Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Infanticide versus avortement

Ça a sévèrement chauffé dans la réacosphère tout récemment à propos de l'affaire des bébés congelés. Pour ma part, cela m'avait plutôt inspiré une réflexion sur le déni de grossesse, mais chez outre politique on a pensé autrement et on a préféré associer infanticide et avortement... Étant donné qu'il y a eu 83 commentaires là-bas, on comprend aisément que l'idée avancée n'est pas allée de soi.

Les discussions  qui s'en sont ensuivies m'ont renvoyé à un débat que j'avais eu avec Florent à propos du statut de l'embryon. C'est un vrai serpent de mer que cette question. On n'en vient jamais à bout.

Quand j'étais plus jeune, je ne me posais pas de questions et j'étais favorable au droit à l'avortement de manière inconditionnelle. J'estime toujours aujourd'hui que c'est aux femmes que doit revenir le choix, mais, entre-temps, je suis devenu un homme puis un père, et un père de plusieurs enfants. Sans remettre en question ce droit, ces changements dans mon existence ont remis en cause la légèreté et l'insouciance avec lesquelles j'avais jusqu'ici considéré le sujet.

Mon premier enfant est né en l'an 2000. Mais, alors qu'il est né au milieu de l'année, mes premiers contacts avec lui ont eu lieu bien avant. Dès 5 mois, j'ai pu observer la petite vie qui arrondissait le ventre de ma compagne, et, très tôt, j'ai cherché à communiquer avec lui. Ainsi, quand je passais la main sur le ventre de sa mère, très vite, le bébé (le foetus ?) a pris l'habitude de venir "voir" ce qu'il se passait. Cela faisait des petites bosses sous la peau qui suivaient le déplacement de ma main. Nous avions fait tous les deux connaissance.

Je me souviens d'avoir eu un désaccord avec ma compagne, à cette époque. Nous avions déjà choisi le prénom (nous savions de quel sexe serait l'enfant), et, je voulais le nommer par son nom, parce que je savais qu'il pouvait commencer à entendre les sons au-delà de l'utérus. Mais sa mère n'avait pas souhaité que j'agisse ainsi. Elle estimait qu'on ne savait pas ce que réservait l'avenir immédiat et qu'un enfant ne pouvait être nommé qu'une fois sorti du ventre de sa mère. J'ai donc du ronger mon frein jusqu'à sa naissance avant de pouvoir enfin l'appeler par son prénom, mon bébé.

Mais sa réaction illustre toute la problématique du statut du foetus : est-il ou n'est-il pas ? Plus précisément : est-il encore la mère ou en est-il différent ? Certaines écoles de la psychanalyse soutiennent que le bébé (donc a fortiori le foetus) n'a pas conscience d'avoir une existence autonome et ne se pense que dans la fusion totale avec sa mère. Si le foetus est encore le corps de la mère, alors on comprend l'argument du droit des femmes à disposer de leur corps.

Voilà qui renvoie à un autre débat, scholastique celui-là, qui opposa dans les universités médiavales les nominalistes et les réalistes. Pour les premiers, n'existait que ce que l'homme pouvait désigner par un nom alors que les réalistes (en fait des platoniciens tandis que les nominalistes sont des aristotéliciens) donnaient le primat à des réalités supérieures et transcendantes, indépendantes de l'esprit humain. Ainsi, « Le rasoir d'Occam » spécifie qu'« on ne doit pas multiplier les êtres sans nécessité (entia non sunt multiplicanda prater necessitatem) ».

Florent, dans son billet, avait tranché dans le vif en assumant la mort de l'embryon comme un homicide légal. Alors, ce qui séparerait la vie de la mort, l'existence de la non-existence, ce ne serait plus que la loi ?

Vous l'avez compris, je suis déchiré entre ce que m'a apporté mon expérience de jeune père, ma sensibilité à la toute petite enfance, vie foetale comprise, et le droit qui me paraît presqu'imprescriptible des femmes à ne pas se voir imposer une naissance qu'elles n'ont pas choisie.

Il est à mon avis au moins aussi calamiteux d'accoucher d'un enfant que l'on n'a pas désiré, et même pire que l'on refuse, que de choisir d'interrompre artificiellement sa vie. L'issue terrible des grossesses de Véronique Courjault vérifie d'ailleurs cette observation.

Dans les philosophies platonicienne et aristotélicienne, il existe certains écrits que l'on qualifie d'aporétiques. Un dialogue aporétique est un dialogue sans issue qui n'offre de solution satisfaisante ni dans un sens ni dans un autre.

J'ai lu les échanges qui suivent le billet du chafouin. Le Chafouin et ses commentateurs se sont posés les mêmes questions que moi. Simplement, ils ont tranché dans un sens ou dans l'autre. Vous le comprendez, mon sentiment et ma raison se heurtent frontalement. Mon sentiment, mais aussi mes sensations me disent que la vie existe très tôt, que l'enfant a une conscience, même primitive, bien avant sa naissance. Ma raison n'infirme pas mon sentiment ni mes sensations, mais elle me conseille de ne pas me fier à m'immédiateté de l'émotion pour traiter d'un tel sujet ; j'irais même plus loin en précisant qu'elle m'invite même à m'en défier...

Commentaires

  • Chacun y va de son point de vue.
    Me permettrais de donner le mien.

    Tant que l'embryon ne peut avoir de vie autonome, tant qu'il ne peut vivre sans sa mère, il EST une partie du corps de sa mère et elle en doit pouvoir en disposer au même titre que ses organes.

    Son corps est entrain de fabriquer un organisme qui va pouvoir avoir une existence autonome à sa naissance, voire un peu avant.

    La question est "à quel moment un fœtus peut être autonome?" Là, nous aurions le moment auquel le fœtus est un enfant avec une existence propre et n'appartient plus dans ce sens à sa mère.

    En amont, au stade de foetus, c'est à elle de décider en conscience de son "sort" en fonction de ses croyances, son éthique , sa religion concernant "la date d'arrivée" de l'âme du foetus si tant est qu'elle pense qu'il y en ait une ... conception, naissance, à mi chemin?

    Qui peut le dire?

    En l'occurrence, dans cette histoire (que je n'appellerai pas comme vous "enfants congelés")qui nous bouscule et qui peut faire avancer notre société dans son rapport à la vie et à l'éthique, les bébés étaient nés.

    Il s'agit certes de déni de grossesse mais peut-être également d'un déni d'existence.

  • En ce qui me concerne, je suis pour l'avortement sans hésitation, le délais légal actuel me semble raisonnable.

    Sur le plan personnel, j'avoue que si la question se posait, j'en ai déjà discuté avec ma conjointe, et nous le garderions. Quitte à assumer quelque chose toute sa vie, je préfère assumer un enfant impromptu qu'un avortement.

    En ce qui concerne les cellules d'embryons, je ne les considère pas comme des humains, ça pourrait en devenir certes, mais tant qu'un embryon n'est pas implanté et viable, je ne le considère pas comme un être humain.

    En effet qu'un amas de cellules soit hétérozygote ou homozygote, c'est à dire que l'on travaille sur des cellules sexuelles séparées ou bien réunies en oeuf, pour moi ça ne fait guère de différence, l'embryon n'acquiert pas son statut à la fécondation.

    Après, personne ne détient la vérité sur de tels sujets.

  • Assez d'accord avec vincent 15, c'est ce que j'avais en gros répondu sur le blog de Florent à l'époque.La loi est très bien encadrée.

  • Attention, thème trologène.

    Personnellement, je trouve qu'on prend toujours le problème par le bout de la lorgnette, quand va-t-on réfléchir aux questions en amont: doit-on continuer à justifier une approche consommatrice du sexe? comment notre société peut-elle permettre sans trop réprouver (même si légalement on peut l'y contraindre) un futur père abandonnant une femme enceinte?

    Dans notre société, on voudrait tout. Le plaisir sans les responsabilités. Une société qui s'infantilise.

  • J'aimerais ajouter à ce que j'ai dit ci-dessus que personnellement je ne renie pas le père.

    Dans la conception d'une créature que porte la mère il y a un géniteur qui est soit, anonyme, soit identifié et reconnaissant sa paternité.

    Dans le deuxième cas, ce père a été le responsable conscient ou inconscient de la conception et doit pouvoir, à ce titre partager la décision. Si pas de consensus, la décision revient à mon sens en finalité à la "porteuse".

    Pour rebondir sur Europium.. vous dites: "tant qu'un embryon n'est pas implanté et viable, je ne le considère pas comme un être humain" ou encore "l'embryon n'acquiert pas son statut à la fécondation".

    Vous vouliez dire dans le deuxième cas, foetus peut etre?

    Selon la loi, un enfant en gestation est considéré comme embryon durant les trois premiers mois de grossesse, puis il devient foetus.

    La question est à partir de quel moment un foetus est viable?

    Les critères de l’OMS étaient que le foetus ait au moins 22 semaines ou qu’il pèse 500 grammes. Ces critères sont repris en France, mais n’a pas de valeur juridique.

  • "L'issue terrible des grossesses de Véronique Courjault vérifie d'ailleurs cette observation."

    L'affaire Courjault ne peut être utilisée pour justifier l'avortement. Dans celle-ci, il y a de façon incontestable infanticide.

    Ces trois infanticides ne justifient pas l'avortement. En revanche, ils mériteraient une vraie peine de réclusion à perpétuité.

  • Je n'avais pas vu ce billet du Chafouin et la discussion qui s'en est suivie, je viens donc de suivre le lien et j'en ressorts avec un ressentis à peu près équivalent au votre.

    Le Chafouin pose une question, certes iconoclaste mais intéressante qui en amène beaucoup d’autres:
    Qu'est ce qui fondamentalement distingue l'avortement de l'infanticide ? Dans le cas de Véronique Courjault il semble bien que le meurtre de ses bébés ait été assimilé par elle à une sorte d'avortement tardif !

    Si on considère que la frontière ne peut pas être positionnée à la naissance, alors à partir de quel moment l'avortement se transforme-t-il en infanticide ? Qu’est ce qui différencie celle qui tue son bébé après la naissance de celle qui le tue avant ? Qu’est ce qui différencie celle qui avorte à 8 mois et de celle qui avorte à 3 mois excepté que l’une est dans la légalité et pas l’autre ?

    En faisant ce choix de légaliser l’avortement quelle que soit la situation de la future ex mère, n’avons-nous pas profité de ce manque de certitudes, d’évidences, pour nous engager dans la voie de la facilité comme c’est le cas pour beaucoup de nos choix de société ?

    Quelle droit la mère d’un peut-être futur enfant a-t’elle sur celui-ci ? …et puis est-elle la seule concernée, est-elle la seule « propriétaire » de l’embryon ?...quid du géniteur ?

    Et en corolaire, en autorisant l’avortement sans avoir réellement répondu à ces questions, et avec comme seule condition un délai de 12 semaine, n’a-t-on pas ouvert la boite de Pandore (il évoque 200 000 avortements/an)? N’a-t-on pas banalisé un acte grave ?

    Poser ces questions ce n’est pas y répondre, j’en serai tout à fait incapable d’autant plus que la science ne peut guère nous aider en cette matière puisqu’elle est incapable de dire quand « la vie » ou à plus forte raison quand la « conscience » apparaissent !

    Cela n’empêche effectivement pas beaucoup des commentaires à l’article du Chafouin d’exprimer une certitude sinon une conviction. Entre ceux qui par conviction religieuse ou par moralisme y sont opposés et ceux qui perçoivent le droit à l’avortement comme une avancée sociale que seul un réactionnaire étroit d’esprit pourrait vouloir remettre en cause, il ne reste malheureusement pas beaucoup de place au doute !

  • L'avortement est un meurtre, vous pouvez affirmer ce que vous voulez, cela reste un meurtre.

    Qu'est-ce qu'un meurtre? c'est le fait de mettre à mort volontairement un être humain vivant

    Voulez vous affirmer que le foetus n'est pas vivant, n'est pas un être humain ou qu'après l'avortement il n'est pas mort?

    Le meurtre peut parfois être légal ou justifié (légitime défense par exemple); toutefois, il demeure un meurtre.

    A-t-on le droit de commettre ce meurtre là? dans quasiment tous les cas, la réponse est non, après, cela implique une société plus responsable. Faire attention. Réfléchir. Autant de chose insupportables pour le moderne moyen.

  • Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre l'avortement légal, voici ce que je dirais :

    Les patrons d'Europe ayant trop exploité les ouvriers, ils ont dû mettre au travail les femmes, pour s’en servir à défricher tant de terres.

    Tout serait trop cher, si l'on ne faisait travailler les femmes.

    Ceux dont il s'agit sont rouges et mouillés depuis les pieds jusqu'à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu'il est presque impossible de les plaindre.

    On ne peut se mettre dans l'esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps si petit.

    Il est si naturel de penser que c’est la force qui constitue l'essence de l’humanité, que les peuples d'Asie, qui font les eunuques, privent toujours les enfants du rapport qu'ils ont avec nous d'une façon plus marquée.

    On peut juger de la dignité des enfants à naître par celle des nouveaux-nés, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d'une si grande conséquence, qu'ils faisaient mourir tous les nouveaux-nés hébreux qui leur tombaient entre les mains.

    Une preuve que les nouveaux-nés n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas d'un collier de verre que de l'or, qui, chez les nations policées, est d'une si grande conséquence.

    Il est impossible que nous supposions que ces enfants à naître soient humains ; parce que, si nous les supposions humains, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens.

    De petits esprits exagèrent trop l'injustice que l'on fait aux enfants à naître. Car, si elle était telle, qu'ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d'Europe et de la Halde, qui font entre eux tant de conventions, d'en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ?

  • "L'avortement est un meurtre, vous pouvez affirmer ce que vous voulez, cela reste un meurtre.
    Qu'est-ce qu'un meurtre? c'est le fait de mettre à mort volontairement un être humain vivant"

    Désolé mais un embryon n'est pas un être humain.

    je préfère une société qui assume l'avortement plutôt que d'avoir des faiseuses d'anges....

  • "Qu'est ce qui fondamentalement distingue l'avortement de l'infanticide ? Dans le cas de Véronique Courjault il semble bien que le meurtre de ses bébés ait été assimilé par elle à une sorte d'avortement tardif !

    Si on considère que la frontière ne peut pas être positionnée à la naissance, alors à partir de quel moment l'avortement se transforme-t-il en infanticide ?"

    Nicolas touche au fond du sujet à mon avis : les deux cas ne sont pas si différents en ce qu'à chaque fois, ce qui fait aux yeux de la mère la non-existence du bébé (ou de la chose), c'est sa volonté. parce qu'on considère qu'il n'existe pas en tant q'humain, on peut en disposer.

    Mais je suis étonné d'être assimilé à la réacosphère : j'ai plus cherché à poser des questions qu'à y répondre. Même si à mes yeux, le respect de la vie fait partie de mes principes à défendre de manière absolue. D'autres s'émeuvent du droit des étrangers, par exemple, chacun a ses causes "sacrées" et je ne pense pas que cela ferme la discussion pour autant.

    Merci en tout cas de ce billet, de sa franchise,

  • Bonjour Chafouin

    La réacosphère, c'est pour rigoler. J'ai trouvé ton billet et la discussion qui s'est ensuivie intéressante, c'est pour cela que j'en ai parlé ici aussi.
    Note (et je réponds aussi à Nicolas) que je ne cherche en aucun cas à requalifier le crime de Véronique Courjault en avortement tardif.
    Je m'interroge seulement sur ce qui fait l'enfant, la vie, un être humain, et ce qui le dissocie ou non de sa génitrice.

  • @Chafouin et L'Hérétique
    Merci à l'un et à l'autre pour vos billets sur ce sujet pour le moins sensible, ils posent les questions avec beaucoup justesse et de sensibilité là ou beaucoup expriment des certitudes catégoriques et péremptoires !

Les commentaires sont fermés.