Je poursuis ma progressive lecture de l'oeuvre majeure de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. J'ai fini le Tome I, je reviendrai d'ailleurs sur sa conclusion, et j'entame le Tome II.
A la fin du chapitre II, Tocqueville évoque le poids de l'opinion commune en démocratie sur les opinions individuelles. Et il a cette conclusion magnifique que je fais tout à fait mienne :
Si, à la place de toutes les puissances diverses qui gênaient ou retardaient outre mesure l'essor de la raison individuelle, les peuples démocratiques substituaient le pouvoir absolu d'une majorité, le mal n'aurait fait que changer de caractère. Les hommes n'auraient point trouvé le moyen de vivre indépendants; ils auraient seulement découvert, chose difficile, une nouvelle physionomie de la servitude. Il y a là, je ne saurais trop le redire, de quoi faire réfléchir profondément ceux qui voient dans la liberté de l'intelligence une chose sainte, et qui ne haïssent point seulement le despote, mais le despotisme. Pour moi, quand je sens la main du pouvoir qui s'appesantit sur mon front, il m'importe peu de savoir qui m'opprime, et je ne suis pas mieux disposé à passer ma tête dans le joug, parce qu'un million de bras me le présentent.
On ne peut mieux le dire, et cela correspond très exactement à ma manière d'envisager les choses. Particulièrement, ce n'est pas parce qu'un groupe donné bêle en coeur qu'il bêle plus juste qu'un individu isolé.
Trois lignes avant la conclusion, il relève le paradoxe même de la loi majoritaire en démocratie :
Je vois très clairement dans l'égalité deux tendances: l'une qui porte l'esprit de chaque homme vers des pensées nouvelles, et l'autre qui le réduirait volontiers à ne plus penser. Et j'aperçois comment, sous l'empire de certaines lois, la démocratie éteindrait la liberté intellectuelle que l'état social démocratique favorise, de telle sorte qu'après avoir brisé toutes les entraves que lui imposaient jadis des classes ou des hommes, l'esprit, humain s'enchaînerait étroitement aux volontés générales du grand nombre.
C'est qu'il y tenait, Tocqueville à sa liberté personnelle, et farouchement.
Justement, revenons à nos moutons : à titre perso, j'apprécie Obama, même si j'avais précisé ici qu'Hilary Clinton avait ma préférence. Je n'étais pas hostile a priori à McCain, d'abord centriste, mais le durcissement de sa campagne, puis le choix idiot d'une co-listière dramatique me l'ont fait fait vraiment prendre en grippe.
Cela dit, je suis quelque peu agacé par le gigantesque bêlement électronique qui se répand à travers toute la Toile. Je crois certes Obama bien plus brillant, intelligent et charismatique que Daboliou, et son équipe plus compétente. Toutefois, le bêlement généralisé pourrait bien se muer bientôt en un long sifflement de désenchantement. En effet, Obama a pris de gros risques en faisant des promesses qu'il ne sera pas aisé de tenir. Il veut se désengager d'Irak en douceur : très bien, mais comment le faire sans laisser un vide politique ? Il souhaite à fonds constant améliorer les résultats de la lutte contre Al Qaeda et les Taliban : bon courage, Barack, tu risques de te heurter assez vite au mur des réalités. Il veut donner une couverture-maladie pour tous : avec quel argent ? Il compte s'attaquer à la question de l'indépendance énergétique : les Américains accepteront-ils de changer radicalement leurs habitudes ? Et comment fera-t-il face aux colossaux déficits commerciaux des USA ? Pas d'autres options que des impôts monumentaux, et, à la clef, vraisemblablement, du protectionnisme, ce qui ne fera pas les affaires de l'Europe.
Les marchés financiers ne s'y sont d'ailleurs pas trompés. Ils se sont rapidement orientés à la baisse, par crainte des défis qui attendent Obama.
On a présenté le vote Obama comme un vote sans précédent parce qu'il est noir. En réalité, ce n'est pas Obama qui est noir. Je dirais même qu'il a toute l'apparence d'un blanc. S'il n'y avait pas Michelle, son épouse, pour le faire ressembler un tantinet à un noir, on jurerait même qu'il est blanc. C'est précisément parce qu'Obama n'a jamais joué la carte communautaire sous aucune forme que ce soit, qu'il a échappé au syndrôme de la minorité visible.
Bref, j'ai de la sympathie pour Obama, mais il ne s'agit pas pour autant de verser dans une forme euphorique d'hystérie collective dont le symptôme le plus manifeste est le bêlement frénétique en choeur.