Puisque je lis actuellement l'Esprit des Lois, et que nous avons eu l'occasion, sur ce blog, de débattre de la justice et de la récidive, c'est avec intérêt que j'ai trouvé l'intervention du sénateur UDF Yves Detraigne, au sénat, le 05 juillet dernier, à propos de la récidive. J'y retrouve un certain nombre de principes auxquels j'adhère et qu'il m'a bien semblé lire dans l'Esprit des Lois.
Voici un extrait tout à fait significatif de son intervention (disponible en version intégrale sur le site de l'UDF) :
En effet, si la fonction de la peine est notamment d'être efficace et dissuasive, je ne suis pas certain que l'aggravation et la systématisation des peines d'emprisonnement soient la meilleure manière de lutter efficacement contre la récidive.
À en croire les articles et les études qui fleurissent dans la presse ces derniers jours, il n'est pas démontré que la menace d'une sanction plus lourde soit un frein à la récidive : aucune corrélation n'a jamais pu être établie de manière certaine en ce sens.
Ce en quoi les membres de l'Union centriste croient plus volontiers, c'est en un mécanisme qui fonctionnerait à différents niveaux, notamment plus en amont. En effet, pour être efficace et éviter les récidives, notre système judiciaire dans sa globalité doit être plus volontaire quand il a affaire à un primo-délinquant, que ce soit pour la condamnation, pour l'application de la peine, pour le suivi en prison ou pour la sortie.
La trop grande bienveillance - je n'ose dire le laxisme - dont il est parfois fait preuve à l'égard des primo-délinquants mineurs ou jeunes majeurs peut donner le sentiment aux auteurs d'infractions qu'ils ne risquent pas grand-chose et, finalement, pour certains d'entre eux, être vécu comme un facteur d'encouragement à poursuivre dans la voie de la délinquance.
Il ne faut pas être naïf : le mineur ou le jeune majeur qui comparaît pour la première fois devant une formation de jugement n'en est pas à sa première infraction, mais à sa quatrième, cinquième, voire sixième. Et s'il avait senti, dès la première fois, passer le vent du boulet, on aurait sans doute dans bien des cas évité cette dérive vers une délinquance plus grave.
Malheureusement, la réalité est telle que, lorsqu'il reçoit sa première sanction pénale, l'auteur de l'infraction est souvent d'ores et déjà entré dans la spirale de la délinquance et aura donc d'autant plus de mal à en sortir.
Il faut donc offrir une meilleure réponse à ces mineurs afin que la sanction n'arrive pas trop tardivement et qu'elle ait encore un sens. Je m'interroge sur l'exclusion systématique de l'excuse de minorité dans certains cas : pourquoi pas, mais n'est-ce pas déjà trop tard ?
Ne faudrait-il pas améliorer en amont notre système préventif, en recentrant par exemple les missions de la protection judiciaire de la jeunesse, la PJJ, sur les auteurs d'infractions pénales et en laissant les services sociaux des collectivités territoriales - je pense évidemment aux conseils généraux - s'occuper des jeunes qui connaissent des problèmes sociaux ? Il faut que nous nous donnions les moyens de nous concentrer sur les auteurs d'infractions pénales dès leur première infraction.
À ce stade, on peut légitimement se poser la question du rôle de cette sanction qui intervient tardivement et de l'efficacité du parcours judiciaire du délinquant.
C'est pourquoi, s'il peut être intéressant de fixer des peines minimales, encore faut-il laisser la justice adapter la peine à l'importance des faits et à la personnalité de l'auteur qui les a commis, comme l'exige, d'ailleurs, le principe constitutionnel.
Certes, le projet de loi garantit que l'individualisation de la peine n'est pas remise cause, mais à partir du moment où l'individualisation devient, en quelque sorte, l'exception, il est légitime de s'interroger. En effet, comme je l'ai indiqué précédemment, la certitude de la peine ne garantit pas que l'infraction ne sera pas commise. Derrière un même fait se trouvent des hommes et des femmes différents, avec un passé propre, une histoire personnelle, un profil psychologique différent.
Force est donc de constater que l'individualisation de la peine est essentielle pour tenter de sortir la personne condamnée de la spirale de la délinquance. On ne peut pas adhérer au principe de systématisation de la sanction.
La peine doit servir à quelque chose. La volonté de la société est non seulement que le délinquant paie les conséquences de son acte, mais aussi qu'il ne recommence pas.
J'aborde donc maintenant la question de l'effectivité de la peine et de son caractère dissuasif. Ne serait-il pas plus utile d'appliquer réellement les sanctions dès la première infraction, d'avoir une politique de l'application des peines plus sévère, mieux adaptée, disposant de plus de moyens, et d'assurer, en tant que de besoin, un véritable suivi socio-judiciaire à la sortie de prison, alors qu'actuellement la personne qui sort d'un établissement pénitentiaire n'est bien souvent pas mieux préparée, voire encore moins bien, à affronter la réalité du monde ?
Il est aujourd'hui indispensable d'améliorer les conditions d'exécution de la peine, qui sont aussi importantes - voire plus - que le niveau de la peine lui-même.
Je crois que cette dernière remarque de l'extrait résume bien à elle seule le véritable fond du problème. C'est la certitude de la sanction qui compte, non son niveau, et Montesquieu ne dit pas autre chose. Je reprends le début du chapitre XII du Livre VI sur la puissance des peines, que j'avais déjà commenté sur ce blog :
« Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes, et non pas de la modération des peines.
Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau; et que la plus grande partie de la peine soit l'infamie de la souffrir. »
Voilà : simple, et pourtant, c'est le problème n°1 de la justice en France... Alors les roulements de tambours et les déclarations sur la récidive, c'est assez pathétique au final, tant cela ne touche pas le coeur du problème, qui n'est pas d'être condamné, mais bien d'être condamné en temps et d'exécuter sa peine...
Commentaires
C'est limpide et je suis entièrement d'accord.
Le Canard Enchaîné (dernier journal à exercer la liberté de la presse ?) s'est fait dernièrement l'écho systématique de cette réflexion : l'agravation des peines ne sert à rien (surtout lorsque la précédente loi n'a pas encore eu le temps d'être appliquée...), c'est la certitude de la punition qui est essentielle.
Je n'ai plus sous la main le taux de résolution des enquêtes, mais si vous le retrouvez, il souligne l'ampleur du problème !
Quant à la condition carcérale en France, c'est tellement scandaleux qu'avec mon collègue du Modem nous la traitons autant que possible dans notre "blog en images" (support qui se prête pourtant peu à de tels sujets).
Ici par ex : http://grozbulles.hautetfort.com/tag/prison
@ Roméo
Ce qui me scie, c'est que le problème est connu et reconnu, et, rien à faire, aucune autorité politique ne fait rien.
C'est désespérant.
Pour le Canard, je suis bien d'accord. J'y ajouterai tout de même Marianne, et, de temps à autre, Libération, Le Monde et le Figaro ont quelques élans...
Le Canard, c'est sacré, pour moi, le mercredi. C'est une lecture que je ne manque jamais :-)