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  • De l'islam surgira l'Islam

    Bien des idées reçues circulent sur l'Islam, au sein de la société occidentale, et c'est ce qui m'a donné l'envie de rédiger ce billet. Je lisais récemment un billet sur le blog d'Ibn Kafka, dans lequel il cite Edmond Amran el Maleh. Ce dernier juge que l'on ne peut battre l'islamisme que sur le terrain de la religion, et que la riposte doit venir de l'intérieur. Ibn Kafka met un bémol à cet avis en jugeant que l'intérieur tout court suffit.

    Pour ma part, je suis d'accord avec Edmond Amran. C'est bien de l'Islam que peut venir la riposte contre l'islamisme, et pas d'un magma dont rien de précis n'émerge. Ibn Kafka dit que l'islamisme ne vient pas de l'Islam, et que ce sont d'autres facteurs qui sont à sa source. C'est vrai. Mais l'Islam en est le catalyseur, car de sinistres individus s'en sont emparés. Or, l'erreur, ce serait justement de leur laisser l'Islam entre les mains. Edmond Amran el Maleh a donc bien raison de juger que c'est dans la religion qu'il faut trouver la source.

    A cet égard, je me suis intéressé à trois nations et donc, trois expériences significatives : le Maroc, la Turquie et l'Iran.

    C'est un chef d'état remarquable qui dirige le Maroc. Hassan II était un homme intelligent, mais dur et sans scrupules. Mohamed VI, son fils, est un dirigeant sage. Sa réforme du code de la famille est un morceau d'anthologie de modération et d'habileté politique. Il a très bien compris qu'une amrche forcée vers la modernité générerait d'autant plus de résistances, et il s'est donc appuyé avec bon sens sur le Coran,  l'autorité de sa fonction, des théologiens universitaires et des hadiths fameuses pour faire passer sa réforme.Les Marocains sont des gens modérés. Je ne dis pas que l'islamisme ne parvient pas à s'y implanter, mais il y demeure circonscrit sous l'action d'un roi efficace.

    En Turquie, l'Islam a pris un visage politique et temporel avec l'AKP. L'AKP, à mes yeux, ressemble à la droite française du début du siècle. A l'origine religieuse, monarchique et anti-républicaine, la vie en république a petit à petit adouci ses moeurs. L'évolution de cet adoucissement, c'est la démocratie-chrétienne. Je crois que c'est ce chemin qu'emprunte la Turquie, et la pression de l'Union Européenne accélère ce mouvement. A cet égard, l'Europe ne devrait pas repousser la Turquie, mais observer avec intérêt cette évolution, qui rapproche ce pays des autres pays européens par son développement politique.

    Reste enfin l'Iran : c'est dans ce pays que se sont affirmés deux camps résolument opposés l'un à l'autre. D'un côté les réformateurs, dont l'ex-président Khatami est assurément la tête de proue, de l'autre les conservateurs qui s'appuient sur la frange la plus réactionnaire du clergé. Il y a dansle shi'isme quelque chose d'intrinsèquement révolutionnaire, qui fait qu'une nation shi'ite ne peut se satisfaire d'un ordre figé comme on le trouve dans les pays soumis à la Sunna. En pays shi'ite, la foi compte plus que la loi. Ce seul fait autorise toutes les exégèses, et, par suite, ouvra la porte aux mutations aussi bien sociales qu'économiques. Les réformateurs d'aujourd'hui, ce sont les mystiques de 79 qui sont revenus de leurs illusions ; des islamo-gauchistes qui ont bien tourné, comme en France, d'ex soixante-huitards se sont finalement convertis à l'économie capitaliste.

    L'islamo-gauchiste présente pourtant un visage inquiétant : il est à l'Islam ce que le fascime primitif, pas encore scindé du socialisme, était au socialisme : revendications sociales, violence, et foi aveugle (parfois mauvaise foi) sont les mamelles de cette nouvelle forme de l'Islam. Que l'islamo-gauchisme fasse sa jonction avec ce que Marx appellerait le lumpen et avec la frange ultra-réactionnaire des traditionnalistes, et l'on obtient le GIA ou encore Al Qaeda.

    Revenons à l'Iran : Ibn Kafka a commenté sur son blog un document aussi rare qu'intéressant : un sondage réalisé en Iran chez les Iraniens eux-mêmes. On constate que les Iraniens sont des gens très raisonnables, tout à fait dans la tradition perse, au demeurant, peu désireux de voir le nucléaire militaire se développer chez eux, et soucieux de trouver des convergences avec le monde occidental. Et pour balayer les idées reçues sur les droits de la femme, Ibn Kafka observe que les Iraniens sont 78% à estimer qu'une égalité totale entre hommes et femmes est d'une grande importance dans leur pays.

    Ibn Kafka s'étonne de ce que les Iraniens apprécient le travail d'Ahmeninejad. Il donne pourtant des éléments de réponse : parmi les hauts revenus ou les hauts niveaux d'éducation, le président iranien n'est pas populaire. Ibn Kafka oublie ce quoi Ahmaninejad s'est fait élire : il s'est fait élire sur une réputation d'intégrité. L'Iran comme l'Europe connaît une fracture entre ses élites et le peuple. Que pensent vraisemblablement les classes populaires ? Que les autres sont tous pourris parce que corrompus, mais pas Ahmaninejad. Ceci ne signifie nullement qu'ils valident ses choix diplomatiques, mais plutôt son éthique personnelle comme personnalité politique. Le malheur, c'est que les réformateurs ne soient pas capables de produire un individu de la même trempe éthique en termes de corruption.

    Il me reste enfin trois autres exemples à donner : La Malaisie et l'Indonésie, qui ont globalement réussi à concilier exercice de la démocratie, et, pour la première, application de la Sharia, et on peut se reporter à un excellent article à ce sujet sur le site des Eglises d'Asie  ; par ailleurs, le déroulement des dernières élections parlementaires en Malaisie ont été un modèle démocratique, avec usage d'urnes transparentes, par exemple, pour garantir la qualité du scrutin.

    Reste enfin le Qatar, avec Al-Jazeera, qui a bâti un media extraordinairement libre au beau milieu des états les plus conservateurs de la planète. A titre personnel, je trouve al-jazeera souvent populiste, mais, je lui reconnais une vraie liberté éditoriale qui détone dans une sphère où la liberté d'expression est très limitée.

    Au final, tous les indices que je réunis ici, venus des quatre coins de l'Islam (le Maroc est arabe et au Maghreb, l'Iran est perse donc indo-européen, la Turquie ouralo-altaïque, le Qatar au proche-orient et Indonésie et Malaisie en Asie) montrent que l'Islam n'a rien d'incompatible avec la démocratie.

    Je conclurais simplement par le propos de Surin Pitsuwan, ancien ministre thaïlandais des Affaires étrangères,  tenu en 2005 pour qualifier les rapports entre Islam et démocratie. Selon lui, il n'est pas tant question du rôle que l'islam peut jouer au sein de la démocratie que d'être un bon musulman en comprenant l'importance de vivre sous un régime démocratique.

    «Je crois avec ferveur que pour être un bon musulman, vous devez vivre dans un système démocratique»

     

  • Turquie, Lybie, Iran, futures démocraties ?

    Bon, je sais, c'est provocateur, mais j'ai lu avec intérêt les déclarations récentes de Seif el Islam, le fils de Khadafi. Il a (enfin!) reconnu que les infirmières bulgares n'étaient pas coupables et qu'elles avaient été victimes de sévices, de même que le médecin palestinien.

    A ce sujet, la Bulgarie a porté plainte contre la Lybie devant un tribunal des Nations Unies, et, il faut absolument la soutenir. La justice lybienne corrompue, sadique et malhonnête ne doit pas s'en tirer comme cela, pas plus que Khadafi père qui a fermé les yeux sur toute cette affaire, puis l'a utilisée comme monnaie d'échange le moment venu. 

    Au-delà ce ces dernières péripéties, le fils de Khadafi a aussi affirmé vouloir mettre en place en Lybie une constitution ratifiée par tous les Lybiens. Un proche de Kadhafi, le professeur de droit public français Edmond Jouve précisait ainsi dans un entretien tout récent avec un journaliste « Les fondements existent : la déclaration de 1977, le livre vert, exposé de la doctrine du guide, et la grande charte verte des droits de l'homme. Avec ces trois textes, on peut fort bien écrire une Constitution »

     C'est à suivre, à mon avis. Bien sûr, en l'état, nous sommes très loin du compte, mais, il existe peut-être en Lybie au moins un courant doté d'une volonté réformatrice. Reste à savoir ce qu'elle représente réellement dans l'opinion.

    En même temps, on peut avoir des surprises. Prenons l'exemple de la Turquie : Erdogan installe tout doucement une sorte de mouvement politique islamo-démocrate qui a beaucoup de similitudes avec la démocratie-chrétienne des origines. L'Iran lui-même est une théocratie qui s'asseoit sur une démocratie (cela dit, je suis bien gentil de dire qu'elle s'asseoit dessus : disons plutôt qu'elle l'écrase), tout du moins, du point de vue des institutions. Tout n'est donc pas perdu dans ces pays que l'on a cru longtemps livrés au pouvoir de conservateurs religieux tendance ultra.

    Quant aux rapports entre lois et religion, Montesquieu écrit au chapitre XIV du livre XXIV de judicieuses remarques :

    Comme la religion et les lois civiles doivent tendre principalement à rendre les hommes bons citoyens, on voit que lorsqu'une des deux s'écartera de ce but, l'autre y doit tendre davantage: moins la religion sera réprimante, plus les lois civiles doivent réprimer.

    [...]

    Lorsque la religion condamne des choses que les lois civiles doivent permettre, il est dangereux que des lois civiles ne permettent de leur côté ce que la religion doit condamner; une de ces choses marquant toujours un défaut d'harmonie et de justesse dans les idées, qui se répand sur l'autre.
      

    Ce qui est dit ci-dessus, la plupart des pays qui vivent sous régime islamique devraient en prendre de la graine, surtout le second paragraphe. Quel idéal de modération entre religion et pouvoir politique nous propose là Montesquieu ! Il me semble que c'est la voie qu'a choisi Erdogan en Turquie, du moins pour l'instant, et c'est ce qui rend l'expérience turque intéressante. J'ai le sentiment aussi que Mohamed VI, l'actuel roi du Maroc est un peu dans cet esprit.

    Nous restons, toutefois, encore loin, dans tous ces pays, de nos normes démocratiques, mais, qui sait, peut-être y-a-t-il des lueurs d'espoir.