Quand je consulte les films à l'affiche au cinéma, sur Allocine ou ailleurs, c'est presque toujours l'ennui ou le regret qui l'emporte. Oh, évidemment, comme beaucoup de Français moyens, je trouve goût à certaines super-productions, mais je me dis souvent que notre patrimoine culturel est sous-exploité, compte-tenu de l'étendue de ses possibilités.
Tenez, un exemple : considérons toute l'histoire des Labdacides, la famille et la lignée d'Oedipe, il y a là un matériau extraordinaire pour faire frémir le spectateur.
Des rêves inquiétants, un oracle implacable, et voilà une reine et un roi contraint à exposer leur seul fils. J'imagine très bien le plan rapproché, l'ours, le lynx ou la louve à la recherche de pitance, dressant l'oreille aux vagissements du bébé abandonné. Mais, l'enfant n'est pas seul, un troupeau de moutons est occupé à paître non loin de là, et les chiens de berger ont d'une part repéré le bruit suspect et d'autre part, et surtout, flairé l'odeur des prédateurs ; prédateurs qui menacent aussi le troupeau potentiellement. Alors ils alertent leur maître et, ce dernier découvre, à temps, l'enfant.
A Corinthe, pendant ce temps-là, le roi Polybe désespère. A l'orée de la cinquantaine, il n'a toujours pas de descendance. Son épouse a rêvé, la nuit passée, s'imaginant un cadeau du ciel. Mais voilà que ses bergers lui amènent une curieuse découverte : un bébé mal en point, les tendons enflés, sans doute par une infection. Ils l'eussent sans doute gardé avec eux si le petit être ne se trouvait pas emmaillotté dans des langes d'une telle qualité qu'ils révèlent au minimum une origine aristocratique. Polybe, comblé par cette opportunité inattendue, décide d'adopter l'enfant et de le reconnaître comme sien.
Bon dans le temps. Oedipe a 20 ans. Il se dispute avec de jeunes nobles, jaloux de ses qualités, puisqu'Oedipe a remporté victoire sur victoire lors des derniers jeux. L'un d'entre eux le traite de bâtard et...se prend un gros gnon dans la g.... Mais l'insulte trouble Oedipe qui harcèle ses parents. En vain. Déterminé à en savoir plus, il se rend à Delphes. L'oracle est terrible. Là, on a un super plan sur la Pythie en proie à la possession divine, et on voit le visage du prêtre d'Apollon qui interprète ses délires verdir au fur et à mesure : Oedipe doit tuer son père et épouser sa mère.
Gros plan sur Thèbes : ville riante et verdoyante. Pas pour longtemps...gros plan sur une ombre inquiétante. Atmosphère stressante, musique de circonstance. Pendant ce temps, des jeunes gens rient et dansent, batifolant dans les champs. La caméra se porte ailleurs. Des amis des jeunes gens les cherchent quelques heures plus tard. Chooc : un corps rongé jusqu'à l'os. Et toc, voilà le Sphinx. Après, on peut gloser dans l'horreur, et d'ailleurs, il faut le faire pour bien faire comprendre où Thèbes en est réduite.
Retour à Delphes.Fuite éperdue, plan sur Oedipe dont la barbe pousse ; étape dans une auberge après une course harassante. Bagarre générale qui éclate avec des inconnus. Un gros caillasse touche l'un d'eux, un noble pour le moins, accompagné d'une troupe conséquente. Pour éviter de se faire hacher menu par la troupe en armes, Oedipe doit fuir, et s'échappe de justesse.
Super début, non, vous voyez un peu les images ? Après, il y a plein de scènes dans la trilogie de Sophocle, et les pièces d'Euripide, qui peuvent fournir des images intenses.
Allez, bond dans le temps : des corps morts au pied de Thèbes. Une bataille a eu lieu. Devant l'une des portes, fermées, un corps gît, en décomposition, couvert de sang. Des gardes qui veillent du haut de la tour se bouchent le nez, pendant qu'un essaim de mouches couvre le corps et qu'un corbeau vient picorer un oeil qu'il peine à extirper de son orbite.
La nuit. Un brouillard à couper au couteau, puis, bientôt des tourbillons de poussière et de vent. Des gardes de plus en plus incommodés, reculant, après s'être consultés d'un regard, et pas franchement rassurés. On entend des hurlements difficilement identifiables.
Dans l'ombre nocture, une forme. Une petite fille, ou presque : une pré-adolescente. Elle se faufile dans la brèche d'une muraille. Halètements, peur...elle se dirige vers la charogne, délaissée pour la nuit, rampant silencieusement sur le sol. Image horrible à souhait : placer la pièce d'or dans la bouche en décomposition du mort. Du glauque en perspective. L'odeur de rat crevé en prime. Un garde qui revient pisser du haut d'une muraille, soudain, son attention est attiré par des glapissements : charognards nocturnes venus disputer à Antigone le cadavre de son frère. Trouillards, les gardes n'osent aller voir, mais ils repèrent la forme. Convaincus d'abord qu'il s'agit d'un fantôme, ils sont près à se faire dessus, seulement voilà, le fantôme s'engouffre dans une brèche. Des quatre gardes, l'un est un vieux briscard qui se moque bien des peurs des autres. Il a mené des campagnes avec feu le roi Laïos, puis a servi Oedipe, et, enfin, après son exil, s'est rangé du côté d'Étéocle contre Polynice. Il a fait partie d'une expédition qui devait éradiquer le Sphinx et a été le seul à revenir vivant, du temps de Laïos, alors il n'a plus peur de rien.
C'est donc lui qui descend et...intercepte Antigone. Mais comme il connaît la famille royale, et qu'il est malin, il comprend qu'il est face à une affaire qui n'est plus de son ressort et décide du coup de conduire la jeune fille au roi Créon...
Bon, je ne vais pas vous faire tout le film, mais...j'aurais pu aussi parler de la peste au temps d'Oedipe. Bref, il y a matériau, non ?
Au fait, en parlant d'Oedipe, il y a un film d'animation tout récent, fait par des Français qui m'a l'air pas mal du tout...Ils se sont tapés un bon délire et j'ai bien rigolé. Longue vie à la Section Animation 3D et effets spéciaux numériques de L’Ecole Supérieure des Métiers Artistiques de Montpellier. La relève est assurée !...
Oedipe
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