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Charlie Hebdo : dans la peau de l'Ennemi

J'ai entendu et lu la condamnation de nombreux collectifs musulmans ainsi que des principales autorités de l'Islam en France et dans plusieurs pays étrangers. Mais j'ai lu aussi, sur les réseaux sociaux, des soutiens s'exprimer assez nettement envers les assassins de la rédaction de Charlie Hebdo. Du coup, je me suis mis à suivre plusieurs profils et j'ai même parfois engagé la conversation pour essayer de comprendre leur fonctionnement. J'ai parfois essayé de me glisser dans leur peau en me fabriquant de toutes pièces un miroir utile pour comprendre une haine que je pourrais partager dans d'autres circonstances.

Ce qui me frappe, tout d'abord, c'est que les Musulmans éduqués condamnent globalement sans ambages les faits atroces qui se sont produits. Là où j'ai vu chez des soutiens, c'est chez des individus faiblement cultivés (souvent pas du tout, en fait) et particulièrement chez les jeunes des quartiers dits sensibles, lycéens ou non.

Leur rapport au fondamentalisme est assez étrange : on trouve des gamines, jeunes filles souvent jolies, habillées à l'occidental, tenant des propos dans un langage fort peu châtié de nature à faire rougir une tomate, se référant constamment à des séries et à des modes américaines. Du côté des garçons, ce peut être des hommes d'un certain âge, souvent obsessionnels et maniaques, adeptes de théories complotistes de toutes sortes, mais surtout des jeunes baignant dans la culture "rap" (et assimilée), le mépris de l'État, de la France, de ses représentants de l'ordre et très communautaristes. Les Babtous, ce sont les blancs, les Européens, les occidentaux  (ça vient de toubab). Mais en réalité, ces jeunes-là se chamaillent aussi selon leurs origines, Tunisiens, Algériens et Marocains se moquant les uns des autres. D'un côté ils adoptent des tenues et des discours sexuellement explicites très provocants, de quoi donner une crise cardiaque à l'intégrisme traditionnel, et de l'autre, par un étrange retournement scizophrénique, ils défendent dur comme fer toute mention de l'Islam ou du Coran, considérant l'un et l'autre comme un marqueur d'identité absolu.

Pour essayer de comprendre cela, j'ai essayé de me glisser dans deux peaux différentes. J'ai d'abord lu le dernier billet de Koz, être ou pas être. Le Catholique et homme de foi qu'il est évoquait l'une des dernières Unes de Charlie Hebdo, partagé entre deux émotions : d'un côté, défendre le droit à s'exprimer, de l'autre l'absence de sympathie pour une revue qui a si souvent bafoué l'Église. L'issue de son billet ne comporte aucune ambiguïté, l'horreur l'a submergé plus que tout.

Pourquoi aussi peu d'empathie chez les jeunes des cités, dans ces conditions ? Pour essayer de comprendre leur cheminement, je me suis demandé comment j'aurais réagi si j'avais appris ce jour-là que deux furieux s'étaient rendus dans un spectacle de Dieudonné auquel assistait Alain Soral, les avaient cartonnés l'un et l'autre et tiré dans le public provoquant vingt morts.

Mes lecteurs vont certainement être épouvantés de ce que je vais écrire. J'aurais été partagé. D'un côté, j'aurais été furieux que deux abrutis donnent une légitimé à Dieudonné et Soral en faisant des martyrs de ces derniers, mais de l'autre, je n'aurais eu aucune empathie pour eux ni pour leur public que je considère comme complice. Une part de moi-même aurait certainement pensé " bien fait pour leur gueule" et je ne me serais associé à aucune action de commémoration ni de condoléances (de même d'ailleurs que Dieudonné et Soral n'ont pas réagi au drame de Charlie Hebdo et pour cause, ils sont des partisans de la grande alliance entre l'extrême-droite et l'islamisme !).

Je me suis dit que s'il y avait en France des Musulmans pour considérer les dessinateurs de Charlie Hebdo de la même manière que moi je puis considérer Dieudonné ou Soral, alors, je pouvais les comprendre.

Je me heurte évidemment à une objection de taille : sans partager leurs idées, en étant souvent choqué par leurs attaques (souvent imbéciles) contre les religions, je n'en ai pas moins trouvé toujours sympathiques et humains tous les dessinateurs de Charlie Hebdo qui me faisaient souvent rire malgré tout (même quand la caricature me semblait idiote et inutilement provocatrice). Oui, je les aimais bien et je pense que c'étaient des êtres de valeur, en dépit de leurs travers.

Seulement, voilà, ça, c'est mon sentiment à moi. Je considère qu'il n'y a pas plus nocif que le relativisme des valeurs. Charb, Cabu, c'est autre chose que Dieudonné. Mais dans ce domaine, l'argumentation est souvent difficile. Nous sommes dans l'affect à plein d'égards. En termes de droit et même de morale, je sais très bien qu'on m'aurait objecté que l'assassinat était ignoble quelles que soient les cibles. Et sans doute que la part de rationalité aurait en son for intérieur approuvé le raisonnement, mais l'émotion l'aurait emporté en surface et rien n'aurait pu m'amener à condamner très explicitement un tel crime.

Si les attaques contre le Coran et l'Islam ont heurté aussi profondément certains Musulmans que le font ces pourritures de Dieudonné et Soral, je peux concevoir aisément leur haine. Bien sûr, je ne la trouve pas juste, je pense qu'il y a du fanatisme derrière cela, et en valeur absolue, Cabu, Charb et les autres portaient au fond un idéal d'une très grande humanité même s'ils se plaisaient à moquer sans pitié leurs adversaires.

Au sein de cet islam de banlieue, avec toutes les contradictions que ceux qui le vivent portent, on a du mal à ne pas penser que les dessinateurs ont eu ce qu'ils méritaient. Plusieurs de ceux avec lesquels j'ai discuté l'ont dit ou explicitement, ou à demi-mot. J'ai noté aussi que chaque fois qu'on les renvoyait à l'horreur du geste, ils parlaient de la Palestine. Ils ne parlent, d'ailleurs QUE de la Palestine et Israël. Jamais du reste. Pas un mot pour les populations civiles syriennes ou irakiennes, yézidis, chrétiennes, chiites, kurdes ou sunnite rebelles à l'hégémonie de Daech. Ils s'en foutent, hurlent au complot ou ignorent simplement tout par inculture. C'est pour cela que je dis que ce sont des maniaques. Je ne parle même pas, évidemment, de la minute de silence dans les quartiers difficiles...

S'il y a pourtant des peuples qui peuvent nous comprendre, c'est bien les Syriens, les Irakiens ou, plus proches de nous, les Algériens. Une connaissance qui a connu les années de plomb de la période 1990-2000 et son cortège de 200 000 morts (elle est Algérienne) m'a confié qu'elle ne parvenait plus à dormir de nouveau. Cela avait éveillé en elle le souvenir de ces commandos du GIA qui pouvaient surgir à tout moment dans une salle de rédaction ou dans une simple maison de particuliers et liquider tout le monde à coups de kalachnikov.

Nous ne sommes pas sur des problématiques simples. Sarkozy a certainement très mal amené son débat sur l'identité nationale, mais c'est pourtant une question centrale. Disons, plus justement, que l'identité tout court est une question centrale. De plusieurs points de vue, ces jeunes se comportent comme bien des Français, mais ils ne se sentent pas Français. Et pourtant, ailleurs, ils seraient à la ramasse. Leurs identités de substitution ne se nourrissent que de rancoeur et de dépit, qu'ils alimentent aussi en restant entre eux. Comme quoi, le communautarisme, ce n'est vraiment pas une bonne idée, surtout s'il s'associe à la pauvreté.

Je n'ai pas de conclusion à apporter à ce billet. J'en reste là dans l'immédiat. Je ne retire rien à ce que j'ai écrit le jour même du crime mais d'autres questionnements me taraudent depuis un long moment déjà. L'un des djihadistes était magasinier dans une grande surface. J'en ai croisé souvent, des immigrés ou fils d'immigrés arabes dans des grandes surfaces. Souvent des gens sympas, conviviaux, accueillants. Pas qu'on imaginerait lâcher une rafale de kalachnikov ou devenir de la vraie racaille de retour à domicile. Alors quoi ? Docteur Jekyl de jour et Mister Hyde la nuit ? Allez savoir... Comme moi, peut-être quand l'émotion prend le dessus...

Commentaires

  • J'ose penser que c'est sous le coup de l'émotion que vous avez écrit cet article.
    Il y aurait beaucoup à commenté mais pour faire simple, il est dénué de toute analyse de fond et de constats rapides sans explications.
    Le pauvre restera toujours le mal désigné ....évitez nous votre hauteur et cette désignation de l'autre .

  • @Hafid
    Pourquoi sous le coup de l'émotion ? Je veux dire qu'est-ce que vous trouvez de non-fondé et pourquoi dites-vous que le pauvre est toujours le mal désigné ?

  • @ L'Hérétique

    Tiens, puisque vous faites dans la fiction, je vous en propose une autre.

    Deux trentenaires excités, dénommés Thibaut de la Roche-Pornay et Jean-François Ribier d'Entressailles (vieilles familles françaises) pénètrent dans les locaux de Charlie-Hebdo. Ils y abattent froidement Charb, Cabu, Wolinski et Tignous, ainsi que Jean-Michel Ribes, le patron du théâtre du Rond-Point, venu rendre visite aux journalistes. Puis les deux assassins ressortent en criant "Nous avons vengé le Christ", "Mort aux blasphémateurs" ou "Christ vaincra !".

    A partir de là, je vous propose deux scénarios possibles :

    1) l'ensemble des médias, bien que bouleversés par l'émotion, en appelle à la réflexion, refuse tout amalgame et répète en boucle que le geste de deux déments ne doit pas retomber sur la communauté chrétienne ; tandis que Manuel Valls et plus tard François Hollande en appellent à l'apaisement des esprits.

    2) l'ensemble des médias fait immédiatement le lien entre catholicisme, extrême-droite, Manif pour tous et FN. Manuel Valls envisage la mise hors-la-loi de LMPT, Mélenchon exige l'interdiction du FN, "Libération" titre sur "Les vrais responsables" en publiant en Une les photos de Houellebecq, Zemmour, Finkielkraut et Elisabeth Lévy, Caroline Fourest et sa copine Femen sont invitées au JT de France 2 pour y dénoncer les méfaits du catholicisme, et le Nouvel Obs ("L'Obs", désormais) consacre son numéro de la semaine aux "réseaux secrets de l'Opus Dei".

    A votre avis, quel est l'option la plus vraisemblable ? Et pourquoi ?

  • Je n'imagine pas quiconque penser condamner les Chrétiens collectivement après un tel événement. Qu'il y ait eu des imbéciles ensuite pour établir des liens plus que discutables, bon ça, c'est assez probable. Bien entendu, vous avez forcé le trait dans votre option 2

  • Vous croyez vraiment ? C'est que vous n'observez pas beaucoup le fonctionnement des banderilleros de gôôôche. La plupart ne rêvent que d'interdiction et de censure, même s'ils se croient en toute bonne foi défenseurs de la liberté d'expression. En réalité, la seule liberté qu'ils défendent, c'est la liberté de penser la même chose qu'eux.

  • Tiens, un exemple au hasard :un connard de base de la gauche-tarama (docteur en droit, tout de même) qui nous explique que "l’attentat contre Charlie Hebdo a la sale gueule de Renaud Camus, d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen".

    C'est pas beau, ça ?


    http://www.liberation.fr/debats/2015/01/08/sale-gueule_1176524

  • @Ch Romain
    Et pour vous quelle est l'option la plus vraisemblable ?
    Poser des questions binaires c'est justement l'origine de beaucoup de mal-entendu.
    Le terrorisme n'a pas de religion.
    C'est peut-être le sens de votre message mais ... alors faite l'effort d'exprimer votre pensée plus clairement (Habituellement c'est ce que vous faites !) et ajoutez tout simplement une troisième option.

  • J'exprime ma pensée très clairement, cher Berthe. Il suffit de lire mon second commentaire.

    Mais puisqu'il vous le faut en grosses lettres : je pense que si les terroristes s'étaient réclamés d'un intégrisme catholique, les amalgames auraient volé bas et en nombreuses escadrilles.

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