Avec ce billet, j'ai à peu près l'assurance de voir rappliquer LOmiG et Criticus : ces derniers temps, nous nous sommes heurtés à plusieurs reprises sur la définition du libéralisme et surtout, sur la pertinence du néologisme néo-libéralisme. Je viens d'achever, tout récemment, après une très longue lecture, les apports de l'école autrichienne d'économie de Thierry Aimar. Objectivement, j'en ai sué, parce que j'ai eu du mal à bien comprendre le modèle praxéologique, dans un premier temps, le principe catallactique ensuite, et puis pour finir, j'ai abandonné avec la théorie de la monnaie de Hayek. Le dernier chapitre est passionnant, parce que les Autrichiens s'essaient à tenter de définir une économie du bien-être, et ils butent sur le modèle praxéologique qui récuse toute forme de subjectivisme. En récusant la validité du modèle expérimental appliqué à l'humain, les Autrichiens ont de facto effacé la possibilité d'une morale collective, et, par là, d'une définition du bien commun. Conséquemment, il ne leur est plus possible de circonscrire une économie du bien-être sans devoir se départir de l'impartialité propre au modèle praxéologique.
Ce qu'on appelle communément néo-libéralisme prend en réalité sa source dans les ultimes avatars hayekiens de l'école autrichienne. Pour LOmiG ou Criticus, le libéralisme est avant toutes choses contractuel, et c'est le contrat et la liberté de contracter qui le définit en premier lieu. Donc, le plus important, pour une société, à leurs yeux, c'est de garantir la liberté du contrat et...son exécution ! Cette liberté de contracter est celle de l'individu, je ne parle pas, ici, du contrat social, celui de Jean-Jacques Rousseau. Dans ces conditions, l'éthique est un choix personnel dont la seule limite est de ne pas gêner le voisin dans le cadre de la société. Pas de morale collective, mais un accord général pour admettre certaines règles de vie commune, voilà la substance de ce libéralisme là pour les aspects civils et éthiques. Est-ce un hasard, d'ailleurs, si Criticus invoquait, en décembre dernier, la survie pour justifier son libéralisme ? C'est exactement l'argument qu'Hayek tente désespérément d'invoquer pour tenter de sauvegarder une morale dans le processus catallactique : le marché serait l'expression de l'instinct de survie des individus puisqu'ils y viennent pour satisfaire leurs besoins et y réaliser des transactions avantageuses pour eux (voir dernier chapitre du livre de Thierry Aimar). Qu'il en soit conscient ou non, c'est bien dans cette tradition-là que Criticus s'inscrit.
Pour ma part, j'ai eu souvent l'occasion de le faire valoir, mon principal totem libéral, c'est Montesquieu. Or, chez Montesquieu, la liberté n'est pas première, comme chez les Autrichiens. La liberté est la conséquence d'un choix moral qui est de pratiquer la vertu. Montesquieu constate que seule la liberté permet véritablement l'expression de cette vertu. Et, le type de régime républicain, et tout particulièrement la démocratie, est l'expression politique qui garantit le plus sûrement cette liberté. Et donc la vertu...
Nous sommes donc bien face à deux conceptions du libéralisme, qui partagent évidemment certaines vues, qui s'opposent parfois frontalement, et qui, au final, divergent sensiblement à plus d'un égard.
Avec un billet comme celui-là, il ne me reste plus qu'à attendre des réactions de la sphère libérale...
Commentaires
Pour ma part, j'ai l'impression que ce qui distingue surtout le libéralisme de ses déviances, c'est un facteur "irrationnel" : le sentiment de responsabilité.
Je dis bien "sentiment", car l'Etat n'est jamais en mesure d'exiger une responsabilité intégrale.
Il y aurait donc un libéralisme "brut", qui pose la liberté comme principe en se gardant de définir une éthique ou un projet de société, et une pratique (une interprétation) du libéralisme en dialogue constant et étroit avec un sentiment de responsabilité excédant le simple rapport à la loi (c'est peut-être un peu ce que Montesquieu entendait par "vertu").
La liberté n'est pas si première que cela dans l'école autrichienne et ses disciples : elle est une manifestation du droit (naturel) de propriété.
Cf : Pascal Salin, Libéralisme
[Je n'adhère pas à cette vision de la liberté, c'était juste pour la précision]
« Criticus invoquait, en décembre dernier, la survie pour justifier son libéralisme »
La « survie » n'est que secondaire dans mon texte. Voici ce que j'écrivais à l'époque :
« Bien que je sois à l'évidence plus libéral que l'immense majorité de mes compatriotes, notamment blogueurs, je ne me définis pas, du moins pas seulement, comme « libéral », sachant tout ce que le libéralisme implique de remise en cause de certaines de mes convictions. Il me semble notamment que la notion de frontière, manifestement incompatible avec le libéralisme, est essentielle à la sauvegarde d'un certain modèle de civilisation que j'ai tenté de définir récemment.
Surtout, c'est le fait que je sois venu à reculons vers le libéralisme qui explique ma relative défiance à l'égard de ma propre démarche. Contrairement à mes amis libéraux, je ne fais pas de la liberté individuelle la mesure de toute chose. Elle n'est pour moi qu'un moyen vers la prospérité économique, mère de la puissance et du progrès.
En d'autres termes, c'est parce que le libéralisme est la meilleure voie - sinon la seule - vers le rayonnement et la suprématie que je me suis peu à peu rallié à l'idée selon laquelle le bien de tous dépend de la poursuite de ses intérêts individuels par chacun, comme l'avait bien théorisé Adam Smith dans La Richesse des Nations.
Allons plus loin : le libéralisme « utilitariste » qui est le mien est aussi une bonne manière d'envisager la sortie de l'État-«Providence», qui inhibe les réactions naturelles de survie, aussi bien au niveau de l'individu que de la société dans son ensemble. Abolir la contrainte de cet État castrateur et liberticide ouvrirait la voie à une résurgence démographique, nécessaire dans une Europe vieillissante et socialisée.
Une libéralisation radicale des structures actuelles de l'État-«Providence» permettrait également de s'attaquer aux deux bastions traditionnels de la gauche, l'Éducation nationale et la Presse. En remplaçant le monopole éducatif de la première par l'instauration d'un « chèque éducation », et en supprimant toute forme d'aide publique à la seconde, il serait possible à la société civile, jusqu'à présent étouffée par une fiscalité confiscatoire, de s'autonomiser et de remettre la France - et d'autres pays confrontés au même problème d'un État obèse - sur les bons rails. L'influence néfaste des deux corporations susmentionnées sur les mentalités serait, ce faisant, abolie. Mais si le libéralisme est la condition première de cette révolution des mentalités, il n'y suffira pas. Il faudra également que les nouvelles forces qui émergeront dans ce nouveau contexte mettent au cœur de leur projet non la seule liberté, mais un idéal de civilisation.
C'est ce que le cuistre Sarkozy avait prétendu faire voici un an, reprenant à son compte le concept de « politique de civilisation » forgé par Edgar Morin. Au contraire de ce dernier, il faudra prouver que cet idéal n'est pas incompatible avec le libéralisme: c'est ce qui explique mon « compagnonnage » avec lui. »
Je te remercie néanmoins pour la citation.
;)
Par ailleurs, mon billet économique du jour portait un peu sur la même question ;-)
Salut je rejoins Claudio sur sa précision. La liberté chez les libéraux autrichiens est un ensemble cohérent, pensé avec la propriété et la responsabilité. C'est un tryptique.
Mais j'ai du mal à voir en quoi il y a une opposition entre libéralisme et néo-libéralisme. TU ne donnes pas dans ton billet une définition du néo-libéralisme. J'avais fait un billet pour expliquer en quoi ce terme n'a pas de sens bien défini. Je vous invite à le lire.
Ton propos n'est pas à propos du néo-libéralisme, mais à propos du degré de radicalisme avec lequel tu es libéral. On peut être plus ou moins libéral. Hayek est - contrairement à ce que disent beaucoup de ses détracteurs, qui ne l'ont pas lu - sur une ligne assez modéré et cohérente : 1) mettre en avant et défendre les institutions sociales qui ont émergés et qui ont montré leur utilité pour garantir à la fois une certaine stabilité à l'ordre social, et en même temps une capacité d'évolution en évitant les injustices. Le droit de propriété en est une, fondamentale.
2) faire une place à la culture et à la tradition, car ces institutions naissent dans un cadre culturel défini. Ce qui induit, de fait, une inflexion contextuelle à ces principes libéraux.
à bientôt
@ LOmiG
Non, ce n'est pas une question de radicalisme. Il y a bien une définition derrière, comme le souligne en effet Claudio. Le droit de propriété n'est pas subjectif et c'est bien pour cela qu'il l'emporte sur les autres considérations chez les Autrichiens.
D'accord avec ce que tu dis sur Hayek : ce sont en effet ses positions traditionnelles. Avoue que c'est assez éloigné de ce que disent des individus comme Montesquieu ou Tocqueville. En revanche, j'y vois pas mal de parenté avec un certain nombre de réflexions de Voltaire.
Salut,
pourquoi continuer à utiliser un nom vide de sens, ou bien synonyme de "libéralisme" ?
Personne ne se revendique du néolibéralisme, c'est un mot utilisé par les adversaires du libéralisme pour le désigner sans paraitre trop "anti-liberté". Ils ne trompent personne, au passage. En tout cas, pas moi.
@ LOmiG
Peut-être, mais il y a une différence de nature entre ce libéralisme-là et ceux dont les racines sont plus anciennes.