Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

On n'a pas fini de parler de la retraite

La BPCE (ex Caisse d'Épargne et Banque Populaire) vient d'ouvrir un observatoire des retraites. Très intéressant. Bien sûr, cette banque d'abord un oeil financier sur l'allongement de la durée de vie et le financement des retraites. S'il lui semble établi que la retraite par répartition restera le modèle dominant en France, ses experts ont calculé qu'au fil du temps, il y aurait un décrochage entre le revenu des actifs et celui des retraités. Actuellement, un retraité dispose d'un peu plus de 85% du revenu d'un actif. Mais à l'horizon 2050, ce taux devrait être inférieur à 50%, compte-tenu de notre probable évolution démographique.

Cette banque se positionne donc avec l'espoir de proposer des produits financiers attractifs aux futurs retraités. Toutefois, lucide, elles est consciente que les futures générations de retraités chercheront d'abord à sécuriser leurs revenus. Les soubresauts de la finance internationale ont engendré une grande méfiance envers ses produits. Si elle note que les Français ne craignent pas de placer des sommes assez considérables en épargne et en assurance-vie, elle n'a pas franchi le pas pour les compléments retraites. 

Bien souvent, c'est la pierre, qui tend à fluctuer assez peu si ce n'est à la hausse, qui paraît aux Français la garantie la plus durable et la plus fiable. On achète donc de quoi se loger avant toutes choses quand on veut sécuriser ses vieilles années.

Les publicitaires, les économistes et les financiers ont du pain sur la planche. Pour être franc, moi-même qui ai une relative confiance dans les vertus du libéralisme et du capitalisme, je fais partie de ceux qui se défient des caisses complémentaires et des placements de ce type. La rapacité des fonds de pension outre-Atlantique, justement constitués de ce genre de portefeuilles, les faillites traumatisantes qui s'y produisent avec son cortège de malheureux qui se retrouvent sans rien et contraints de reprendre une activité salariée à parfois plus de 70 ans, ne m'inspirent guère confiance.

Je veux bien être convaincu, mais il va falloir me présenter des arguments (et des contre-arguments à mes objections !) très solides.

Le projet de cette banque n'en est pas moins très riche et large, car son observatoire a pour objet d'étudier la retraite sous tous ses aspects. Il donne donc aussi la parole à des sociologues, à des économistes, à des philosophes.

Parmi ces derniers, j'ai écouté avec beaucoup d'attention l'intervention de Pierre Henri-Tavoillot, que j'ai eu l'occasion de rencontrer il y près de dix ans (mais qui ne s'en rappelle probablement pas). J'ai trouvé ses pistes de réflexion très pertinentes.

Il renvoie notamment à ce que nos Anciens disaient du vieil âge ; il associe particulièrement Cicéron et Saint-Augustin parce que leurs opinions sont diamétralement opposées. Saint-Augustin voit dans le dernier âge l'occasion de se consacrer aux choses essentielles, tandis que Cicéron estime que l'homme âgé doit demeurer le plus actif possible, au sens latin du mot.

Il se trouve que je connais le De senectute de Cicéron. Je l'ai lu. Il s'agit d'un traité sous forme de dialogue entre les générations. Deux jeunes adultes, Scipion (le général romain victorieux d'Hannibal le Carthaginois) et Laelius, conversent avec Caton l'Ancien, grande figure morale et austère de la Rome républicaine. Cicéron se représente une vieillesse heureuse. Il existe une excellente analyse du texte à laquelle je renvoie, afin de ne pas alourdir ma note. D'une certaine manière, dans la vision de Cicéron des troisième et quatrième âges, il n'y pas de retraite mais une extinction progressive, qui, si l'on demeure actif, nous évite bien des angoisses.

Toutefois, la vieillesse de Cicéron s'inscrit dans une éthique qui heurte frontalement les valeurs de notre société, toute entière tournée vers le confort, l'amusement, les loisirs et la satisfaction des passions. Il faut avoir pris l'habitude dès le jeune âge de tacher de les maîtriser pour pouvoir en faire son deuil, à l'orée des derniers âges.

Bien sûr la pensée de Cicéron se heurte à une limite dont il est d'ailleurs conscient : au fil du temps, vivre, c'est éprouver toujours plus l'imminence d'une mort tôt ou tard inévitable. Sénèque recommandait de la chérir, cette mort, Cicéron, lui suggère d'en rire et même de la défier.

Pierre-Henri Tavoillot observe qu'en 1900, l'espérance de vie était de 40 ans; un siècle plus tard elle atteint 80 ans... Nous avons donc gagné 40 ans, et, du coup, notre philosophe pose une question cruciale : que faire de ce temps de vie en plus ?

Cicéron faisait valoir que tant que l'intellect demeurait intact chez le vieillard, alors il pouvait défier la mort. Ce constat vient se fracasser frontalement sur l'évolution de notre médecine. Le docteur Beaulieu, célèbre pour ses travaux sur la pilule abortive mais aussi la DHEA, la fameuse hormone de jeunesse, met en garde : dès 85 ans, la moitié du quatrième âge devient sénile, que cela soit en raison d’Alzheimer ou pour une autre cause. Or, le nombre de centenaires va exploser dans un futur proche. La prolongation indéfinie de l'existence biologique a-t-elle un sens sans vie de l'esprit ?

Le professeur Beaulieu recommande la poursuite d'une activité à la retraite, qui ne doit plus être un retrait du monde, comme elle avait conçue à l'origine. Sans plus de précautions oratoires, il suggère de supprimer purement et simplement toute référence à un âge légal de la retraite, mais, met le doigt sur ce qui est à mes yeux le problème essentiel : il faut que les gens puissent continuer à mener une activité, mais une activité qui leur plaise...

En ce sens, nous aboutissons ainsi à une question que j'agite souvent ici, qui est celle des conditions de travail. Les Français, selon l'étude de l'Observatoire, se représentent la première retraite comme un âge d'or, non pas celui du repos, mais au contraire l'opportunité d'avoir un surcroît d'activité et d'accomplir ce qu'ils n'ont pu faire jusqu'ici. En somme, les Français ne refusent pas d'être actifs après la retraite, mais refusent de poursuivre leur travail tel que sont ses conditions dans notre société moderne.

Voilà qui laisse songeur et ouvre la porte à une réflexion globale sur le travail et la retraite.

Commentaires

  • Conseil d'une personne de ma famille, ayant atteint plus de 90 ans avec une bonne santé relative et une mémoire phénoménale : à l'âge de la retraite tout individu doit pratiquer une activité physique et une activité intellectuelle par jour.

  • Cette réflexion est très intéressante, en effet.

    Je suis confiant quant au fait que la santé mentale finira par suivre la santé physique, à un âge avancé. Quand l'espérance de vie physique était plus basse, l'espérance de vie mentale suivait le rythme.

    Une vie active, oui. L'amour de son travail, c'est une évidence ! Mais on a tellement élevé le loisir et la fuite du travail, comme valeur refuge, que nos mentalités ne sont plus tournées vers l'effort. On a fait la Retraite à 60 ans pour fuir le travail. On a fait les 35 heures pour fuir le travail. J'ai eu un espoir en 2007, puisque le "travailler plus pour gagner plus" allait parfaitement dans le bon sens, celui d'une réhabilitation de la valeur travail. Son succès me laisser rêver à un certain changement des mentalités. La Crise a malheureusement été le fossoyeur de ce travail de fond sur la société française.

    Bizarrement, plus il y a de chômage, plus certains rejettent l'idée de travail, au lieu de la chérir d'autant plus.

    Alors j'aimerais aussi que l'on approfondisse les réflexions sur le moyen de changer ces mentalités. Mais la sphère publique peut-elle réellement réhabiliter le travail ? Quelle est sa marge de manœuvre ? Certaines initiatives du privé ont montré qu'il était possible de créer des conditions de travail plus favorables. Là où peut agir la sphère publique, c'est en favorisant l'orientation, voire la réorientation, les passerelles entre formations. Il faudrait se fixer comme objectif que 95% d'une classe d'âge finisse avec un diplôme porteur d'un débouché qui lui convient et correspond à ses attentes. Comme à chaque fois, on en revient à l'importance de l'éducation, ou plutôt, dirais-je, de l'instruction.

    Quant aux Retraites, je persiste à penser que le système actuel, par répartition (oeuvre de Pétain, si je ne m'abuse), est plutôt mauvais. D'un point de vue strictement logique, bien que simpliste, c'est une impasse par nature :
    - si on a une faible natalité, on n'a plus assez d'actifs pour payer les retraités
    - si à l'inverse on a une forte natalité, quand tous ces gens-là arrivent à l'âge de la retraite, il faut d'autant plus de nouveaux actifs pour les remplacer
    Je vois ça comme une sorte de cercle vicieux.
    Alors certes, le système par répartition est un symbole fort. Ca sonne comme solidarité et fraternité. Mais nous devrions réfléchir à la véritable viabilité de ce système. Après, je n'ai pas la compétence ou la prétention d'être sûr de moi dans ce domaine. ;-)

  • Bien d'accord sur la partie financière (refus des fonds de pension, supériorité du système par répartition).

    L'approche de M. Tavoillot est intéressante, notamment le développement philosophique. Mais il sort quand même pas mal d'énormités...

    L'emploi des chiffres est complètement idiot, pourquoi personne ne comprend ce qu'est l'espérance de vie ?!

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Esp%C3%A9rance_de_vie_humaine

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Esp%C3%A9rance_de_vie_en_bonne_sant%C3%A9

    Le "répit" au cours de la vie active, ça existe, ça s'appelle les week-ends et les congés, on peut difficilement faire plus sans cascade de conséquences fâcheuses (la seule avancée que je vois encore, c'est sur le congé de parentalité).

    Quant à M. Beaulieu, il est à côté de la plaque sur presque tout, même s'il souligne à juste titre les problèmes de sénilité et les inconvénients d'un arrêt brutal d'activité (qui n'a rien d'automatique, puisqu'en quittant leur travail de nombreuses personnes enchaînent sur une activité associative voire des loisirs ; le problème résiderait plutôt dans l'isolement social, quelques années plus tard).

    Il y a certes des problèmes sur la valeur travail dans la société, mais les gens seraient peut-être plus motivés si on les traitait mieux (management, etc) et si on les rémunérait mieux (à quoi bon se casser la nénette pour un salaire bas et fixe).

  • Bonjour Florent
    Qu'est-ce que qui vous choque de la part de PH Tavoillot ?
    Pour Beaulieu, je ne vous suis pas : sans un énorme effort de la médecine, aucune réforme ne tiendra.

  • Eh bien, je l'ai dit, la citation sur les espérances de vie est absurde (cf. articles en lien). Idem pour les "répits" pendant la vie active.

    Le découpage 30-30-30 est abusif (c'est plutôt 23-42-16 en théorie, même si en pratique c'est assez différent), de même que la formule sur les longueurs respectives du labeur et du repos (c'est la retraite qui s'allonge mais on ne peut pas dire que le travail est court ! en omettant les problèmes d'emploi évidemment).

    Comme ils le disent tous deux, la retraite n'a rien d'un farniente, les gens ont (au moins dans un premier temps) des tas d'activités (notamment associatives).

    Pour Baulieu j'aurais dû réécouter, en fait il dit pas mal des choses intéressantes, mais après la première fois je m'étais basé sur le petit texte à côté de la vidéo qui est fallacieux au possible (c'est l'EVBS qui compte, la longévité est soumises à des règles physiques et biologiques, la retraite ne signifie pas une cessation brutale d'activité, personne n'est contraint de dégager au jour J...).

    La médecine aura beau faire, elle ne figera pas des quinquagénaires dans leur état pendant 50 ans donc même si les problèmes neurologiques (sénilité) sont résolus (cellules souches?), ce n'est pas pour autant que l'EVBS et la force de travail seront prolongées... D'ailleurs il serait intéressant de savoir si l'allongement de la vie au-delà de 80 ans n'est pas en grande partie due à la médicalisation... Alors, entre le suicide assisté (indépendant du pronostic vital, à la différence de l'euthanasie) et le dopage médical (remplacement d'organes, gavage aux pilules miracles) il y a sans doute une voie plus sympathique, mais elle reste à découvrir...

Les commentaires sont fermés.