Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Abus de pouvoir, le sens de l'histoire

J'ai entamé la lecture du livre de François Bayrou, Abus de pouvoir. Une première remarque, tout d'abord : je le trouve bien mieux écrit que tous ses livres précédents, et de loin. Contrairement à Projet d'espoir qui avait été écrit dans l'urgence et en 2 mois (le style s'en était fortement ressenti) ce livre-là, François Bayrou le mûrit depuis des mois.

Une seconde remarque, ensuite : comme d'habitude, la presse se jette sur quelques passages qu'elle défigure et qu'elle se renvoie en échos sans prendre la peine d'effectuer une lecture complète de l'ouvrage. Par exemple, le terme fameux d'enfant barbare dont il affuble Sarkozy, il s'en explique, mais qui a pris la peine d'en lire les précisions ? Barbare, chez Bayrou, ne renvoie pas à une acception morale du terme, comme on pet l'entendre quand on parle du Gang de Barbares et de son taré de chef, Youssouf Fofana, mais à l'acception qu'en font les Gréco-Romains. Nicolas Sarkozy est barbare non parce qu'il serait inhumain ou cruel, mais en ce qu'il méprise et ignore les fondations culturelles et morales de la France. En tentant de lui imposer un modèle qui lui est fondamentalement étranger, il fait oeuvre de barbarie civilisationnelle. Voilà ce qu'entend par là François Bayrou. Et rien d'autre. Ce n'est pas une insulte ni une attaque personnelle, comme l'ont voulu une large part des commentateurs.

Mais ce qui m'a particulièrement intéressé, au point où j'en suis, du moins, c'est le savant mélange de religiosité, de science historique et de psychologie qui caractérise la pensée de Bayrou dès qu'il évoque la France. Il observe ainsi que la blessure ignorée d'une génération atteint méchamment les générations suivantes. Que le père ou la mère soient blessés d'un grand secret, et les enfants ou même les descendants, ne pourront se délivrer du mal qui les empoisonnent qu'en le dévoilant par leur propre analyse.

J'aime beaucoup cette idée, parce que je crois profondément qu'elle est la pierre angulaire qui permet de comprendre les peuples. Comme le dit Bayrou citant dans la foulée de sa pensée le prophète Ézéchiel, les parents mangeront des raisins verts et les dents des enfants en seront agacés.

Paradoxalement, la Bible dit par la suite exactement le contraire avec Jérémie citant Ézéchiel : les parents mangeront des raisins verts et les dents des enfants en seront agacés. Mais chacun paiera pour ses fautes. Tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents, à lui, seront agacées. Et c'est sans doute l'erreur de ceux qui imaginent que Sarkozy n'est et ne sera jamais qu'un épiphénomène. Tout comme l'esprit d'un individu, la conscience d'un peuple se souvient, et de même que chez l'individu, le souvenir inconscient prend des formes étranges, parfois terribles, les méandres de l'inconscient collectif d'un peuple peuvent être parfois inquiétants.

Je ne suis pas étonné que Bayrou ait été si sensible à la question de la dette pendant la campagne présidentielle. Son inquiétude principale, c'était de ne pas laisser aux générations futures un fardeau impossible à porter. On retrouve Ézéchiel. Et les apports de la psychanalyse. Que l'on ne s'y trompe pas : il y a là une véritable conception de l'histoire. Même si l'on s'abstient de dire ce que l'on fait, et c'est bien ce que Bayrou reproche à Sarkozy, les choses se perpétuent malgré tout via l'inconscient collectif.

Plus simplement, c'est la méthode historique de Thucydide qui transparaît aussi en filigrane, derrière le propos de Bayrou : « Si l'on veut voir clair dans les événements passés et dans ceux qui, à l'avenir, en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteront des similitudes ou des analogies, qu'alors, on les juge utiles, et cela suffira : ils constituent un trésor pour toujours (κτῆμα ἐς αἰει), plutôt qu'une production d'apparat pour un auditoire du moment » (I, XXII, 4).

On comprend mieux l'indignation de Bayrou quand il évoque le projet de Sarkozy de créer un musée de l'Histoire de France. Pour Bayrou, l'histoire de France, c'est la France ! pas une chose que l'on peut muséifier ! pas, comme le dit Thucydide, en somme, une production d'apparat pour un auditoire du moment...

Je pourrais développer longuement encore mon propos, mais, ce que je vise à conclure, et que la critique ne comprend pas, c'est que ce livre n'est pas un brûlot politique : il va bien au-delà.

 

Commentaires

  • c'est marrant quand même, sans même avoir lu le livre(pas facile à trouver en Allemagne, rupture de stock chez amazon...), en lisant l'expression "enfant barbare", j'ai effectivement pensé à barbare dans le sens "extérieur à notre civilisation". Est-ce à force de fréquenter les écrits de Bayrou que je vois venir la référence culturelle là où la plupart des commentateurs en restent au sens commun?
    Toujours est-il que ça montre l'une des failles de Bayrou: comme il utilise des termes qui ont une histoire, qui viennent d'un contexte que lui connait par cœur mais que la plupart des gens ignorent, il n'est pas immédiatement compréhensible. Et même si, personnellement, je trouve ses propos agréables à lire et entendre, cela pose un problème pour toucher largement les citoyens.

  • Je n'ai pas lu le livre. Ce que vous en tirez en ramenant au vrai sens des mots et des phrases est bien intéressant.

    @Benoitd

    Ne sous-estimez pas les gens. Ils comprennent comme on leur parle. Et le parler "mots clinquants imprécis" n'amène que des réactions basées sur le faux qui a long terme sont néfastes pour tout le monde.

    Simplement ce qui très dommageable c'est que F.Bayrou et la vraie opposition en général n'ont pas et de très loin le temps de parole qu'une démocratie correcte (qui en l'occurrence est plus qu'imparfaite) devrait leur donner.

  • Excellente analyse du livre de François Bayrou que nous sommes en train de lire en famille . Abus de pouvoir est plus qu'un livre à charge contre Sarkozy , c'est un ouvrage de référence de ce que nous voulons faire de notre pays .A chaque page où il dénonce, on voit ce qu'il propose : c'est à dire le contraire .Je ne sais pas comment finira cet homme .Ministre à 30 ans et centriste révolutionnaire maintenant, il terminera comme un grand homme .Un humaniste, un de ces hommes qu'on a envie de suivre .Une référence, un point de repère .

  • Cela m'a donne envie de le lire alors que les précédents m'avaient un peu déçus.

    Ce passage sur l'impact de parents aux enfants me rappelle les deux R de la psychanalyse generationnelle : toujours répéter ou toujours tenter de réparer un événement qui s' est passe avant.

  • @ Virgile
    Je prépare un autre billet sur la foi et la religion. Là aussi, je trouve la position de Bayrou très intéressante. Je suis d'accord avec vous que président ou pas, il restera en effet dans l'histoire politique.
    @ Disparitus
    Franchement, la lecture en vaut le coup. Ne vous arrêtez pas à ce qu'en dit la presse ; cela va bien plus loin.

  • @ Benoît
    Le problème, c'est surtout que la presse a cité juste des extraits alors que Bayrou explique très bien (sans rentrer dans des considérations sur la civilisation gréco-latine) ce qu'il entend par "barbare".
    Chui Kalm a raison d'observer qu'un vocabulaire imprécis amène le mensonge.

  • En cours de lecture également... Je dois avouer qu'il faut bien se concentrer parfois.
    Mais je suis convaincue effectivement de la hauteur de pensée. Bien mieux que les précédents. Beaucoup de nuances, donc un vrai bonheur. ;-)

  • @ Françoise
    Oui, beaucoup de profondeur dans les analyses, également.

  • "l'une des failles de Bayrou: comme il utilise des termes qui ont une histoire, qui viennent d'un contexte que lui connait par cœur mais que la plupart des gens ignorent, il n'est pas immédiatement compréhensible"

    Hmm... je ne suis pas sûr que ce soit une faille. Je crois qu'il est un fin communicant et un grand connaisseur de la langue, et qu'il sait utiliser les mots avec toute leur polysémie. Ainsi cette expression apparaît au lecteur peu cultivé et au journaliste pressé comme une attaque frontale à Sarkozy (d'où buzz et image d'opposant radical), tandis que le lecteur plus averti, plus sensible aux nuances, verra bien la différence. Par un même message qui tient en seulement deux mots, Bayrou envoie deux messages à deux cibles de communication différentes : l'image immédiate, pour frapper l'opinion ("premier opposant") ; et puis le sens précis, pour ceux qui comme nous se soucient des détails.

    Je sais pas si je suis clair...

  • @ KPM
    Oui, très clair, et je suis entièrement d'accord avec vous.

Les commentaires sont fermés.