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platon

  • Bayrou, le même et l'autre

    J'ai apprécié la belle réponse que Fred a faite à un sympathisant MoDem qui observait que plusieurs adhérents n'avaient pas renouvelé leur adhésion au MoDem, alléguant "le poids de leur conscience".

    Fred relève simplement une ancienne remarque d'un journaliste à propos du centriste : 

    François Bayrou est le seul homme politique qui soit le même avant et après que l'on ait allumé la caméra.

    C'est exactement ce que j'apprécie chez l'homme. Je sais que ce qu'il dit, il le fera. C'est pour cela que j'ai confiance en lui, et que, comme par hasard, il ne promet pas, lui, au moins, de raser gratis demain.

    Je songe souvent à ce général grec du sophiste Protagoras qui promet de ne pas raser une ville assiégée mais ne tient finalement pas sa promesse. Comme on le lui fait remarquer, il réplique qu'au jour de l'exécution de sa promesse, il n'est pas le même homme que la veille mais autre. Ainsi, il ne se trouve pas engagé par sa parole.

    Le même et l'autre : vieux serpent de mer de l'ontologie classique. C'est parce qu'il y a eu très tôt, en Grèce classique, des individus pour appliquer dans leur vie pratique le scepticisme absolu et cynique de plusieurs sophistes qu'un Socrate, ou d'autres philosophes comme les Éléates,  s'est levé pour les affronter.

    L'Étranger d'Élée à Thééthète

    - Ce que j’ai déjà dit : laisser là ces arguties comme inutiles, et se montrer capable de suivre et de critiquer pied à pied les assertions de celui qui prétend qu’une chose autre est la même sous quelque rapport et que la même est autre, et de le faire suivant la manière et le point de vue de cet homme, quand il explique la nature de l’un ou de l’autre. Quant à montrer n’importe comment que le même est autre et l’autre le même, que le grand est petit et le semblable dissemblable, et prendre plaisir à mettre toujours en avant ces oppositions dans ses raisonnements, cela n’est pas de la vraie critique, c’est l’ouvrage d’un novice qui vient seulement de prendre contact avec les réalités...

    Le Sophiste, Platon

    Combien puis-je parier qu'un Sarkozy viendra nous expliquer qu'il a changé, par exemple, et qu'il n'est plus le même mais un autre ? Et quelqu'un aurait confiance en la parole d'un homme qui se vanterait d'une telle chose ? Oh, il n'est sans doute pas le seul : on sait déjà que les belles promesses de la gauche ne pourront être tenues. Ségolène Royal admettait déjà en 2007 qu'elle n'avait jamais eu foi dans le programme politique qu'elle soutenait. C'est vraisemblablement le cas de la plupart des sociaux-démocrates et sociaux-libéraux du PS, mais voilà : demain est un autre jour, et c'est bien plus commode de faire semblant de l'ignorer...

  • Platon s'est bien vengé des tyrans

    Je lis actuellement pour me distraire les Lettres de Platon. J'en suis précisément à l'introduction des traducteurs, Luc Brisson et Monique Canto. Platon, après la mort de Socrate, son maître, s'est rendu en Sicile à l'invitation du chef politique le plus puissant de ce pays à cette époque, Denys de Syracuse. Les régimes qui dominent en Sicile sont alors des tyrannies. Une tyrannie, un tyran, à cette époque de la Grèce sont des mots qui n'ont pas encore de connotation péjorative. Il s'agit juste de régime et de titre politiques.

    Platon croit voir en Denys l'image du philosophe-roi, mais il doit déchanter assez vite et doit repartir, devenu personna non grata.

    Je savais que c'était en Grèce que le mot tyran avait pris sa chargé négative, et précisément à cette époque ; mais je ne savais pas que c'était spécifiquement Platon qui la lui avait donnée.

    Ceci est un encouragement à bien des égards. On pourrait s'imaginer, finalement, que la philosophie, les idées, ne sont que de vains discours et des idées sans grande conséquence. Et pourtant, l'avis d'un seul philosophe a suffi à donner une charge négative à un mot pour plus de 2500 ans et à discréditer définitivement un régime politique.

    Quelques philosophes dont Voltaire se sont chargés, par la suite, d'enfoncer le clou.

    On appelle tyran le souverain qui ne connaît de lois que son caprice, qui prend le bien de ses sujets, et qui ensuite les enrôle pour aller prendre celui de ses voisins. Il n’y a point de ces tyrans-là en Europe.

    On distingue la tyrannie d’un seul et celle de plusieurs. Cette tyrannie de plusieurs serait celle d’un corps qui envahirait les droits des autres corps, et qui exercerait le despotisme à la faveur des lois corrompues par lui. Il n’y a pas non plus de cette espèce de tyrans en Europe.

    Sous quelle tyrannie aimeriez-vous mieux vivre? Sous aucune; mais s’il fallait choisir, je détesterais moins la tyrannie d’un seul que celle de plusieurs. Un despote a toujours quelques bons moments; une assemblée de despotes n’en a jamais. Si un tyran me fait une injustice, je peux le désarmer par sa maîtresse, par son confesseur, ou par son page; mais une compagnie de graves tyrans est inaccessible à toutes les séductions. Quand elle n’est pas injuste, elle est au moins dure, et jamais elle ne répand de grâces.

    Si je n’ai qu’un despote, j’en suis quitte pour me ranger contre un mur lorsque je le vois passer, ou pour me prosterner, ou pour frapper la terre de mon front, selon la coutume du pays; mais s’il y a une compagnie de cent despotes, je suis exposé à répéter cette cérémonie cent fois par jour, ce qui est très ennuyeux à la longue quand on n’a pas les jarrets souples. Si j ai une métairie dans le voisinage de l’un de nos seigneurs, je suis écrasé; si je plaide contre un parent des parents d’un de nos seigneurs, je suis ruiné. Comment faire? J’ai peur que dans ce monde on ne soit réduit à être enclume ou marteau; heureux qui échappe à cette alternative
    !

    Et vous ? Que préférez-vous ? la tyrannie de la majorité ou celle d'un seul ? une belle chaîne dont Voltaire et son dictionnaire philosophique seraient l'origine et qui mérite réflexion, à l'heure où l'on parle parfois de la dictature de l'opinion. A noter que les philosophes grecs du temps de Platon n'avaient pas une bonne opinion de la démocratie, qu'ils considéraient à peu près aussi mal que la tyrannie...

  • Atlantide, Platon aurait vu juste ?

    Entre deux lectures politiques, je me cultive : il se trouve que j'ai accès à une excellente revue de culture grecque pour non spécialiste intitulée ΛΥΧΝΟΣ. Elle est réalisée par les adhérents d'une association qui répond au doux nom de Connaissance hellénique et s'adresse à des amateurs, éclairés ou non. Les articles n'en sont pas moins d'une grande qualité. Or, dans le numéro de janvier 2010, je suis tombé sur un article à propos de l'Atlantide, qui décoiffe. Son auteur est Jacques Collina-Girard, Maître de Conférences à l'Université de Provence. On le sait, la mention la plus importante que nous ayons de la mythique Atlantide est ce qu'en dit Platon via les dialogues philosophiques Critias et Timée. Il s'agit d'une île engloutie, source d'une civilisation brillante à l'orée de l'Antiquité. Les meilleurs spécialistes ont globalement estimé que le récit de Platon relevait pour l'essentiel de la fiction, même si des passionnés continuent d'interroger le texte.

    Or, Jacques Collina-Girard a eu une idée subtilissime, qu'il expose dans la revue : il a interrogé le texte de Platon avec le point de vue d'un géologue. Et là, le texte prend une dimension sidérante...Platon donne une description de l'Atlantide qui ne correspond à la géographie de la Méditerranée qui est la nôtre, bien qu'on ait reconnu dans les colonnes d'Hercule le détroit de Gibraltar. Mais, dans le même temps, il date la disparition de l'Atlantide d'environ 9600 ans avant notre ère ; or, cette période-là est précisément une zone de fracture entre une période de glaciation et une autre de réchauffement, entraînant la submersion de certaines bandes de terre et le remodelage des côtes. Ainsi, il y a 12 000 ans, la Méditerranée avait bien l'aspect de la mer intérieure que Platon décrit dans son récit, et il y avait bien une île, juste après le détroit de Gibraltar ; elle correspond à un massif rocheux qui se trouve à une cinquantaine de mètres sous l'eau, à l'heure actuelle : le banc Spartel. Et pour la taille de l'empire atlante, il s'entend en terme de zone d'influence, si bien qu'il n'est pas étonnant de voir Platon évoquer des dimensions qui vont de la Lybie jusqu'à l'Asie (grecque, donc, en somme, jusqu'à l'Arabie).

    L'auteur de l'article a écrit un livre en 2009, l'Atlantide retrouvée, enquête scientifique autour d'un mythe : je vais le commander, histoire de juger sur pièces. Il vient de faire deux conférences à ce sujet. Ça m'intéresse, cette histoire-là, et je ne suis pas le seul : nos amis Marocains se verraient bien en descendants des Atlantes...

  • Droit et liberté

    Je vais être synthétique au possible faute de temps. Claudio s'est récemment interrogé sur la nature de la liberté, se demandant s'il fallait ne la définir que par une simple absence d'interdits. Il répond par la négative en évoquant des discriminations et des dysfonctionnements assez caractéristiques de notre pays.

    Je ne suis pas sûr de le rejoindre. L'absence d'interdits est surtout une absence de limites. Ce qu'il me semble devoir dire, c'est que l'illimitation et la liberté ne sont pas synonymes.

    L'un des premiers à saisir le danger que représente philosophiquement l'argumentation de l'illimitation, c'est Platon dans le Philèbe. La mesure s'oppose à la démesure comme le limité s'oppose à l'illimité. Se définir selon une mesure, c'est échapper au cours insensé des plaisirs sans limites. C'est à l'aune de la mesure, et non de la démesure que s'accomplit la liberté.

    J'observe au demeurant que la même confrontation d'idées opposent relativisme et vérité. Nous n'en avons décidément pas fini avec le multiple et l'un chers à Platon...

    Mais pour revenir sur les exemples que donne Claudio, je ne suis pas certain de le suivre. Il n'y a là à mon avis pas grand chose à voir avec la liberté. Nous sommes plutôt dans le domaine de la justice et du droit. Et de toutes façons, rien n'interdit de transmettre une profession de manière héréditaire. En ce qui concerne le jeune homme venu des cités, j'aimerais avoir connaissance de TOUS les paramètres. Quel est son niveau de langage, a-t-il l'accent des cités, quelle est sa tenue vestimentaire, par exemple. Le fait est qu'il ne dispose pas de tous les codes qu'a inculqué naturellement ou presque l'ingénieur à son fils. Mais ça, c'est un problème d'éducation, pas un problème de liberté. Si vraiment on veut essayer de combler ce fossé, on peut essayer d'enseigner ces codes à l'école ou ailleurs, sachant que l'école ne pourra jamais remplacer complètement la famille.

  • La blogosphère s'ennuiera sans Sarkozy

    Je me faisais la réflexion que sans Sarkozy, s'il ne se représente pas en 2012, une bonne partie de la blogosphère (du moins politique) va s'ennuyer...

    Sacré Sarko, quand j'y réfléchis. C'est incroyable à quel point il déclenche un véritable phénomène d'hystérie collective... :-D Bien  sûr, je juge pour ma part que beaucoup des orientations qu'il choisit pour la France ne me conviennent pas, mais de là à en faire le Malin lui-même et à voir sa main derrière tous les maux de la France...

    Le problème de Sarko, c'est qu'il serait un excellent chef d'entreprise pour une PME, parce qu'il sait gérer de nombreux dossiers en même temps, et est très réactif, et globalement, sait donner des ordres vite. En revanche, il a du mal à déléguer, mais pour une PME, ce n'est pas un gros problème ; l'inconvénient, c'est que l'Etat, ce n'est pas une PME. On ne peut pas piloter un énorme tanker comme un hors-bord, et quand on fait une fausse manoeuvre, on passe un temps considérable à faire demi-tour ou simplement un virage. Autant que possible, il faut tenter de prendre la bonne direction dès le départ.

    Il y a dans la République de Platon, au Livre VI, une analogie fameuse entre le pilote du navire et le dirigeant d'une cité : Socrate parle alors à Adimante, une jeune athénien épris de philosophie. Question  de texte : qui est Sarko, et qui est Bayrou, dans l'extrait, puisqu'il est question de deux types de pilotes ?

     Or donc, écoute (488) ma comparaison afin de mieux voir encore combien je suis attaché à ce procédé. Le traitement que les États font subir aux hommes les plus sages est si dur qu'il n'est personne au monde qui en subisse de semblable, et que, pour en composer une image, celui qui les veut défendre est obligé de réunir les traits de multiples objets, à la manière des peintres qui représentent des animaux moitié boucs et moitié cerfs, et d'autres assemblages du même genre. Imagine donc quelque chose comme ceci se passant à bord d'un ou de plusieurs vaisseaux. Le patron, en taille et en force, surpasse tous les membres (488b) de l'équipage, mais il est un peu sourd, un peu myope, et a, en matière de navigation, des connaissances aussi courtes que sa vue. Les matelots se disputent entre eux le gouvernail : chacun estime que c'est à lui de le tenir, quoiqu'il n'en connaisse point l'art, et qu'il ne puisse dire sous quel maître ni dans quel temps il l'a appris. Bien plus, ils prétendent que ce n'est point un art qui s'apprenne, et si quelqu'un ose dire le contraire, ils sont (488c) prêts à le mettre en pièces . Sans cesse autour du patron, ils l'obsèdent de leurs prières, et usent de tous les moyens pour qu'il leur confie le gouvernail; et s'il arrive qu'ils ne le puissent persuader, et que d'autres y réussissent, ils tuent ces derniers ou les jettent par-dessus bord. Ensuite ils s'assurent du brave patron, soit en l'endormant avec de la mandragore, soit en l'enivrant, soit de toute autre manière; maîtres du vaisseau, ils s'approprient alors tout ce qu'il renferme et, buvant et festoyant, naviguent comme peuvent naviguer de pareilles gens  ; en outre, ils louent et appellent bon marin (488d), excellent pilote, maître en l'art nautique, celui qui sait les aider à prendre le commandement - en usant de persuasion ou de violence à l'égard du patron - et blâment comme inutile quiconque ne les aide point : d'ailleurs, pour ce qui est du vrai pilote, ils ne se doutent même pas qu'il doit étudier le temps, les saisons, le ciel, les astres, les vents, s'il veut réellement devenir capable de diriger un vaisseau ; quant à la manière de commander, avec ou sans l'assentiment de telle ou telle partie de 488e l'équipage, ils ne croient pas qu'il soit possible de l'apprendre, par l'étude ou par la pratique, et en même temps l'art du pilotage. Ne penses-tu pas que sur les vaisseaux où se produisent de pareilles scènes le vrai (489) pilote sera traité par les matelots de bayeur aux étoiles, de vain discoureur et de propre à rien?