La nouvelle marotte de Châtel, c'est le numérique à l'école. Ce qui me frappe, quand je considère l'état du développement numérique dans les établissements scolaires, c'est d'abord l'indigence du matériel, et ensuite le gaspillage effréné auquel se livrent les collectivités. Dans de nombreux départements on voit les services pédagogiques des Conseils Généraux imposer des organisations informatiques, des prestataires de service, parfois même le choix du matériel.
Oh, parfois, il y a bien un questionnaire qui descend jusque vers l'équipe pédagogique, mais il remonte rarement, et même en supposant qu'il aboutisse quelque part, sa destination la plus sûre est la poubelle ou un fond de placard où il finira par jaunir.
Et pourtant, quand on considère le coût des prestataires auxquels les départements font appel, cela coûterait tellement moins cher de s'adresser à un enseignant qui dispose des compétences ad hoc et de lui attribuer une indemnité, au pire une décharge horaire !...
Mais voilà : il faut pro-fes-sion-na-li-ser ! Oui, professionnaliser, on vous dit. Alors mieux vaut faire appel à une société extérieure, qui n'y entend goutte aux besoins du terrain parce qu'elle travaille généralement avec des entreprises, pas des communautés éducatives.
J'ai eu l'occasion d'ouïr un témoignage des plus édifiants quant à la propension bien française à contrôler tout par le haut. Un ami, enseignant de son état, évoquait la politique menée par le département dans lequel il exerce pour informatiser à marche forcée les établissements scolaires.
On retrouve là quelques recettes bien connues de l'administration française et plus généralement de la société française.
Mais bon sang, camarades conseillers généraux, inspecteurs et conseillers techniques des ministres, laissez un peu faire l'intelligence collective, que Diable (tiens, voilà qui ferait plaisir à Crouzet et à son Noâm, parce que de la tune dans le caniveau, on en déverse méchamment, dans la numérisation de l'école) ; l'intelligence collective élimine d'elle-même ce qui ne marche pas, elle est donc efficiente, et elle coûte moins cher que les solutions privées. Tiens, prenons en exemple les mathématiques : depuis de nombreuses années, les enseignants de France et de Navarre se sont organisés pour produire moult ressources dans leur discipline. Ils ont même fabriqué un manuel numérique parfaitement exploitable. Leur nom est connu, au moins dans la sphère éducative : Sesamaths. Que croyez-vous que fassent les inspecteurs de mathématiques de l'Education Nationale ? Eh bien ils freinent des quatre fers cette expérience en l'empêchant de s'imposer dans les collèges. Et pendant ce temps-là, le Ministère veut allouer de 500 à 2500 euros par établissement pour acheter des logiciels. Il ferait mieux de financer le logiciel libre, plus performant, plus adaptable, plus évolutif et mieux suivi que toutes les solutions professionnelles. Le libre, d'accord ? Pas le professionnel, pas l'administratif qui a ciré les pompes du bon administrateur, mais le libre qui s'organise tout seul, comme un grand.
Autre exemple : depuis Xavier Darcos, on ne parle plus que des fameux ENT (Environnement numérique de travail). Je ne suis pas sûr d'avoir clairement compris de quoi il s'agit, mais en gros, ce serait une sorte de serveur où les enseignants rentrent des notes, des appréciations, utilisent des logiciels, communiquent entre eux, et cetera...Bref, l'enjeu principal, c'est d'organiser le réseau de l'établissement. Il existe un groupe d'enseignants qui a mis en place un système de ce type depuis près de 10 ans (il répond au doux et poétique nom de Gepi). Ils ont monté une liste de diffusion d'utilisateurs de plusieurs centaines de membres et développent leur outil sur un mode coopératif. Le projet a survécu à tous les avatars et se montre toujours plus performant. De nombreux lycées et collèges l'ont adopté. Il est de surcroît gratuit, ce qui n'empêche pas qu'une petite contribution financière est la bienvenue quand c'est possible. Bref, ça marche ! et ça marche bien, même. Cela marche bien et ce n'est pas cher. Eh bien non, partout, les départements prévoient des projets mastodontesques et coûteux, se chiffrant parfois en dizaine de milliers d'euros. Réinvente la roue, mais surtout, professionnalise et paie cent fois ce qu'elle t'a coûté la première fois.
C'est marrant, ça : il y a une fascination des administrations et de la fonction publique, du moins parmi ses cadres, pour le privé. On se dit que le privé est forcément mieux. C'est bien possible dans certains domaines, mais dans l'éducatif, pour l'instant, je suis très loin d'être convaincu de la chose...Et puis, tiens, comme libéral, je mets mon grain de sel : être libéral, ce n'est pas faire appel au privé par conditionnement. Être libéral, c'est faire confiance à l'individu, à sa capacité à s'organiser avec d'autres individus (on appelle ça une association), et c'est aussi faire le choix de l'efficacité et de la performance. Ja, Gross Kapital, c'est bien, mais schön bedide (petite) coöperativen, ça marche bien aussi.
Nom de Zeus, faites confiance au coopératif (ça, ça va faire plaisir à Antonin), à l'intelligence collective. Elle sait mieux que vous, Tovaritchi administratifs ce qui lui convient et ce qu'il lui faut.
Il n'y a pas de société qui défende plus son pré carré que la société française, tout en se défiant plus que tout de l'initiative des individus. En France, on part toujours du principe que l'individu n'est pas responsable, qu'il vaut mieux une grosse structure que deux ou trois personnes et qu'on est mieux servi de loin que de près.
Pourtant, les individus sont capables de s'organiser en réseau et de produire des choses qui fonctionnent : wikipedia en est la démonstration la plus éclatante, mais elle n'en est pas la seule. Internet est une force de résistance, d'une certaine manière, au lieu commun, à la doxa ambiante car là, plus que nulle part ailleurs, il s'y constitue une organisation lâche mais spontanée qui échappe aux tentatives de catégorisation traditionnelles.
Commentaires
En harmonie mais vous le savez déjà :)
@+
L'hérétique a écrit
"Et pourtant, quand on considère le coût des prestataires auxquels les départements font appel, cela coûterait tellement moins cher de s'adresser à un enseignant qui dispose des compétences ad hoc et de lui attribuer une indemnité, au pire une décharge horaire !..."
Ben oui, ou tout simplement des enseignants ayant double compétence, une dans une matière noble et l'autre en informatique ...
j'attends la réponse d'Antonin(s'il passe par la) sur le travail coopératif..
Le degré d'autonomie et de liberté de choix organisationnels des écoles, collèges et lycée par rapport est clairement à revoir, en effet. Et pas que sur le matériel...
@lheretique
votre billet est intéressant, mais comment oublier:
http://hightech.nouvelobs.com/actualites/depeche/20101116.ZDN3327/la-correze-equipe-en-ipad-3-300-collegiens-et-enseignants.html
et bien sûr:
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2010/09/27/97001-20100927FILWWW00528-133-colleges-du-92-equipes-d-ipad.php
@Fabrice
mais franchement, 2 i-pad par collège, ça n'a aucun sens. En ont-ils besoin ? la demande vient-elle des établissements ? Je vous parie que non dans les deux cas.
Je crois qu'il est TRES important que nos enfants apprennent d'utiliser l'ICT et de voir plus loin qu'un jeu Nintendo, PS ..., ou de leur laisser simplement vivre dans leur monde des SMS.
Cela devient le pas de plus après apprendre de lire et écrire.
le monde est dans 21e siècle, on fait des pas de géants en avant.
L'école doit s'adapter et se professionnaliser dans ce cadre, arrêtez de parler d'un profésseur doué, ils sont toujours 2 décades en arrière.
Il faut progresser dans l'ICT mais selon une manière que la société peut en bénéficier et pas simplement pour nous démerder. Constructif, l'avenir en tête!!
@ Mister Haddock,
Le collège d'un de mes enfants est équipé suite coopération corps enseignant et parents depuis quelques années déjà, les enfants se déplacent avec une clé USB, eh vouiii adepte du cartable allégé!
@Archibald Haddock
Nous ne souhaitons pas le contraire :-)
Nous pensons juste qu'il faut laisser les acteurs de terrain s'occuper de cela. Plutôt que d'imposer une solution complètement inadaptée (l'iPad a un format fermé, très peu évolutif, donc peu d'intérêt pédagogique), il eût probablement été préférable de concerter largement. Sinon, l'équipement informatique n'est que de la pure perte.
Une très bonne tribune faisant l'éloge du logiciel libre expliquait cela très bien dans le Monde.
@hérétique
Je ne soutiens pas du tout les initiatives alto-séquanaise et corrézienne, loin de là. Je disais juste qu'il convenait de les
@ Martine: Bravo, comme toujours tu n'as rien compris. (cachets!!)
@L'Hérétique: je ne vois pas que l'IPAD vient faire ici. Quand moi, je parle ICT je ne parle pas du Hardware, mais de voir clair, voir virtuel, logique, l'aperçu global d'un logiciel, progiciel, les liens, ...
C'est plus que de s'amuser sur « twitter » et de prendre 1/2 page sur LinkedIn/Home avec des conneries.!
En faite c'était à Fabrice au lieu de l'Hérétique pour la première partie (les commentaires de LinkedIn je garde pour CB)
@Archi,
Vous suggère de les prendre vous meme les cachets^^^.
Vous ignorez beaucoup, beaucoup, secret de Polichinelle pour certains lecteurs de ce blog, ils le savaient déjà avant meme que j'intervienne ici meme.
Pour etre plus claire, bien avant que j'intervienne sur ce blog.
N'abusez pas...Pas d'overdose^^^
@Archibald
Vous parlez "ICT", moi je parle "politique publique en faveur de l'ICT".
Et dans cette catégorie, nos décideurs publics ont décidé qu'équiper nos collèges d'iPad allait résoudre des problèmes...
Qu'ajouter de plus ?
moi, j'aime pas la nouvelle version de scolastance. Qu'est-ce que ça rame, ce truc, qu'est-ce que c'est lent, pas maniable, chronophage... et je suis sûre que ça coûte un paquet de fric, en plus!
clair c'est pas du tout agreable a utiliser
Je crois qu'il est TRES important que nos enfants apprennent d'utiliser l'ICT et de voir plus loin qu'un jeu Nintendo, PS ..., ou de leur laisser simplement vivre dans leur monde des SMS.
Merci pour le partage de cette vidéo !
Cdt,
Julia