Je suis très près de partager l'avis de Vincent Bénard qui commente les dernières décisions de l'Union européenne en matière de régulation financière. Les accords Bâle III sont censés contraindre les établissements bancaires à disposer de garanties solides avant d'engranger des titres spéculatifs et potentiellement à risque. Vincent Bénard observe que d'ores et déjà, les entreprises qui disposent d'une garantie d'État, l'État en question fût-il endetté jusqu'à la moëlle, bénéficieront d'un statut particulier quand une banque en détiendra des actions. Ce que soupçonne Vincent Bénard, c'est que le régulateur européen soit très vite tenté de protéger ses intérêts plutôt que d'assurer transparence et sécurisation des transactions.
De son point de vue, un marché réagit de manière saine dès lors qu'on ne lui cache pas des éléments essentiels. Il croit, en somme, à l'intelligence des acteurs économiques et financiers. Le meilleur régulateur systémique, dans ces conditions, c'est le marché libre, c'est à dire un marché où les États laissent aussi couler et faire faillite les établissements qui se sont ramassés.
Dès 2008, j'ai aussi tendu à penser que la crise financière était d'abord une crise de l'information. Polymorphe et dissimulée dans les plis de ses propres métamorphoses, sciemment ou par ignorance, l'information est la clef des marchés, enjeu de pouvoir et de savoir.
J'appuie et valide donc les quatre propositions de Vincent Bénard, avec toutefois une réserve que j'indiquerai ensuite.
- En finir avec la comptabilité créative "hors bilan" (les finalités du hors bilan doivent être limitées au dévoilement des cautions et garanties à des tiers, point barre), et punir comme une escroquerie aggravée engageant la responsabilité personnelle des dirigeants sur l'intégralité de leurs biens la dissimulation aux actionnaires de risques pris par le biais de "Special Investment Vehicles" et autres joyeusetés, notamment off shore.
- obliger les banques à dévoiler de la façon la plus transparente les "produits primaires", actions, obligations, immobilier, contenus dans tous leurs produits dérivés ou agrégés,
- laisser le marché décider qui prend trop de risque, qui n'en prend pas, laisser évoluer les taux d'intérêts naturellement en fonction de ce jugement, sans donner un privilège de notation à quelques agences en position d'oligopole protégé... et de fait en grave conflit d'intérêt.
- et surtout, LAISSER LES MAUVAISES BANQUES FAIRE FAILLITE, selon des modalités techniques qui partagent le fardeau entre actionnaires et créanciers, déjà exposées ici.
J'ajouterai donc une quatrième proposition, et c'est celle de François Bayrou et du MoDem de longue date :
- séparer à nouveau banque d'affaires et banque de dépôts.
Si une banque se casse la figure, qu'elle ne mette pas en danger les économies de petits épargnants qui n'ont rien demandé à personne et qu'on n'a jamais informé des risques encourus par leur établissement bancaire.
J'ai un dernier désaccord avec Vincent Bénard : il commente en fait les réponses apportées par Sylvie Goulard, du MoDem, au quotidien Libération. L'Europe a une propension plus forte à imposer de la transparence que les États. Qu'il y ait donc un comité de supervision est une bonne chose. Ce qui compte, en revanche, c'est de déterminer ce que sera son rôle : et là, en effet, je préférerais qu'il s'occupe de rendre les transactions financières transparentes plutôt que de les interdire.
Malheureusement, ce traité laisse la part belle aux États, et, ce n'est pas faute, au niveau de l'ADLE, tout du moins, d'avoir tenté de leur rogner les ailes, comme l'explique Sylvie Goulard :
A chaque étape de la négociation, nous nous sommes heurtés aux Etats. Ainsi, nous n’avons pas réussi à faire sauter l’article qui prévoit qu’un pays peut s’opposer à une décision des autorités européennes si elle a des conséquences pour son budget, comme la nécessité de recapitaliser une banque.
Commentaires
@L' hérétique,
En ce qui concerne les parts de camembert je lui donne plutot raison.
Dslée
Elle me paraissait nettement plus inspirée dans ses chroniques, abeilles et bourdon un grand moment d'antologie.
Bonne soirée
Transparence des informations, oui mais aussi indépendance des organismes de contrôles des régulations nouvelles. Le scandale Enron/Andersen d'il y a quelques années annonçait collusion et cupidité sans fin.
Il y a dans le libéralisme "classique" un fantasme récurrent : celui de la concurrence "pure et parfaite" qui suppose elle-même une information complète et sincère des divers acteurs du marché, et en particulier des consommateurs. Dans la réalité, cette "information complète" n'existe pas, pour des raisons à la fois de lobbying (cas de l'etiquetage des produits contenant des OGM, par exemple), de possibilité physique (quel consommateur peut avaler toutes les infos dont il aurait besoin pour jouer parfaitement son rôle d'arbitre ?) et d'éducation des masses (qui sait vraiment comparer des offres de crédit exprimées l'une à taux fixe et l'autre à taux variable ?). Aussi le libéralisme ne doit-il être considéré que comme une approche théorique, aussi incapable que les autres de rendre complètement compte de la réalité.
Mdr,
Get lost guys ^^^
Eh voui, nous avons une chroniqueuse "Abeilles et bourdon" et un nomminateur d'un M'sieur Abeille sous le coude, donc j'attends avec impatience la suite de ce débat:
http://fanal-safran.over-blog.com/article-3eme-rencontre-mondiale-des-populations-de-montagne-56826324-comments.html#anchorComment
Bonne soirée à tous
je suis d'accord sur presque tous les points; sauf au sujet de la séparation Banque d'investissement et Banque de détail qui n'est qu'un leurre. Les pénétrations communes rendraient cette méthode de protection inopérante.
" LAISSER LES MAUVAISES BANQUES FAIRE FAILLITE"
philosophiquement, je suis complètement pour. Dans la pratique il faudrait suivre le raisonnement suivant:
1 - laissez tomber de trop grosses banques n'empirerait-il pas la situation?
2 - Si oui, limitons leur taille. Comment?
3 - si réussi, leur réduction en taille, donc en puissance de feu poserait-il un problème pour l'économie en générale?
La taille en capital d'une banque détermine en partie le montant maximale d'un prêt qu'elle peut accorder - d'où Bâle I,II,III. Le fait est que sous une certaine taille, certains investissements par l'emprunt ne seront plus possibles, même en faisant des montages avec plusieurs banques, d'où la question "quelles conséquences pour l'économie?".
Pour les anglophones, un bon blog réalisé par un professionnel dans la fusion/acquisition. Plus très actif, mais il est intéressant de relire ses commentaires pendant le déroulement de la crise. Et aussi, son oeil d'ethnologue face à l'écosystème Wall Street, qui ma foi est plutôt bien rendu.
mouarff, oublié l'adresse:
http://epicureandealmaker.blogspot.com/