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hegel

  • Les réminiscences hégeliennes de Nicolas Sarkozy (ou d'Henri Guaino...)

    Mes lectures hégeliennes me réservent décidément des surprises. Qui eût imaginé qu'un livre d'Hegel inspirât une partie notable de la politique extérieure de la France ? Dans son introduction des leçons de la philosophie de l'Histoire, Hegel évoque le rôle de la géographie dans la genèse de l'esprit historique d'une civilisation. A la suite d'Aristote, il juge que la confrontation avec des conditions naturelles extrêmes ne permet pas à la conscience de l'individu de s'objectiver, et donc, de construire les éléments constitutifs d'une civilisation, c'est à dire une écriture, une histoire écrite puis réflexive , des lois et au final un état.

    Il passe donc en revue les continents et écarte d'emblée l'Amérique, qui lui semble être avant tout un écho de l'Ancien Monde dont l'histoire reste à écrire. Tu parles d'un écho...l'écho il a percuté tellement fort l'autre rivage de l'Atlantique qu'il nous est revenu à la face, et ce qu'est nous, bientôt, qui allons être un écho du Nouveau Monde, au train où vont les choses. Bon, bref, ce n'est pas mon sujet actuel, c'était une réflexion personnelle en passant.

    Après l'Amérique, Hegel évoque l'Asie et l'Europe, naturellement, dans le détail, d'ailleurs, et observe que la Méditerranée est le centre névralgique de l'Histoire Universelle. Loin, comme la terre, de séparer les peuples, la mer les rapproche, en fait. J'ai pensé immédiatement à l'Union pour la Méditerranée de Nicolas Sarkozy. Sur le fond, la pensée est la même. A l'heure actuelle, au moins de ce côté de l'Atlantique, c'est vers l'Europe du Nord que se joue sinon l'Histoire universelle, au moins le modèle de l'Europe qui se profile. Avec son UPM, Sarkozy a voulu, semble-t-il, ramener ce centre de gravité plus au sud, donnant ainsi un rôle prépondérant à la France. Mais, pourra-t-on m'objecter, l'Afrique n'est pas l'Europe, donc mon raisonnement pèche. Eh non, pas pour Hegel, justement. Hegel assimile les vieilles civilisations d'Afrique du Nord à l'Asie, au monde oriental, pas à l'Afrique. L'Afrique, de son point de vue, n'est qu'une extension de l'Europe. La boucle est ainsi bouclée.

    De fait, des forces sourdes et antagonistes s'affrontent, non pas militairement, mais dans les opinions publiques des peuples d'Europe et du Maghreb. Avec sa force d'attraction, son soft power, l'Europe essaie de pousser les pays du Proche-Orient et du Maghreb vers la libéralisation de leurs économies et vers la démocratie. Si l'Europe tolère les despotismes dans ses échanges commerciaux, il y a en revanche consensus pour n'accepter que des pays répondant à des normes démocratiques draconiennes en son sein. Scrupules qui n'effleurent évidemment pas l'Amérique, très pressée de voir ses alliés intégrer l'Europe, d'où les appels répétés d'Obama, mais du Bush avant lui, à faire rentrer la Turquie dans l'UE, et ce, bien avant que ce pays ne réponde à nos normes démocratiques...

    Mais j'en viens maintenant au Discours de Dakar. Je l'ai écrit récemment, je suis souvent choqué par les points de vue d'Hegel, n'hésitant pas à réduire le caractère moral des peuples à ce qu'il estime être le développement de leur conscience historique, c'est à dire l'objectivation de leur liberté. Si quelqu'un aujourd'hui, écrivait ce qui figure, en trois quatre pages chargées de mépris, dans l'introduction de Hegel sur l'absence présumée de morale, de pensée et de conscience chez les peuples d'Afrique noire, il ne se passerait pas une semaine sans qu'il soit en procès et vilipendé (à raison !) par les élites de notre pays. Seulement voilà, Hegel écarte les peuples africains parce qu'il les pense incapable de rentrer dans l'histoire, c'est à dire, en somme de faire usage de leur liberté et de se sublimer. En version plus moderne, en gros, cela revient à leur dire qu'ils sont incapables de se prendre en main depuis longtemps et qu'on aimerait bien qu'ils le deviennent. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'invitation de Nicolas Sarkozy aux Africains à rentrer dans l'Histoire. Oh, l'opinion publique africaine a été émue. Mais je crois qu'elle le serait encore bien plus si elle prenait connaissance de l'origine du discours de Nicolas Sarkozy ! 

    Il faut éliminer une charge contre Hegel. Il n'est pas raciste. Son discours ne s'appuie en aucun cas sur des différenciations racistes. Il procède méthodiquement en tentant d'expliquer la genèse des civilisations ou non. La chose ne serait pas gênante si elle n'était pas clairement emprunt de jugements moraux plus méprisants les uns que les autres. La pensée hégelienne ne peut pas fonder clairement un racisme de type fasciste, mais toutes les autres formes de colonialisme, sans problème. Elle est d'ailleurs symptomatique de son temps. Ce n'est pas tout : elle hypostasie une direction générale pour l'humanité et la pensée dont l'issue, je l'ai dit, est très loin de me réjouir : l'État. Parce qu'Hegel juge que notre capacité à remettre entre les mains de l'État le libre jeu de nos actions est la plus belle objectivation de notre liberté. Si le raisonnement moral ne figure pas chez Rousseau (au contraire, même !!!) le raisonnement politique est le même, sauf qu'il procède de la nécessité dans son Contrat social.

    Je ne pense pas que Nicolas Sarkozy soit un hegelien. Je ne sais même pas s'il a lu ce livre de Hegel. Mais en tout cas, il en a discuté avec Henri Guaino, qui lui, pour le compte, adhère pour parti à la vision de l'histoire et de la civilisation exposée par Hegel. BHL a cru que le discours de Guaino avait une source maurassienne. Il s'est complètement planté. Je me suis demandé si quelqu'un d'autre avait relevé une telle similitude entre le discours de Sarkozy et les écrits d'Hegel, et j'ai trouvé quelqu'un. Olivier Pironet, dans Le Monde Diplomatique de novembre 2007 s'est posé visiblement les mêmes questions que moi. Il est même rentré dans le détail, et je recommande la lecture de son article, nous sommes, lui et moi, à peu près d'accord sur le constat.

    In fine, je me dis que le pouvoir d'un conseiller occulte, et celui de ses lectures, est bien grand. A travers Henri Guaino, puis Nicolas Sarkozy, c'est Hegel qui aura donné une ligne générale à notre politique africaine. 

    Il me semble moi, qu'une autre vision est possible pour l'Afrique. François Bayrou, pendant sa campagne présidentielle, avait consacré une entrée spécifique, sur la page de son programme, à ce continent. Si les Tiers-mondistes m'insupportent au moins autant que Guaino, je pense en revanche, qu'il y a en Afrique, la place pour un co-développement harmonieux.  Au lieu de renvoyer l'Afrique à une enfance capricieuse, et finalement, sur le modèle de ce que nous exigeons de nos enfants, trop jeunes, en Europe, la laisser livrée à elle-même, je préférerais imaginer qu'une Europe amicale garantisse une atmosphère bienveillante à l'Afrique. Hegel a été victime, finalement, de ses propres limitations. Il n'a pas conçu qu'à l'échelle de l'histoire de l'humanité, 500 années, et même 1000 d'écart de développement, ce n'était rien. L'homme a mis plus de 600 000 ans à construire des villes. Quelle importance, dans ces conditions, que les Toltèques, par exemple, l'aient fait 1 000 ans plus tard que les Grecs. Hegel nous bassine avec sa raison dans l'Histoire, alors qu'il n'est pas capable de voir au-delà ni en-deçà des 4000 dernières années de développement humain, et ce, parce qu'il y a eu une accélération prodigieuse dans l'histoire de notre humanité. 

    Finalement, si je me permettais l'audace d'appliquer un raisonnement montessorien au développement humain, je dirais que ce n'est pas notre rôle de contrarier le plan secret de l'Histoire pour chaque peuple. Je dirais, au contraire, que c'est de notre devoir moral de lui garantir une atmosphère bienveillante pour lui permettre de croître et de prospérer. Cette atmosphère suppose de véritables sécurités, pour que le bébé-nation puisse se développer à l'abri des agressions de toutes sortes. Il ne s'agit pas non plus d'assumer les rênes de sa destinée à sa place. Mais de le laisser mettre en place les fondamentaux, qui feront, en Afrique, pour reprendre Bayrou, des hommes qui vivent comme des hommes debout. Bayrou suggérait de laisser les pays africains protéger au moins leur agriculture. Sur le chemin du co-développement et de la bienveillance, cela me paraît une entrée de choix, toute autre, en tout cas, que d'inviter, comme le suggère un Henri Guaino, l'Afrique à entrer dans l'histoire...

     

  • Hegel, l'incident diplomatique avec l'Inde et la Chine...

    Plus jeune, j'avais commencé la lecture des Leçons sur la philosophie de l'histoire de Hegel. J'ai laissé l'introduction en plan pendant près de 20 ans, et puis subitement, il y a quelques semaines de cela, j'ai repris le livre, qui m'avait suivi dans toutes les pérégrinations, et, 20 ans après, j'ai poursuivi ma lecture...Hegel, c'est autre chose que Hessel, il faut le dire, tout de même :-)

    L'objet de l'introduction est, pour Hegel, de présenter sa méthode, et, notamment de bien discerner les différentes manières d'aborder l'histoire.  Elle comporte également une définition extrêmement importante non pas sur la liberté elle-même, mais sur les conditions de son apparition dans l'esprit, et ses relations avec la religion. Moment très important pour le livre, puisque c'est sur ce développement et ses conclusions que Hegel s'appuie ensuite pour tirer analyses et conclusions sur le monde oriental, tout particulièrement la Chine et l'Inde. 

    Et il n'est pas tendre Hegel. Il ferait passer Zemmour pour un doux rigolo, aujourd'hui. Il serait encore de ce monde que soit il serait viré de son université, soit l'ambassadeur allemand serait rappelé de New-Dehli et de Pékin...

    Pas de relativisme culturel chez Hegel : haro sur le despotisme des empereurs de Chine, et autant sur le système des castes en Inde (toujours en vigueur, au demeurant).

    Le problème, c'est que Hegel fait procéder les moeurs du type de gouvernement de ces peuples et en tire une définition générale du caractère chinois et autant de l'indien : fourberie, abjection, absence d'humanité ;  incohérence des brahmanes qui ne marchent pas sur les fourmis mais laissent mourir d'inanition leur semblable s'il est de caste inférieure, fourberie du Chinois qui n'obéit à la loi que par conformisme social et non par objectivation de la morale. Chinois ou Indien, l'un et l'autre sont dépassés par leurs déterminations.

    Hegel démolit méthodiquement les perceptions positives et orientalisantes de ses contemporains, tentant de prouver que la sagesse présumée de l'Inde n'est qu'un leurre.

    Et la conclusion est impitoyable :

    Pour terminer comparons encore une fois dans une vue générale l'Inde et la Chine ; nous avons trouvé en Chine une intelligence tout à fait dépourvue d'imagination, une vie prosaïque dans une réalité déterminée avec fixité ; dans le monde hindou, il n'y a pour ainsi dire pas d'objet ayant de la réalité, des limites déterminées, qui ne soit pas aussitôt retourné par l'imagination en l'objet contraire à ce qu'il est pour une conscience raisonnable.

    A ses yeux, les Chinois n'honorent, en fait d'abstraction, que leur souverain, ce qui exclut toute notion de bien et de mal en soi, et les Indiens ne considèrent que la forme de leurs activités, comme autant de rituels vidés de toute substance morale. Dépassement de la forme sur le fond, dit plus prosaïquement. Seules comptent pour eux les obligations, et non la cause première des dites obligations. De ce fait, elles ne peuvent que se dérégler et dégénérer puisqu'il n'y plus d'objet moral pour leur donner une ligne directrice.

    Mon objet n'est pas de démontrer qu'Hegel a tort ou a raison ; je n'ai pris Hegel que comme un prétexte. Je me dis simplement que les temps ont bien changé.

    L'Inde aussi, d'ailleurs : Hegel eût-il imaginé que ce pays fût un jour devenu la plus grande démocratie du monde ? Quant à la Chine...Montesquieu aussi s'imaginait que les régimes politiques modelaient les moeurs des citoyens. Et pourtant, les peuples peuvent se soulever, comme le montre la Tunisie, pas forcément pour une alternative despotique.

    Aujourd'hui, tout est langue diplomatique : il est convenu que l'on ne peut prendre à partie un peuple pour l'accuser de son sort. Comme si chaque peuple, parce qu'il est peuple, devait être sacralisé. Est-ce que les Pakistanais sont victimes ou coupables de leur société islamisée et traumatisante ? Est-ce que les banlieues françaises sont sous la coupe de minorités agissantes, ou bien participent-elles par leurs ambiguités (notamment vis à vis des forces de l'ordre) à leur déliquescence générale ?

    Je me méfie, in fine d'Hegel, car sa liberté accomplie s'objective dans l'État qui prend la place de la religion : magnifique passerelle vers les totalitarismes les pires, on comprend comment nazisme et communisme ont pu piocher de la substance là-dedans.

    Mais, je refuse, comme la doxa ambiante, de dédouaner les peuples de leur responsabilité. L'Italie est comptable de Berlusconi. Le Pakistan de ses islamistes, les Iraniens de leurs mollahs, les Chiliens de Pinochet et de ses salles de torture dans les années 70,  et les Tunisiens, enfin,  de Ben Ali qu'ils ont soutenu si longtemps avant de le conspuer.

    Je crois à la responsabilité collective des peuples autant qu'à la responsabilité individuelle des individus. On peut punir un peuple. Le Japon a été puni, l'Allemagne a été punie, à l'issue de la Seconde Guerre Mondiale. Ce que je récuse, en revanche, c'est qu'un peuple ne puisse changer. De même que je crois en la perfectibilité de l'homme, de même je conçois qu'un peuple puisse s'améliorer et se racheter. Rédemption. J'aurais du appeler mon blogue le Rédempteur, tiens. Ça me plaît bien, moi le Rédempteur.