Plus jeune, j'avais commencé la lecture des Leçons sur la philosophie de l'histoire de Hegel. J'ai laissé l'introduction en plan pendant près de 20 ans, et puis subitement, il y a quelques semaines de cela, j'ai repris le livre, qui m'avait suivi dans toutes les pérégrinations, et, 20 ans après, j'ai poursuivi ma lecture...Hegel, c'est autre chose que Hessel, il faut le dire, tout de même :-)
L'objet de l'introduction est, pour Hegel, de présenter sa méthode, et, notamment de bien discerner les différentes manières d'aborder l'histoire. Elle comporte également une définition extrêmement importante non pas sur la liberté elle-même, mais sur les conditions de son apparition dans l'esprit, et ses relations avec la religion. Moment très important pour le livre, puisque c'est sur ce développement et ses conclusions que Hegel s'appuie ensuite pour tirer analyses et conclusions sur le monde oriental, tout particulièrement la Chine et l'Inde.
Et il n'est pas tendre Hegel. Il ferait passer Zemmour pour un doux rigolo, aujourd'hui. Il serait encore de ce monde que soit il serait viré de son université, soit l'ambassadeur allemand serait rappelé de New-Dehli et de Pékin...
Pas de relativisme culturel chez Hegel : haro sur le despotisme des empereurs de Chine, et autant sur le système des castes en Inde (toujours en vigueur, au demeurant).
Le problème, c'est que Hegel fait procéder les moeurs du type de gouvernement de ces peuples et en tire une définition générale du caractère chinois et autant de l'indien : fourberie, abjection, absence d'humanité ; incohérence des brahmanes qui ne marchent pas sur les fourmis mais laissent mourir d'inanition leur semblable s'il est de caste inférieure, fourberie du Chinois qui n'obéit à la loi que par conformisme social et non par objectivation de la morale. Chinois ou Indien, l'un et l'autre sont dépassés par leurs déterminations.
Hegel démolit méthodiquement les perceptions positives et orientalisantes de ses contemporains, tentant de prouver que la sagesse présumée de l'Inde n'est qu'un leurre.
Et la conclusion est impitoyable :
Pour terminer comparons encore une fois dans une vue générale l'Inde et la Chine ; nous avons trouvé en Chine une intelligence tout à fait dépourvue d'imagination, une vie prosaïque dans une réalité déterminée avec fixité ; dans le monde hindou, il n'y a pour ainsi dire pas d'objet ayant de la réalité, des limites déterminées, qui ne soit pas aussitôt retourné par l'imagination en l'objet contraire à ce qu'il est pour une conscience raisonnable.
A ses yeux, les Chinois n'honorent, en fait d'abstraction, que leur souverain, ce qui exclut toute notion de bien et de mal en soi, et les Indiens ne considèrent que la forme de leurs activités, comme autant de rituels vidés de toute substance morale. Dépassement de la forme sur le fond, dit plus prosaïquement. Seules comptent pour eux les obligations, et non la cause première des dites obligations. De ce fait, elles ne peuvent que se dérégler et dégénérer puisqu'il n'y plus d'objet moral pour leur donner une ligne directrice.
Mon objet n'est pas de démontrer qu'Hegel a tort ou a raison ; je n'ai pris Hegel que comme un prétexte. Je me dis simplement que les temps ont bien changé.
L'Inde aussi, d'ailleurs : Hegel eût-il imaginé que ce pays fût un jour devenu la plus grande démocratie du monde ? Quant à la Chine...Montesquieu aussi s'imaginait que les régimes politiques modelaient les moeurs des citoyens. Et pourtant, les peuples peuvent se soulever, comme le montre la Tunisie, pas forcément pour une alternative despotique.
Aujourd'hui, tout est langue diplomatique : il est convenu que l'on ne peut prendre à partie un peuple pour l'accuser de son sort. Comme si chaque peuple, parce qu'il est peuple, devait être sacralisé. Est-ce que les Pakistanais sont victimes ou coupables de leur société islamisée et traumatisante ? Est-ce que les banlieues françaises sont sous la coupe de minorités agissantes, ou bien participent-elles par leurs ambiguités (notamment vis à vis des forces de l'ordre) à leur déliquescence générale ?
Je me méfie, in fine d'Hegel, car sa liberté accomplie s'objective dans l'État qui prend la place de la religion : magnifique passerelle vers les totalitarismes les pires, on comprend comment nazisme et communisme ont pu piocher de la substance là-dedans.
Mais, je refuse, comme la doxa ambiante, de dédouaner les peuples de leur responsabilité. L'Italie est comptable de Berlusconi. Le Pakistan de ses islamistes, les Iraniens de leurs mollahs, les Chiliens de Pinochet et de ses salles de torture dans les années 70, et les Tunisiens, enfin, de Ben Ali qu'ils ont soutenu si longtemps avant de le conspuer.
Je crois à la responsabilité collective des peuples autant qu'à la responsabilité individuelle des individus. On peut punir un peuple. Le Japon a été puni, l'Allemagne a été punie, à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale. Ce que je récuse, en revanche, c'est qu'un peuple ne puisse changer. De même que je crois en la perfectibilité de l'homme, de même je conçois qu'un peuple puisse s'améliorer et se racheter. Rédemption. J'aurais du appeler mon blogue le Rédempteur, tiens. Ça me plaît bien, moi le Rédempteur.
Commentaires
Tu devrais aussi relire la boetie
Il est tard, repasserai demain si je le peux.
@+
Bravo ! Magnifique ! La provocation des formules "Je crois à la responsabilité collective des peuples… On peut punir un peuple…" est superbe. C'est un appel à troll gigantesque et le point Godwin est déjà atteint avec cette phrase : "l'Allemagne a été punie". Impossible de faire mieux.
C'est pour remonter dans un quelconque classement de blogs que des propos aussi stupides sont tenus ?
Oui, ces propos sont stupides. D'abord, parce que des mots pareils, j'aimerai voir leur auteur les répéter en face (à face) à un tunisien. Ou à un cambodgien. Ou à un russe. Ou à un cubain. Ou à un …(complétez). De toute façon, les frais de prothèse dentaire seront toujours aussi élevés, quelque soit la nationalité du poing qui percutera sa mâchoire.
Ensuite, parce qu'un peuple n'est pas un enfant qu'on punit. Ce genre d'approximation est simpliste, idiote et mortelle. Mortelle en particulier, parce que les punitions des peuples tuent des gens qui composent ces peuples, en particulier les plus faibles. Mais ne font pas grand chose aux dirigeants. Faut-il rappeler l'embargo de l'Irak après la première guerre du Golf et l'opération "pétrole contre nourriture" ? Ou dois-je poursuivre dans ce même genre d'approximation et de métaphore simpliste ? Oui ? Bon, on y va :
Si les peuples sont des enfants qu'on punit, que faudrait-il faire aux États qui font la morale mais qui font aussi défaut à leurs responsabilités pédagogiques ? Que faut-il faire de ceux qui se sont enrichis des contrats "pétrole contre nourriture", sans aucun résultat, USA et France en tête ? Leur donner la fessée ? Une fessée à un peuple, ça se fait comment ? À coup de bombe H ? Et ceux qui en ont profité pour se bourrer les poches, que faut-il leur faire ? Des remontrances ? Leur couper la tête à coup de hache ?
"Et les fils porteront la faute des pères". Mais où ai-je donc lu ça ?
Pardon, Monsieur le Rédempteur, mais en un mot comme cent : beurk !
Franchement, vous l'avez péché ou, chui là?
Pfiouou...
"Peuple" pour moi n'a aucune connotation étatique ou régionale.
aaaah le brainfuck!!!
avant j'etais comme vous, et j'ai enlevé mes oeillères....
Hegel a façonné le XIXe siècle européen : positivisme, sens rationnel de l'histoire et supériorité de la culture occidentale sur tout le reste. C'est un point d'ailleurs qui mérite d'être discuté, vu que le monde entier a adopté ou est en train d'adopter la civilisation occidentale, Hegel ne peut pas être balayé d'un revers de main, c'est évident.
Par contre, en des termes plus policés que Olivier, je ne vous suis pas du tout sur la "responsabilité" des peuples. Pour les dictatures, c'est une injure à ceux qui les subissent. Mais, soyons très individualistes, après tout on est entre libéraux, même en démocratie votre raisonnement ne tient pas : je ne me sens pas responsable des pitreries sarkoziennes, ayant voté mais n'ayant pas voté pour lui. J'ai employé le seul moyen à ma disposition pour le faire échouer, un bulletin de vote, et cela n'a pas suffit ; tous les français qui n'ont pas voté pour lui, par exemple, doivent-ils s'excuser auprès des Tunisiens pour les propos d'Alliot-Marie, complètement surréalistes (je persiste et signe) ?
Les Iraniens qui ont essayé de renverser leur régime rétrograde ne sont donc pas le peuple ? Les Lituaniens qui n'ont pu secouer le joug soviétique étaient responsables de leur servitude ?
On peut punir un pays, oui, des dirigeants et des fonctionnaires, certainement, mais punir un peuple ça n'a pas de sens, étant donné qu'un peuple n'existe pas.
(La distinction entre pays et peuple mériterait d'être discutée, j'en conviens)
Hegel a façonné le XIXe siècle européen : positivisme, sens rationnel de l'histoire et supériorité de la culture occidentale sur tout le reste. C'est un point d'ailleurs qui mérite d'être discuté, vu que le monde entier a adopté ou est en train d'adopter la civilisation occidentale, Hegel ne peut pas être balayé d'un revers de main, c'est évident.
Par contre, en des termes plus policés que Olivier, je ne vous suis pas du tout sur la "responsabilité" des peuples. Pour les dictatures, c'est une injure à ceux qui les subissent. Mais, soyons très individualistes, après tout on est entre libéraux, même en démocratie votre raisonnement ne tient pas : je ne me sens pas responsable des pitreries sarkoziennes, ayant voté mais n'ayant pas voté pour lui. J'ai employé le seul moyen à ma disposition pour le faire échouer, un bulletin de vote, et cela n'a pas suffit ; tous les français qui n'ont pas voté pour lui, par exemple, doivent-ils s'excuser auprès des Tunisiens pour les propos d'Alliot-Marie, complètement surréalistes (je persiste et signe) ?
Les Iraniens qui ont essayé de renverser leur régime rétrograde ne sont donc pas le peuple ? Les Lituaniens qui n'ont pu secouer le joug soviétique étaient responsables de leur servitude ?
On peut punir un pays, oui, des dirigeants et des fonctionnaires, certainement, mais punir un peuple ça n'a pas de sens, étant donné qu'un peuple n'existe pas.
(La distinction entre pays et peuple mériterait d'être discutée, j'en conviens)
@olivier
Tiens, je m'attendais à une réaction de ce genre.
@Archenemy
Je n'ai pas mis de complément d'agent après "ont été puni". Il aurait été plus juste d'écrire qu'ils se sont punis eux-mêmes, en fait.
Je vous concède évidemment bien volontiers que les victimes des régimes despotiques ne sont pas comptables de leurs tyrans.
Mais ce serait faux d'exonérer complètement les peuples de ceux qui les dirigent. Non qu'ils les soutiennent entièrement, mais plutôt que par certains réflexes, ils contribuent à leur maintien.
Mais bien sûr, il n'y a pas de situation ou toute noire ou toute blanche.
@Olympe
tu penses à quoi, exactement, de La Boétie ? le discours de la servitude volontaire ? Elle est magnifique cette analyse et illustre parfaitement ce à quoi je veux en venir.
au BeauHeaume
et de quelle manière avez-vous évolué, alors, finalement ?
Je manque de détails, mais je me demande si la démolition en règle par Hegel de l'Inde et de la Chine n'était pas aussi une attaque indirecte contre Schopenhauer, dont la pensée est très inspirée de bouddhisme et de philosophie orientale. Il y avait peut-être du règlement de comptes entre mandarins universitaires, là...
@Ch.Romain
Non, justement, parce que le boudhisme est la seule émanation de cet ensemble dont il reconnaît le mérite ! Il lui consacre une partie spécifique.
"Le Japon a ete puni"
moi je vous repond :Saïpan, suicide des civils japonais.
Les civils etaient terrorisés par l'amerique,victimes de leur propre propagande.
@L'Hérétique,
En toute amitié, j'ai l'intime conviction que vous faites un "flop" dans l'extrapolation que vous faites des écrits de Hegel sur ce blog. Vous pouvez évidemment à bon droit acquérir les éléments de langage de la philosophie de Hegel, c'est tout à votre honneur, mais je ne suis pas sûr que vous puissiez y donner le meilleur de vous même dans la finesse analytique (et conceptuelle) qui vous caractérise. Attention aux extrapolations hors contexte, je le répète; je vous propose simplement un angle de lecture : la Prusse de Hegel est loin d'être la Prusse de Bismark, qui elle même ne ressemble pas à l'Allemagne wilhelmienne de 1914. En 1912-1914, la course aux armements fait rage sur tous les horizons de l'Europe; peut on voir dans ce facteur technique déterminant un quelconque prodrome des conséquences d'août 1914 ? Non, la responsabilité collective des peuples témoigne côté français d'une idéologie revancharde, cocardière et bainvillienne avant la lettre : sur un champ de bataille, la responsabilité collective des peuples ne compte pas; elle n'est qu'une commode monnaie d'échange pour les cabinets diplomatiques. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que l'hégélianisme ait compté après la 1ère guerrre mondiale dans la montée en puissance du nazime, tellement ses sbires au gouvernail étaient incultes (pas tous). Diviser pour mieux régner était l'une des tactiques favorites du führer après Barbarossa. C'était beaucoup plus du machiavélisme d'Etat érigé en crime collectif et en abomination mondiale qu'autre chose. Quant à Lénine et à Staline, si le premier a fait ce que n'a évidemment pas fait l'autre, c'est à dire qu'il a effectivement lu les oeuvres de Hegel, il faut surtout pour comprendre ce long XXe Siècle invoquer une certaine systématisation du nihilisme qui caractérise l'histoire du peuple russe tout au cours du XIXe Siècle. Je vous rappelle que la dénazification politique de l'Allemagne de l'Ouest a été très légère entre 1946 et 1948 et qu'elle n'a rien à voir avec les procédés pratiqués par les Russes dans la zone d'occupation soviétique. Pas sûr, donc, que le XXe siècle ait été fondamentalement hégélien, sauf pour quelques intellectuels égarés dans les antichambres du pouvoir.Je finirai par une petite touche d'optimisme : que vous aspiriez en tant que redempteur à laver l'Histoire de l'Humanité de ses pêchés originels, soit; c'est fort louable et c'est la marque d'une pensée réflexive; mais quelle amibition ! La dérision est une valeur qui a beaucoup d'avenir.
@Jourdan,
Pas tout à fait d'accord.
Hegel peur etre lu à différents niveaux, notamment quand à son "historicité" et sa recherche de transversalité, qui n'ont point abouti.
Quand à son rationalisme...Sa géographie ne s'est jamais située qu'en termes d'états et/ou continents.
Marx, l'a pris à contrepied en reprenant certains de ses propos à la lettre sans remonter aux sources vraiment, à mon sens, de sa démarche initiale aussi ils me paraissent fianlement assez proches.
Enfermés tous, qu'ils étaient à l'époque de "cartographie".
Dslée, pour avoir beaucoup voyagé, je sais que les aspirations du "peuple" sont très différentes, selon que l'on vit en ville ou en campagne ou en montagne ou au bord de la mer.
Que beaucoup dépend aussi de son niveau d'éducation.
Cela m'aide à voir certains soulèvements, sous un regard différent.
@+
@Jourdan
Hegel ne saurait être comptable de tout, mais n'oubliez pas qu'il a eu des héritiers.
Qu'est-ce que vous jugez être des extrapolations ?
@ L'Hérétique,
Par extrapolation, je voulais juste vous renvoyer au discours de Dakar, dont l'impact historique est à peu près proche du zéro. Le talon d'Achille de la personnalité Sarkozy est de croire qu'il participe à l'Histoire; en réalité, il ne fait qu'asseoir à l'emporte-pièce des stratégies de communication désordonnées, comme un magicien ferait sortir de son chapeau une trentaine de lapins. Mais il n'y a pas de sens dans tout cela ! En quoi ce président illustrerait il une diplomatie pionnière ? En rien ! Tout est creux, et l'invocation d'Hegel ne modifie pas fondamentalement les données du problème. La mosaïque qui se déroule chaque jour sous nos yeux dans l'actualité de la marche du monde nous invite à donner un coup de projecteur dans d'autres directions. Nous avons dépassé l'ère de la post-modernité, où l'historicité du temps était encore palpable. La lecture toujours féconde de Hegel est à remiser dans les annales de l'Histoire de la philosophie. Dans une trentaine d'années, les générations qui nous succéderont retiendront peut être plus l'impact des mutations de la France dans le monde que le bilan de l'action présidentielle de Nicolas Sarkozy. Il n'est pas évident que les "exploits" de son action gouvernementale restent gravés dans toutes les mémoires.