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voyage

  • Le Voyage...

     

    Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
    L'univers est égal à son vaste appétit.
    Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
    Aux yeux du souvenir que le monde est petit !

    Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
    Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
    Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
    Berçant notre infini sur le fini des mers :

    Les uns, joyeux de fuir une patrie infâme ;
    D'autres, l'horreur de leurs berceaux, et quelques-uns,
    Astrologues noyés dans les yeux d'une femme,
    La Circé tyrannique aux dangereux parfums.

    Pour n'être pas changés en bêtes, ils s'enivrent
    D'espace et de lumière et de cieux embrasés ;
    La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
    Effacent lentement la marque des baisers.

    Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
    Pour partir ; coeurs légers, semblables aux ballons,
    De leur fatalité jamais ils ne s'écartent,
    Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !

    Ceux-là, dont les désirs ont la forme des nues,
    Et qui rêvent, ainsi qu'un conscrit le canon,
    De vastes voluptés, changeantes, inconnues,
    Et dont l'esprit humain n'a jamais su le nom !

    Charles Baudelaire, Fleurs du Mal, le voyage

    Et voilà...l'heure est venue de partir quelque temps pour moi. J'ai programmé plusieurs notes jusqu'à mon retour. Nul ne devrait donc se sentir seul ici...

  • Post-présidentielles : des cerveaux enfantins...

    VI

                                            "O cerveaux enfantins ! 
     
    Pour ne pas oublier la chose capitale,
    Nous avons vu partout, et sans l'avoir cherché,
    Du haut jusques en bas de l'échelle fatale,
    Le spectacle ennuyeux de l'immortel péché :
     
    La femme, esclave vile, orgueilleuse et stupide,
    Sans rire s'adorant et s'aimant sans dégoût ;
    L'homme, tyran goulu, paillard, dur et cupide,
    Esclave de l'esclave et ruisseau dans l'égout ;
     
    Le bourreau qui jouit, le martyr qui sanglote ;
    La fête qu'assaisonne et parfume le sang ;
    Le poison du pouvoir énervant le despote,
    Et le peuple amoureux du fouet abrutissant ;
     
    Plusieurs religions semblables à la nôtre,
    Toutes escaladant le ciel ; la Sainteté,
    Comme en un lit de plume un délicat se vautre,
    Dans les clous et le crin cherchant la volupté ;
     
    L'Humanité bavarde, ivre de son génie,
    Et, folle maintenant comme elle était jadis,
    Criant à Dieu, dans sa furibonde agonie :
    "O mon semblable, mon maître, je te maudis !"
     
    Et les moins sots, hardis amants de la Démence,
    Fuyant le grand troupeau parqué par le Destin,
    Et se réfugiant dans l'opium immense !
    – Tel est du globe entier l'éternel bulletin."

    (...)

    VIII

    O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
    Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
    Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
    Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !
     
    Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
    Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
    Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
    Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

    Charles Baudelaire (Voyage