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Paquet fiscal et successions, ce que Tocqueville et Bayrou disent à Sarkozy

Apèrs Schumpeter et Montesquieu, j'ai décidé d'attaquer un autre grand moment de la littérature démocrate, avec De la démocratie en Amérique de Alexis de Tocqueville. En fait, j'ai d'ores et déjà entamé la lecture de l'ouvrage, et c'est le chapitre III du tome I qui a attiré mon attention. Tocqeville y traite du droit successoral, et de son lien qu'il juge intime avec la démocratie. Nicolas Sarkozy a considérablement allégé les droits de succession pour un coût estimé à 2.2 milliards d'euros.

Or, si j'approuve certains aspects de cette loi (allègement de la fiscalité sur les donations, abattement important pour un conjoint suvrvivant ou une personne handicapée)  j'estime qu'il faut toutefois prendre garde quand on on modifie le droit successoral. Alexis de Tocqueville voit un lien très intime entre l'apparition de la démocratie et la modification du droit successoral en Amérique.

Mais ce fut la loi sur les successions qui fit faire à l'égalité son dernier pas.

Je m'étonne que les publicistes anciens et modernes n'aient pas attribué aux lois sur les successions  une plus grande influence dans la marche des affaires humaines. Ces lois appartiennent, il est vrai, à l'ordre civil; mais elles devraient être placées en tête de toutes les institutions politiques, car elles influent incroyablement sur l'état social des peuples, dont les lois politiques ne sont que l'expression. Elles ont de plus une manière sûre et uniforme d'opérer sur la société; elles saisissent en quelque sorte les générations avant leur naissance. Par elles, l'homme est armé d'un pouvoir presque divin sur l'avenir de ses semblables. Le législateur règle une fois la succession des citoyens, et il se repose pendant des siècles: le mouvement donné à son oeuvre, il peut en retirer la main; la machine agit par ses propres forces, et se dirige comme d'elle-même vers un but indiqué d'avance. Constituée d'une certaine manière, elle réunit, elle concentre, elle groupe autour de quelques têtes la propriété, et bientôt après le pouvoir; elle fait jaillir en quelque sorte l'aristocratie du sol. Conduite par d'autres principes, et lancée dans une autre voie, son action est plus rapide encore; elle divise, elle partage, elle dissémine les biens et la puissance; il arrive quelquefois alors qu'on est effrayé de la rapidité de sa, marche; désespérant d'en arrêter le mouve­ment, on cherche du moins à créer devant elle des difficultés et des obstacles; on veut contre­balancer son action par des efforts contraires; soins inutiles! Elle broie, ou fait voler en éclats tout ce qui se rencontre sur son passage, elle s'élève et retombe inces­sam­­ment sur le sol, jusqu'à ce qu'il ne présente plus à la vue qu'une poussière mou­van­te et impalpable, sur laquelle s'asseoit la démocratie.

Charles Amédée de Courson, en son nom et en celui de François Bayrou, pendant la campagne présidentielle, s'était opposé à la suppression des droits de succession. Il avait notamment estimé que la dette était prioritaire, et que si l'on s'y prenait à temps, un certain nombre de dispositions (assurance-vie, par exemple) pouvaient être prises au préalable.

François Bayrou avait lui-même exposé ses vues lors d'un exposé sur la sociale-économie le 23 février 2007 :

Je veux ajouter un mot sur les droits de succession. Je ne suis pas d'accord avec un certain nombre de choses qui ont été dites sur ce sujet. Je pense qu'il faut exonérer de droits de succession les petites successions, mais qu'il faut laisser les droits de succession sur les grosses successions, parce qu'autrement vous accumulez le capital au travers des générations et vous faites des familles de nantis et, à côté, des familles de gens qui n'ont pas cet avantage. Vous créez des distorsions de longue durée dans la société à laquelle vous appartenez et c'est un problème d'équité qui se pose au travers des générations. Le fossé devient infranchissable entre les uns et les autres. Je propose, donc, que l'on exonère complètement les successions en ligne directe jusqu'à deux cent mille euros et que l'on relève l'abattement par part d'enfant en même temps que l'on baptise un vrai encouragement ou un encouragement supplémentaire, étant donné l'allongement de la durée de la vie, à transmettre le patrimoine du vivant des personnes concernées et qu'elles détiennent. 

Il me semble tout de même patent qu'il y a une parenté certaine entre ce qu'il dit et ce que dit Tocqueville, non ? En tout cas, j'abonde dans le sens de Tocqueville pour estimer que cette question est au coeur de la démocratie, et qu'il convient donc que le MoDem y prête une attention toute particulière.

Commentaires

  • Et bien, encore un sujet où sur le fond je suis d'accord avec Bayrou.
    Dommage qu'il soit un si mauvais stratège !

  • Ces deux raisonnements présentent en effet des points de parenté.
    Je vous livre aussi un écho de ma lecture du "De l'ancien régime et des révolutions" en fin d'année dernière...
    Les écrits de Tocqueville offrent une autre étonnante correspondance avec notre temps présent. J'ai été en effet "surpris" de trouver des résonnances entre ce que je lisais et le discours présidentiel (d'alors) relatif à la place qu'il conviendrait d'accorder à la "transcendance divine" dans notre société.
    On a beau dire ce que l'on veut, les classiques restent toujours d'actualité.

  • Oui, j'apprécie beaucoup de lire ou relire les classiques, tant ils comportent de pensées riches et d'analyses fines.
    Cela m'intéresserait que vous m'en disiez plus sur ces résonnances.

  • @ fond du bocal

    oui, c'est son problème. C'est un bon candidat, il est honnête, mais clairement, ce n'est pas un politicien.
    C'est pour cela qu'il faut l'aider ;-)

  • @ l'Hérétique
    Malheureusement, je crois que c'est un peu tard. Il est trop honnète pour faire de la politique et trop obstiné pour y renoncer...

  • @ fond du bocal

    C'est bien trop tôt pour juger de la stratégie de F. Bayrou. On ne crée pas un mouvement politique fort et indépendant dans un paysage politique comme celui de la France en 1 an. Ni nulle part ailleurs, soit dit en passant.

    Ceci dit, son "problème", et celui du Modem, c'est qu'il défend des valeurs et des idées qu'il est obligé d'appliquer à lui-même s'il veut les faire progresser et éventuellement triompher. Il n'a droit ni au mensonge, ni à la langue de bois ni à l'hypocrisie. En politique, si c'est un atout considérable auprès des électeurs, c'est un handicap majeur au cœur du système politico-médiatique français.

  • L'Hérétique,
    C'est au livre III de l'opus que j'ai cité.
    Alexis de Tocqueville y développe un argumentaire sur le rôle de la religion comme rempart contre les désordres sociaux.
    J'ai notamment souligné ce passage :
    "J'arrête le premier Américain que je rencontre, soit dans son pays soit ailleurs, et je lui demande s'il croit la religion utile à la stabilité des lois et au bon ordre de la société ; il me répond sans hésiter qu'une société civilisée, mais surtout une société libre, ne peut subsister sans religion. Le respect de la religion y est, à ses yeux la plus grande garantie de la stabilité de l'État et de la sûreté des particuliers. Les moins versés dans la science du gouvernement savent au moins cela..."

    Une suggestion en annexe ?
    Ça me ferait presque songer à proposer à BGR de caser un petit coin de bibliothèque orange virtuelle dans son projet circulaire. Juste histoire d'émailler les argumentaires des uns et des autres, s'ils le souhaitent, avec des citations de qualité.
    Amicalement,
    Thierry P.
    @+

  • Je trouve cette double lecture historique vraiment interessante. Je dois être distraite, je n'ai pas trouvé l'article sur L'esprit des lois dans les archives, et je suis assez curieuse de le lire...

  • @ marion
    Sur l'esprit des lois ? C'est à dire ?
    @ Thierry
    Oui, je viens juste de lire le passage. Tocqueville était visionnaire à plus d'un égard.

  • @ l'Hérétique,
    Je resterai toujours "ébloui" en constatant que certains textes ont une a-temporalité qui leur confére une portée universelle. Mais d'un autre côté, il ne faut pas sous-estimer le travers qui fait que nous avons des clés de lecture "ultra" contemporaines !!! Ainsi, pas plus tard que le week-end dernier, j'ai relu certains passages des "Caractères" de Monsieur de La Bruyère. Et je suis resté "figé" d'effroi en tombant sur la description du monarque "Bling-Bling" insensible aux malheurs de son peuple !
    Si il y a des amateurs, je peux en assurer la retranscription ce week-end et vous la communiquer.
    Marion appréciera !
    @micalement,
    Thierry P.

  • J'ai cru comprendre que vous aviez fait une analyse sur le même principe, mais avec Montesquieu. J'ai relu, c'était une erreur de ma part.

    Si on procédait de même avec Beccaria et l'évolution de notre droit pénal actuel il y aurait beaucoup à écrire...

  • A Thierry

    Ah oui, ça ça m'intéresse. En revanche, je ne vois pas de quel personnage il s'agit, et pourtant j'ai lu plusieurs fois les Caractères (ceux de Théophraste aussi, au demeurant).

    @ marion
    J'ai fait une douzaine de commentaires de l'Esprit des Lois que j'ai lu intégralement sur mon blog. Est-ce cela dont vous parlez ?

    De manière générale, le propre des classiques c'est que l'on peut les revisiter en permanence et se trouver ébloui à chaque fois ! :-)

    Et attendez : le jour où je vais m'occuper d'analyser les débats politiques à l'aune de l'art d'avoir toujours raison de Schumpeter, ça ne va pas être triste...

  • @le fond du bocal"

    Malheureusement, je crois que c'est un peu tard. Il est trop honnête pour faire de la politique et trop obstiné pour y renoncer..."

    Ce constat est juste, mais je n'en tire pas les mêmes conclusions que vous !

  • @le fond du bocal"

    Malheureusement, je crois que c'est un peu tard. Il est trop honnête pour faire de la politique et trop obstiné pour y renoncer..."

    Ce constat est juste, mais je n'en tire pas les mêmes conclusions que vous !

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