Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'Esprit des Lois (9) : esprit de modération et législation

J'ai trouvé un écho aux propos de Jacqueline Gourault, sénatrice UDF-MoDem à propos de la modération en politique. Poursuivant ma lecture de l'Esprit des Lois, j'y trouve au livre XXIX chapitre I de l'Esprit des Lois ces sages propos :

« Je le dis, et il me semble que je n'ai fait cet ouvrage que pour le prouver: l'esprit de modération doit être celui du législateur; le bien politique, comme le bien moral, se trouve toujours entre deux limites

Voilà. Je crois que cet avis rejoint très bien ce que la Sénatrice disait, comparez, chers lecteurs :

« Quant on dit modération, peut-être pense t-on que c'est l'absence d'opinion solide, forgée. Je crois qu'au contraire, l'opinion forgée, forte, donne une sagesse qui peut se transformer en modération mais cela n'empêche pas la volonté, le combat politique, le combat contre l'injustice, le combat contre les rumeurs. »

L'exemple que donne Montesquieu me convient très bien, car il prophétise quasiment les lenteurs à venir de notre justice, et je crois les avoir déjà condamnées sur ce blog, en montrant comment elles devenaient un déni de justice. 

«En voici un exemple.
Les formalités de la justice sont nécessaires à la liberté. Mais le nombre en pourrait être si grand qu'il choquerait le but des lois mêmes qui les auraient établies : les affaires n'auraient point de fin; la propriété des biens resterait incertaine; on donnerait à l'une des parties le bien de l'autre sans examen, ou on les ruinerait toutes les deux à force d'examiner.
Les citoyens perdraient leur liberté et leur sûreté, les accusateurs n'auraient plus les moyens de convaincre, ni les accusés le moyen de se justifier

C'est clair, il tape dans le mille, l'ami Montesquieu. Et son exemple, cela me rappelle tout à fait le dégât des eaux que je citais dans ma note du 11 novembre 2006...

Pour le reste, le Livre XXIX vérifie littéralement le titre de l'ouvrage : Montesquieu compare les lois et leur esprit dans plusieurs situations concrètes, et montre comment des lois qui paraissent semblables ne le sont pas, comment des lois peuvent dériver de l'esprit du législateur, ou encore, comment il faut tenir compte des circonstances dans lesquelles elles ont été édictées, ne pas les séparer de leur objet, et bien d'autres observations de bon sens encore...

Il va même jusqu'à donner des conseils sur la manière dont il convient de les écrire, et j'avoue que je m'y retrouve plutôt ! Je cite en vrac :

Ceux qui ont un génie assez étendu pour pouvoir donner des lois à leur nation ou à une autre doivent faire de certaines attentions sur la manière de les former.

Le style en doit être concis. Les lois des Douze Tables sont un modèle de précision : les enfants les apprenaient par cœur  . Les Novelles de Justinien sont si diffuses, qu'il fallut les abréger  .

Le style des lois doit être simple; l'expression directe s'entend toujours mieux que l'expression réfléchie. Il n'y a point de majesté dans les lois du bas-empire; on y fait parler les princes comme des rhéteurs. Quand le style des lois est enflé, on ne les regarde que comme un ouvrage d'ostentation.

Il est essentiel que les paroles des lois réveillent chez tous les hommes les mêmes idées

[...]

Je dis que dans les lois il faut raisonner de la réalité à la réalité, et non pas de la réalité à la figure, ou de la figure à la réalité.
[...]
Les lois ne doivent point être subtiles; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement: elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple d'un père de famille.

Lorsque, dans une loi, les exceptions, limitations, modifications, ne sont point nécessaires, il vaut beaucoup mieux n'en point mettre. De pareils détails jettent dans de nouveaux détails.

Lorsqu'on fait tant que de rendre raison d'une loi, il faut que cette raison soit digne d'elle. Une loi romaine décide qu'un aveugle ne peut pas plaider, parce qu'il ne voit pas les ornements de la magistrature  . Il faut l'avoir fait exprès, pour donner une si mauvaise raison, quand il s'en présentait tant de bonnes.
[...]
En fait de présomption, celle de la loi vaut mieux que celle de l'homme. La loi française   regarde comme frauduleux tous les actes faits par un marchand dans les dix jours qui ont précédé sa banqueroute: c'est la présomption de la loi.[...]

Tiens, c'est amusant, cela vous rappelle pas quelque chose de très actuel, ça ? Heureusement que Montesquieu n'a pas vu l'affaire d'EADS, comme quoi, cela a beau avoir été écrit il y 250 ans, les choses ne changent pas fondamentalement...On devrait envoyer à Arnaud Lagardère et cie un exemplaire annoté de l'Esprit des Lois en n'oubliant pas de lui surligner le chapitre XVI du livre XXIX ...

Lorsque le juge présume, les jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi présume, elle donne au juge une règle fixe. [...].

Rien à dire, c'est une règle tout à fait fondamentale... 

 

Commentaires

  • Etant par nature un modéré, je ne peux qu'approuver les propos de Montesquieu (qui n'a d'ailleurs pas besoin de mon approbation pour être un grand homme)

    Je crains cependant que modération soit parfois confondue avec molesse ou indécision

    Etre modéré, c'est savoir faire l'équilibre entre l'économique et le social, entre les droits du bailleir et celui du locataire etc

    C'est parfois faire des compromis comme dans la constition européenne qui batissait une Europe qui était à la fois celle des citoyens et celle des nations

    Cettte recherche de l'équilibre dans la réflexion, dans les règles que sont les lois, ne doit pas se traduire en modération dans l'action. Si une action est nécessaire, il faut la faire à fond. Je crois que c'est ce que dit la sénatrice

    Par exemple, si le désordre climatique nous menace, il faut vraiment agir fortement pour le combattre

    C'est bien la qualité première d'un bon dirigeant d'identifier des priorités et de s'y tenir (à la différence d'un J Chirac qui en trouvait de nouvellles tous les matins, ce qui lui permettait de n'en suivre aucune)

    Evidemment, il faut être sur du choix de sa priorité

    Pour reprendre l'exemple écologique, certains pensent que les OGM sont un risque majeur pour l'humanité et sont prêts à braver toutes les lois pour s'y opposer. Là, on n'est pus dans la modération, on est dans le "j'ai raison contre tous les autres".

    Aller fort et loin suppose de susciter l'adhésion du plus grand nombre. Giscard l'avait compris quand il parlait de deux français sur trois

    Pour illustrer mon idée de priorité, je reprendrais bien un exemple cité par C Blanc dans "la croissance ou le chaos"

    Quand il s'est retrouvé à la tête d'Air France, cette compagnie était au bord de la faillite
    Son prédécesseur avait proposé un plan de rigueur demandant des sacrifices pour faire 5% de productivité ce qui avait mis la compagnie à feu et à sang
    L'une des raisons en était que ce plan n'était pas crédible puisque pas à la hauteur des difficultés de l'entreprise

    Lui a proposé un plan de gain de productivité de 30%, cet objectif étant assigné à chaque service.
    L'équilibre n'était pas dans le choix de la priorité et le plan était tout sauf modéré mais l'équilibre était dans le fait que les efforts demandés étaient partagés

  • @gérard

    De pertinentes observations avec lesquelles je m'accorde tout à fait. Mais je crois que c'est aussi l'esprit de ce que dit Jacqueline Gourault quand elle dit que la modération n'empêche pas la volonté.

Les commentaires sont fermés.