Je viens de lire à quelques heures d'intervalle l'entretien d'Hervé Morin (Ministre de la Défense) dans l'Itinérant n°472. Il y annonce clairement l'objectif de passer de 13 000 hommes à 10 000 hommes en opérations extérieures et d'économiser ainsi jusqu'à 150 millions d'euros. Tiens, amusant, cela me rappelle exactement ce que Bayrou a dit en avril 2008. Je le cite :
«Dans les circonstances budgétaires que l’on nous annonce, et auxquelles les décisions de gestion du gouvernement prises dès le début de son mandat, nous contraignent plus que jamais, il ne sera pas possible de maintenir des hommes sur des théâtres d’opération aussi divers que le Kosovo (2000 femmes et hommes), la Côte d’Ivoire (2400), le Liban (1500), le Tchad (1100), bientôt le Darfour (2000), le détroit d’Ormuz (au moins 500), et l’Afghanistan (2900) ! Un homme sur le terrain en raison de la règle des trois tiers, service, préparation, repos, oblige à la mobilisation de trois hommes. Ce sont donc si je compte bien presque 40 000 personnels de nos armées qui sont ainsi requis, avec les questions de logistique, d’équipement, d’armement qui se posent et qui suscitent vous le savez, dans leurs rangs, bien des débats. La multiplication de ces interventions n’a jamais été à portée des armes de la France, et en tout cas ne le sera pas dans l’avenir. Il y a comme un divorce entre ces interventions tous azimuts et les moyens qui sont ceux de notre armée. Ce divorce posera des problèmes considérables.»
Il y eu un débat à l'Assemblée Nationale le 28 janvier dernier, à propos des Opex. Or, j'y ai lu avec attention l'intervention de Philippe Folliot au nom du Nouveau Centre. Il conclut en annonçant le soutien du Nouveau Centre à «la prolongation de l’intervention des forces armées en Côte d’Ivoire, au Liban, au Tchad et en République centrafricaine». Il a précisé qu'il était favorable aux réductions d'effectifs là-bas.
En Côte d'Ivoire, Hervé Morin, dans son entretien avec l'Itinérant déclare qu'il ne juge pas utile de «maintenir un tel niveau». Au Tchad, il annonce un toilettage des effectifs.
Ce que je retiens des débats, finalement, c'est que sur le fond, la France n'a plus les moyens de se maintenir en Afrique, mais qu'elle le fait tout de même pour sécuriser les zones du continent, du moins, là où elle est présente. Ce qui est fâcheux, c'est que sa présence ne se fait presque jamais avec l'aval des institutions internationales. Pour certains députés (essentiellement ceux de la majorité) la lenteur de l'ONU dans les situations d'urgence en est la cause.
Pour ma part, je pense qu'il faut en finir avec la Françafrique, que rien n'a remplacé actuellement, faute de mieux, mais qu'il ne faut pas prendre le risque de laisser un vide à la place. C'est d'ailleurs sans doute ce qu'ont craint non seulement les Français mais plusieurs autres États Africains jusqu'ici.
J'ai noté dans ce débat parlementaire deux observations qui me paraissent essentielles. La première d'Axel Poniatowski qui s'interroge sur l'implication des États Européens dans leur défense :
«La France, la Grèce, la Pologne et le Royaume-Uni consacrent chaque année environ 2 % de leur PIB à la défense, alors que les autres pays de l’Union européenne restent tous en dessous de la barre de 1 %. Il faudra engager tous nos partenaires européens dans une réflexion approfondie, sans tabou, pour examiner quelles ressources supplémentaires ils sont prêts à accorder à la défense des intérêts européens, qui sont les leurs.»
Et puis celle de Jacques Myard, bien que je ne partage pas ses conclusions :
«Pour paraphraser Churchill, l’Afrique est malheureusement devenu le « ventre mou » de l’Europe et de la France, qui subiraient directement les conséquences d’une déstabilisation de ce continent. En effet, comment maîtriser les flux migratoires si les pays d’émigration connaissent des troubles incessants ?»
Je ne suis pas du tout convaincu que la France prenne un grand plaisir à être présente en Afrique. Je pense que c'est une charge à tous points de vue pour elle. Il est grand temps que l'Europe s'empare de la question et remplace la France. Nous ne pouvons plus, surtout avec la crise, supporter indéfiniment de tels coûts seuls. Et puis cela ne peut plus être de la responsabilité exclusive de la France, a fortiori quand c'est à demi-décidé par la seule présidence de la République (il y avait certes un débat en assemblée, mais avec bien trop peu d'éléments et dans la hâte, et puis il ne s'agit que de débattre de la prolongation d'opérations militaires déjà en cours).
Il y a un pas qui n'est pas facile à franchir et que j'aurais aimé voir abordé lors de la présidence de l'Europe par la France, c'est la passation de pouvoirs entre la France et l'Europe. Et il faudra bien un jour parler également du siège français au Conseil de sécurité et de la dissuasion nucléaire. Il faut tenir le temps que l'Europe soit prête à les récupérer, mais je crois qu'à terme, nous n'avons plus la puissance nécessaire pour tout cela. Nous avons trop de problèmes, trop de difficultés à régler dans notre propre pays.
Il me semble qu'il faudrait se concentrer sur les points les plus chauds et les plus importants pour la sécurité du monde : frontière Pakistan-Afghanistan en priorité et Darfour où personne ne fait rien et où les morts s'accumulent par centaines de milliers. Je ne dis pas, bien sûr, que le reste n'est pas important, mais soyons réalistes : le matériel militaire est en mauvais état, nos dettes s'accroissent, notre industrie est en plein marasme. Nous n'avons plus les moyens d'être présents partout. Pas à ce coût-là, en tout cas.
J'ajoute une dernière chose à propos de l'OTAN : ce n'est pas la France qui doit la réintégrer, quand bien même les Russes considéreraient la France comme un contre-poids à l'Amérique, mais l'Europe comme bloc cohérent. L'OTAN ne devrait pas être une alliance des USA et de divers pays Européens, mais une alliance à deux têtes, l'une Américaine, l'autre Européenne. Une telle alliance n'est pas possible tant qu'une défense européenne n'est pas construite. Le chemin sera long...beaucoup de pays européens se satisfont très bien de la situation et regardent d'un sale oeil un éventuel accroissement de leurs dépenses militaires pour assurer leur sécurité. Et même quand ce n'est pas le cas, un certain nombre d'entre eux ne croient qu'au leadership américain, tout simplement parce qu'il s'est montré efficace pendant un demi-siècle en Europe...
La quasi-invisibilité européenne en Bosnie dans les années 90 n'a pas amélioré les choses...
Commentaires
Clairement, je partage votre point de vue en ce qui concerne la nécessité de plus d'Europe dans le domaine de la défense.
Je prône pour une Europe de la défense, seule capable aujourd'hui d'être réactive face aux mouvements mondiaux. Je pense qu'aucun pays ne peut plus peser diplomatiquement s'il persiste à se défendre seul. Les intérêts, comme vous le constatez sont communs. Ce qui est déplorable est que les moyens mis en œuvre pour les défendre soient disparates et, par là, forcément moins efficaces.
Cependant, j'aurais une réserve à émettre concernant votre raisonnement. Selon vous, l'Europe devrait continuellement et en tout agir comme un bloc unique et cohérent. Mais comment faire à 27 ? Ne pourrions nous pas envisager de coordonner d'abord ceux qui sont d'accord pour mener une politique commune puis assurer l'entrer de nouveaux volontaires.
Ainsi, pour ce qui est de l'OTAN, je ne crois pas qu'il faille que nous y entrions à 27 mais plutôt que nous coordonnions d'abord les pays européens qui s'y trouvent ou qui veulent et peuvent y entrer. Allons-y progressivement, c'est tout simplement l'esprit européen originel.
Bonjour Maxime
hé hé : vous reprenez le point de vue du JCL...Je viens de lire justement votre article à son sujet.
Il est clair qu'il faut rééquilibrer élargissement et approfondissement, mais il ne s'agit pas non plus de court-circuiter l'Europe via des opérations-commando en nombre limité. On courrait ainsi le risque de générer une perte de confiance et de désintégrer l'Europe.
JCL, j'ai déjà eu l'occasion d'en parler avec lui, il est partant pour y aller un peu en rentrant dans le tas...
Concernant l'élargissement, il faut comprendre que l'occasion est aussi historique. Jamais l'Europe n'avait ainsi été en situation de se rassembler. Voilà pourquoi les dirigeants européens se sont hâtés de saisir l'opportunité de peur qu'elle ne se reproduise plus aussi aisément. Aujourd'hui, tous les pays européens veulent adhérer à l'Europe. Cela ne sera pas toujours le cas, qu'en sait-on...
Je n'ai jamais caché partager le point de vue de Jean-Christophe Lagarde...
Je ne souhaite pas voir des "opérations commando" agir eu lieu et place de l'Europe. Seulement, je pense que si on n'agit pas tout de suite à plus d'Europe, on risque fort de voir s'établir définitivement une Europe des Gouvernements.
Pour cela, il faut être à la fois audacieux, ambitieux, mais agir progressivement. Certes, il est nécessaire de préserver une forte confiance européenne, mais comprenons aussi que tous n'ont ni l'envie ni les intérêts suffisants pour avancer au même rythme dans la construction d'une Europe plus politique...
@Maxime
"Audacieux et progressif" ?
Je ne comprend pas trop.
Les Pays de l'Europe doivent se montrer solidaires en rejoignant l'OTAN un par un ?
J'ai aussi un peu de mal à comprendre.
Il est vrai que cela est délicat et prend souci de la santé des pays de la Vieille Europe qui pourraient rejoindre l'OTAN Chacun selon l'état de sa forme du moment.
Pour ma part je me sens bien plus proche de l'opinion de l'Hérétique : si adhésion adhésion en bloc.
@ Chui Kalm
Ambitieux : vouloir aller vers un approfondissement réel.
Audacieux : se donner les moyens de notre ambition quels qu'ils soient (dans la mesure des procédés démocratiques).
Je ne crois pas qu'il faut que les états adhèrent un par un à l'OTAN mais qu'il y ait une organisation supranationale regroupant uniquement les pays souhaitant y participer. Par la suite, on pourrait envisager de faire participer à cette organisation supranational d'autres états européens. Si tous les états européens souhaitent intégrer l'OTAN, tant mieux... Mais encore faut-il que ce soit le cas.
@Maxime
De fait je m'y perds un peu (Europe, OTAN, ONU ?).
Pour ma part Je pense que maintenant c'est la Défense Européenne prioritairement qui doit faire l'objet des réflexions et réalisations sans peur de penser aux soucis pratiques (les coûts).
Le reste (l'OTAN où la France non intégrée a des relations rôdées) suivant.
(Il est impossible de ne pas choisir une priorité, et c'est un choix extrêmement important).
@l' hérétique,
Le choix d'une ré-intégration est antérieur au mandat de NS, pour contourner les problèmes économiques et autres, je pense y affairant.
Option prise d'un "peloton de tete", à charge aux autres pays Européens de suivre ou pas, à l'image du règlement de la crise économique.
L' option bycéphale envisagée (avec un certains nombres d'acteurs Européens), il y a quelques temps déjà, me semble furieusement compromise.
Alors, ne nous reste-il effectivement qu'à nous opposer à la ré-intégration?
@L'Hérétique
Je ne parle pas du tout de votre approche
"En bloc à l'OTAN pour l'Europe" qui ne pourrait se faire que sur des bases clairement égalitaires,
mais je pense que le choix individuel d'intégration à l'OTAN c'est carrément dire un gros NON à l'Europe.
C'est se mettre debout sur la table et dire
fièrement
"Qui c'est qui décide, c'est mes grands amis hommes d'affaire et financiers qui sont trop plongés, depuis qu'ils sont petits dans l'American Business pour envisager autre chose que cela mène le monde,
vieille France, vieille Europe : Foutues!!"
- Albanel,ministre de la culture et d'autres ministres ont eu des petites phrases marrantes pour nous inciter à parler anglais en France. -
Mais là c'est trop gros et surtout les convives ont moins envie de rigoler.
J'espère que les français sont un peu dessoulés du "plus belle la vie" dont on les a enivré depuis un an et 9 mois pour aller se faire coucher le plus vite possible le trublion "winner"!!
il est écrit :
"J'ajoute une dernière chose à propos de l'OTAN : ce n'est pas la France qui doit la réintégrer, quand bien même les Russes considéreraient la France comme un contre-poids à l'Amérique, mais l'Europe comme bloc cohérent".
Je précise que la France fait partie actuellement de l'OTAN, que s'en est le deuxième contingent, que la France c'est 14% du budget de L'OTAN.
Je précise que l'OTAN est un traité de défense mutuelle et que par conséquent si un de ses membres décide de faire rentrer en guerre ses alliés n'ont aucune obligation de le suivre, cf la guerre d'IRAK.
Je précise aussi que la France que ne suit ses alliés dans un conflit "offensif" que sous l'égide d'une résolution de l'ONU, cf le conflit en Afghanistan.
La France ne fait pas partie du commandement intégré de l'OTAN et la volonté de Sarkozy est de l'intégrer. Actuellement il existe une volonté de certains pays de l'UE de former une défense européenne. Les Français avec les Allemands sont les moteurs de cette démarche. Afin de mener des négociation en ce sens il a été demandé à la France de réintégrer le commandement de l'OTAN afin de "faciliter" les négociations.Faut-il le faire?
Exact Europium, il s'agit d'intégration dans le commandement mais l'aspect bycéphale envisagé semble compromis en l'état actuel.
Merci à Europium et Martine pour ces éclaircissements et précisions.
On peut penser qu'au moins la "Base" de La Défense doit être très Claire et très Saine pour être Parfaitement Compréhensible à tout Citoyen.
On peut penser aussi que en la matière, dire que
l'on a "intérêt" à s'aligner derrière les Etats-Unis pour construire l'Europe, est un raisonnement d'Avocat d'Affaires et n'est pas un raisonnement d'Homme d'Etat.
On est dans un domaine à conséquences très lourdes et les mélanges des genres de ce type,à Long Terme, n'ont JAMAIS donné de bons résultats bien au contraire.
Pour la Défense, Oui c'est bien en recensant d'abord les problèmes de "terrain" de manière Concrète et Franche que l'on avancera vers une Construction Européenne.