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Géopolitique de la Turquie en Europe

Mon récent billet, et si la Turquie gagnait l'euro 2008, a attiré des intervenants de qualité ; parmi eux, Didier Colpin dont je reproduis le commentaire. Je tiens toutefois à préciser que je n'épouse pas  les conclusions du point de vue exposé ici. L'exposé occulte d'ailleurs que la Turquie et avant elle l'Empire Ottoman ont toujours eu les yeux tournés vers l'Europe, au cours de leur histoire.

EUROPE ET TURQUIE

- Le « Non » au Traité constitutionnelle est encore dans toutes les mémoires. Mais est-ce pour autant l’ « Europe » qui a été ainsi rejetée ? Non, tout le monde en convient ! L’a été une certaine vision, compréhension, conception de l’Europe. Le fameux « sens des mots », trop souvent source d’incompréhension, de confusion …
Et au sein des causes de ce rejet figurent en bonne place la Turquie !

- Alors, ce pays, européen ou pas ?

- Remarquons que répondre par la positive, reviendrait à admettre que l’Iran et l’Irak ont une frontière commune avec le vieux continent... Tout de même estomaquant…

- Décortiquons, autant que faire ce peux en quelques lignes obligatoirement réductrices. Certains mettront en avant le fait que la Turquie est laïque, et que son alphabet est le latin ! Pourquoi donc ne pas l’accepter ?

- Notons d’abord que cette position indique que les frontières (ou leurs absences) ne sont pas que géographiques, elles peuvent également être culturelles.

-Commençons par les géographiques.
La formule de Gaule est connue : l’Europe s’étend de l’Oural à l’atlantique et s’arrête au Bosphore. Cohérent. Mais, en rapport avec notre question, il y a un « hic »… La Turquie se jette sur des deux rives du Bosphore, et les puissances victorieuses du premier conflit mondial qui ont redessinée, avec un trait de plume parfois malheureux, les frontières ont validé cet existant. Aussi, de quel côté faire pencher la balance ? Et si l’ont prenait tout simplement comme unité de mesure le km2 ? Où en trouvent-on le plus ? En Europe ou en Asie ?
Evident, non…

- Frontières culturelles.
Comme « nous », n’est-elle pas laïque, et si l’écriture est un des éléments constituant la culture d’un peuple, comment ne pas mettre en avant son alphabet, latin comme celui que « nous » utilisons ? Effectivement…
Mais tout cela n’est que greffon au devenir incertain… Un risque réel de rejet par la souche existe…
- Osons aborder à présent un sujet tabou, un sujet qui fâche, l’origine chrétienne de l’Europe, de ses valeurs, de sa culture ! Pourtant, est-ce plus choquant que de souligner le poids de l’Islam dans la culture des pays arabes ?
- A la façon d’une plaque photographique classique qui renvoi une image inversée, la laïcité turque est l’inverse de la notre (occultons le fait que la laïcité française n’est pas la laïcité anglaise etc.…) : L’histoire européenne du XX siècle ne manque pas d’exemples -pensons à l’Espagne de Franco- ou un pouvoir « fort » utilise la puissance de l’armée pour imposer une idéologie religieuse au mépris de la laïcité, alors qu’en Turquie, à partir des années 20, le pouvoir a utilisé la force de l’armée pour imposer la laïcité, au mépris de l’idéologie religieuse dominante… D’ailleurs le mot « laïque » est inconnu du vocabulaire arabe et le terme turc utilisé est emprunté au vocabulaire occidental… Car au delà du mot, le concept même véhiculé par « laïcité » est extérieur à l’Islam radical où le rejet de la foi (islamique) ne peut conduire l’ « apostat » qu’à la mort physique ordonnée par un corps social qui en agissant ainsi se purifie… En français cela s’appelle un meurtre, un assassinat, tout comme le sont tout également les « crimes d’honneur », coutumiers en Turquie…
- Revenons en France. La sérénité et le recul que donne l’écoulement du temps, permet de dire que, paradoxalement, et au-delà des déchirements consécutifs à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et à l’opposition des « culs bénis » et des « bouffeurs de curés », la laïcité est aussi fille de la célèbre parole christique « Rendez les choses de César à César et les choses de Dieu à Dieu »… Dans la même veine, pourquoi les « Droits de l’homme » peinent-ils tant à s’imposer et à prospérer en pays musulmans ? Car ils ont été conceptualisés sur le terreau fertile des valeurs chrétiennes, de l’humanisme chrétien, pour devenir l’expression d’un christianisme déchristianisé, d’une foi chrétienne désacralisée, laïcisée…
- Ouvrons une parenthèse. Ne confondons pas tolérance et laïcité.
Nous parlions à l’instant de « bouffeurs de curé », terme né à une époque ou le paysage religieux français métropolitain était majoritairement occupé par le catholicisme. Aujourd’hui existe toujours des « Talibans de la laïcité » qui prônent l’athéisme comme Vérité révélée et rêvent de marginaliser les citoyens qui ont pour défaut d’être croyants et de le dire !
Espagne mauresque : L’arrivée des arabes en Espagne au VIII° siècle mit fin à la persécution dont les juifs étaient victimes de la part des Wisigoths qui avaient abandonnés l’arianisme pour le catholicisme. Et pendant de nombreux siècles sous domination musulmane, l’Espagne a été une terre de paix et de tolérance pour les trois religions monothéistes ! Comme quoi, Islam n’est pas toujours synonyme de fanatisme et d’intolérance…
- Fermons la parenthèse.
- Quand-à l’alphabet latin, il est entré en Turquie à la même époque que la laïcité et lui aussi au forceps, l’Empire ottoman utilisant l’alphabet arabe, c'est-à-dire il y a moins d’un siècle. Alors que « chez nous », déjà avant les premiers écrits en « français » du XV° siècle, les lettrés qu’étaient les clercs, écrivaient évidement et depuis « toujours » en latin !

- Aussi, tant pour des raisons géographiques que culturelles, il me semble difficile de prétende que la Turquie puisse avoir vocation à intégrer l’Europe ou la communauté européenne, notions qui sont différentes (La Suisse appartient à la première mais pas à la seconde). Et, pour prétendre le contraire, que l’on ne mette pas en avant un quelconque partenariat économique ! L’Europe peut commercer si elle le souhaite avec l’Afrique du sud sans pour autant que ce pays entre dans l’Europe ! Identique pour la Turquie !

- Prétendrais-je que ce rejet affirmé, que cette position est vérité, réalité objective ? Non...

- Pour prendre conscience de la relativité des certitudes, également des certitudes géographiques, transportons-nous au temps de Rome.

- Si l’Empire romain prétendait à l’universalité, dans les faits, des frontières se sont imposées :
Au nord, l’Ecosse (le mur d’Hadrien).
A l’ouest, évidement l’atlantique.
Au nord/est le Rhin et le Danube.
Au sud l’Afrique noire (les pays de Maghreb étaient partie intégrante de l’Empire -neutralisons Carthage-)
Au sud/est le Tigre et l’Euphrate.
Cela pour souligner que si la géographie peut dire ce qu’est l’Europe, cette définition ne vaut que pour « aujourd’hui » (au sens de l’Histoire).
Si nous demandions à nos contemporains européens où se trouve le centre géographique de l’Europe, qui citerait la capitale de l’Italie ? Personne !
Mais l’Empire s’est construit autour de la Méditerranée avec en son centre cette ville, Rome, elle même située sur cette péninsule, cet appendice pénétrant ce « centre du monde » qu’était la « Grande mer », comme on l’appelait alors.
Toujours à cette époque, le civilisé, était logiquement de type méditerranéen, c'est-à-dire pas très grand, brun et basané. Et le barbare, lui était grand, blond et à la peau très blanche…
Relativité des concepts, disions-nous…
Et parmi ces barbares, il est des tribus germaniques qui allaient nous devenirs « chers » à nous français, celles des Francs…

- Le rapport avec notre sujet ? Dans le monde romain, la région nommée de nos jours Turquie ne posait pas de problème : elle appartenait à l’Empire, tant pour des raisons géographiques que culturelles ! Et elle n’était même pas en zone frontière ! Et le latin, comme ailleurs, y était aussi la langue officielle, administrative !
Mais cela était il y a « deux milles ans »…

- Certitudes, avez-vous un socle digne de ce nom ?

- Pour conclure, maniant le paradoxe, clin d’œil à Edmond Wells et à son Encyclopédie du savoir absolu relatif, je dirais que la Turquie ne fait pas partie de l’Europe et qu’il s’agit là d’une position objective élaborée au sein d’un concept qui lui, ne l’est pas…
Cette affirmation découle d’une prise de conscience selon laquelle il n’y a pas une vision du monde mais plusieurs, indissociables de grilles de lecture, parfois inconscientes, qui sont autant de filtres. Et la pseudo objectivité de la de la stricte géographie s’efface devant le poids de la géopolitique qui elle-même s’efface devant celui de la géoculture, autant de réalités subjectives dans leurs valeurs.

Commentaires

  • L'île de Chypre est située plus à l'est que la moitié du territoire turc. De facto, la Turquie est plus proche de l'Europe géographiquement que Chypre. Or, Chypre est dans l'UE. Donc, l'argument que la Turquie ne puisse adhérer par sa géographie ne compte pas : la Turquie est géographiquement en Europe.

    Et même si c'était il y a deux mille ans, les souvenirs des frontières de l'empire romain avaient conduit les Italiens et les Grecs, après la défaite de l'Empire ottoman suite à la Première Guerre Mondiale, à réclamer des territoires de l'Asie Mineure.

    Pour démonter l'argument fallacieux de la géographie non européenne de la Turquie, il faut analyser la carte de l'Europe d'aujourd'hui et comprendre objectivement (également) que la moitié du territoire turc est plus proche de l'Europe que l'île de Chypre. Et qu'on ne vienne pas dire qu'une île, "c'est pas la même chose qu'un continent !"

    Sinon, pourquoi la France est-elle dans l'UE, alors que ses propres DOM (Antilles et Guyane) ne sont pas géographiquement en Europe ?

    L'argument géographique n'est donc qu'un prétexte mensonger (ou utilisé par pure ignorance) et trop facile que la classe politique utilise à satiété pour opposer une fin de non-recevoir à la Turquie. Comme délit de "sale gueule" (ou de "sale territoire"), on ne pouvait pas faire mieux. :-/

    La Turquie doit voir son adhésion à l'UE débattue sur d'autres sujets, mais pas sur celui de sa géographie qui est, je le répète, européenne.

  • @ L'Hérétique
    S'agissant de ta remarque [...la Turquie et avant elle l'Empire Ottoman ont toujours eu les yeux tournés vers l'Europe, au cours de leur histoire] je la partage. Mais en soi est-ce une justification suffisante pour faire entrer ce pays dans l'Union ? On peut avoir des échanges sans appartenir au même ensemble.
    Pour l'anecdote, il faut se souvenir que le train reliant Londres, Paris à Istambul s'appelait l'Orient Express. Cette ligne mythique permettait de passer de l'Europe à l'orient.

  • Oui l'Orient-Express pour rallier "l'Homme malade de l'Europe", c'était la même époque.

    Le nom de la ligne du train tenait plus du romantisme kitsch et cela est moins sérieux que le qualificatif donné par les politiques et les historiens sur l'état de décomposition de l'Empire ottoman.

    "Homme malade de l'Europe", ce n'est "Homme malade de l'Asie".

  • La Turquie était partie prenante du 1er conflit mondial, qui était un conflit d'abord européen. A tel point que le célébrissime jeu Diplomatie en fait l'une des 7 puissances de départ.
    Non, à mon avis, le seul élément qui pose en effet un réel problème, c'est l'absence d'une véritable culture commune entre la Turquie et le reste de l'Europe. Toutefois, si cet argument devait être considéré comme valide et premier, dans ce cas, Russie, Ukraine et Biélorussie aurait vocation à entrer dans l'UE, puisque cette culture commune existe avec elles. De même que l'Arménie, d'ailleurs.

    Cela dit, chez Homère, les Turcs sont des Lyciens, intégrés dans la sphère d'influence grecque.
    Je crois qu'une fois encore, la pierre d'achoppement, c'est l'Islam.
    http://www.portique.net/spip.php?article52

  • @ OG 1 - histoire
    "Oui l'Orient-Express pour rallier "l'Homme malade de l'Europe", c'était la même époque."
    Je suis d'accord ! Mais ne pas oublier que les possessions de "l'Homme malade" de cette époque s'étendaient sur une partie des Balkans.
    @+

  • @ Thierry

    ton billet paraîtra demain

  • @ OG 2 - géographie
    OK avec toi pour le rappel cartographique. Mais les territoires n'ont de sens en soi (pour ce qui nous intéresse ici) qu'à travers les peuples qui y habitent et l'histoire. La géographie n'est pas une explication suffisante.

  • @ L'Hérétique
    Merci d'avance ;-) ça promet encore des échanges animés LOL !
    Pour ton assertion [...1er conflit mondial, qui était un conflit d'abord européen] peux-tu m'expliquer le sens l'engagement du Japon dès 1914 dans ce "conflit européen" ?

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