Républicains qui aiment et veulent sauver les principes qui nous ont fait vivre.
Cette reconstruction de la République, elle demande, et selon nous elle exige, que l’on puisse faire vivre et travailler ensemble, dans une démarche de rassemblement, dans une démarche d’union nationale, des femmes et des hommes venus de bords différents.
Il y a un demi-siècle que cette démarche n’a pas été mise en œuvre et que les impératifs partisans ont tenu le haut du pavé dans notre pays, avec les résultats que l'on voit. Mais je vous assure aussi qu’il y a un demi-siècle, au moins, que notre pays n’a pas rencontré des problèmes si graves, de nature si lourde et si nouvelle, que l’on peut affirmer qu’aucun de ces problèmes ne se résoudra sans le rassemblement et la mobilisation de toutes les forces de la France.
Si nous les énumérons comme je l'ai fait au début de cette intervention - nous avons un problème moral : une partie de notre pays a décroché, dans le ghetto des banlieues, dans le ghetto du RMI, dans la descendance de l’immigration, et ce décrochage se perpétue désormais de génération en génération.
Nous avons un problème de sécurité publique.
Nous avons un problème économique avec une croissance trop aléatoire, trop faible, avec un pouvoir d’achat exténué, avec un prix du logement qui explose tous les budgets des salaires moyens. Et je ne parle pas des 610 € par mois du minimum vieillesse.
Nous avons un problème budgétaire. Tous les jours, nous dépensons 20 % de plus que ce qui entre dans les caisses publiques. Et ceux qui croient que cela sera payé « par nos enfants » se mettent le doigt dans l’œil. C’est nous qui payons, tous les jours… il vous suffit de voir les difficultés à la fin du mois pour joindre les deux bouts.
Nous avons un problème démographique, dont les retraites sont la traduction la plus crue. Parce que jamais, dans l’histoire d’aucun peuple de la planète, tant de retraités n’auront été portés par si peu d’actifs.
Nous avons un problème éducatif :l’égalité des chances n’est plus assurée et le milieu social d’origine devient le critère principal de la réussite.
Nous avons un problème de recherche : nous formons avec l’argent du contribuable français, avec les ressources de la science française, nous formons les meilleurs des jeunes Français, et ce sont les laboratoires américains qui profitent, poches ouvertes, de l’investissement du peuple français.
Nous avons un immense problème énergétique et climatique.
Je vous le dis avec gravité, mais avec certitude : aucun de ces problèmes n’est soluble dans le débat politique artificiel tel qu’il est organisé aujourd’hui et depuis des années.
Il ne s’agit plus de gouverner à la godille, d’aller un peu plus à gauche, ou un peu plus à droite, ou même provisoirement au centre, de gouverner avec ses copains, en attendant la prochaine fois, en attendant, à l’élection prochaine, de retrouver l’opposition… Il s’agit de refaire la France et de parler au monde.
Et vous voyez la dimension de ce que nous entreprenons : regarder en face l’état de notre pays, lui proposer une nouvelle synthèse, réconcilier le modèle républicain français avec la modernité, imposer une nouvelle démarche de pouvoir et de gouvernement, rassembler au lieu de diviser, éduquer au lieu de flatter, refonder la République dans ses valeurs, en démocratie et pas en démagogie.
Aller d’un pays harassé et divisé à un pays rassemblé et redressé. C’est une grande aventure collective. Et si vous regardez aujourd’hui le paysage décomposé de la démocratie française, nous sommes les seuls à pouvoir la proposer. C’est une grande aventure d’équipe, non pas une équipe qui veut se fermer pour garder les postes pour elle, mais une équipe qui au contraire veut s’ouvrir et travailler avec d’autres équipes, avec d’autres sensibilités. Et cela seul suffit à montrer notre différence.
C'est une grande aventure collective, et c’est aussi, si vous me permettez un dernier mot, une aventure intérieure, personnelle.
C’est un long chemin avant de pouvoir dire en pleine conscience, sachant ce que cela signifie, pour un homme et pour sa famille, pour son cercle d’amitié et d’intimité, c’est un long chemin avant de pouvoir dire : je vous propose d’assumer la charge de président pour la République française.
C'est un long chemin parce que, Président de la République, de la République française, ce n’est pas une fonction de leader politique, ce n’est pas un combat de plaies et de bosses. C’est plus profond : c’est sortir de soi-même, dépasser ses préférences, aller au-delà du bagage de préférences que la vie vous a donné, vous a offert, parfois avec générosité, en amour, en tendresse, en amitié, c’est sortir de soi-même pour assumer un moment, un moment difficile et précieux, le destin non pas de sa famille, non pas de ses proches, mais de tout un peuple.
De Français de chez nous, et de Français venus d’ailleurs, avec leur histoire différente, avec leurs opinions différentes, avec leurs convictions différentes, avec leurs idées différentes et souvent antagonistes.
On me demande quelquefois dans les interviews : qu’est ce que vous avez appris pendant ce long chemin, dans ce long combat de l’élection de 2002 ? J’ai appris à écouter les gens qui ne sont pas de mon avis. Non pas à leur céder sur tous les points, mais à les entendre et à les comprendre. Et j'ai appris à leur faire leur place dans l’idée que je me fais de l’avenir de mon pays.
Des femmes et des hommes : et j’ai mis les femmes en premier, parce que dans la reconstruction de la France, les femmes seront, je le crois, détentrices de quelque chose d’essentiel.
Des femmes et des hommes, de celles et de ceux qui croient, comme vous, quand vous avez la chance de croire, et de ceux qui ne croient pas. Des enthousiastes, des sceptiques et des découragés.
Un peuple tout entier qui va faire confiance, ayant pesé le pour et le contre, qui va faire confiance non pas à un parti, non pas à une étiquette, même pas seulement à un projet, mais au bout du compte à l’un des siens. Et il y a une clé pour gagner cette confiance : ce peuple, il faut non pas le suivre, mais le comprendre, le respecter, et il faut l’aimer.
Cette rencontre avec un peuple de femmes et d’hommes, cela justifie une vie.
Et je voulais vous le dire, avant d’aller à leur rencontre, avant de sortir des rangs de nos adhérents et de nos militants, sur les routes de terre et sur les trois océans, j’ai voulu vous le dire, à vous.
Parce que c’est une lourde charge, mais c’est une grande chance, et je vous la dois.
Je vous remercie.