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Tocqueville évoquant un président...

Tiens...un passage fort intéressant de la Démocratie en Amérique de Tocqueville. Il plaide en fait contre les mandats présidentiels renouvelables en Amérique et expose ses arguments, paragraphe 13, chapitre VIII , Crise de l'élection... 

 « De son côté, le Président est absorbé par le soin de se défendre. Il ne gouverne plus dans l'intérêt de l'État, mais dans celui de sa réélection; il se prosterne devant la majorité, et souvent, au lieu de résister à ses passions, comme son devoir l'y oblige, il court au-devant de ses caprices.
À mesure que l'élection approche, les intrigues deviennent plus actives, l'agitation plus vive et plus répandue. Les citoyens se divisent en plusieurs camps, dont chacun prend le nom de son candidat. La nation entière tombe dans un état fébrile, l'élection est alors le texte journalier des papiers publics, le sujet des conversations particulières, le but de toutes les démarches, l'objet de toutes les pensées, le seul intérêt du présent. »

Un an après l'élection de Nicolas Sarkozy, cela ne vous rappelle pas des choses, à vous ?

Mais moi, ce que je trouve particulièrement perspicace, c'est l'avertissement ci-dessous au paragraphe 14 du chapitre VIII sur la réélection du président :

« L'intrigue et la corruption sont des vices naturels aux gouvernements électifs. Mais lorsque le chef de l'État peut être réélu, ces vices s'étendent indéfiniment et compromettent l'existence même du pays. Quand un simple candidat veut parvenir par l'intrigue, ses manœuvres ne sauraient s'exercer que sur un espace circonscrit. Lorsque, au contraire, le chef de l'État lui-même se met sur les rangs, il emprunte pour son propre usage la force du gouvernement.

Dans le premier cas, C'est un homme avec ses faibles moyens; dans le second, C'est l'État lui-même, avec ses immenses ressources, qui intrigue et qui corrompt.

Le simple citoyen qui emploie des manœuvres coupables pour parvenir au pouvoir, ne peut nuire que d'une manière indirecte à la prospérité publique; mais si le représentant de la puissance exécutive descend dans la lice, le soin du gouvernement devient pour lui l'intérêt secondaire; l'intérêt principal est son élection. Les négociations, comme les lois, ne sont plus pour lui que des combinaisons électorales; les places deviennent la récompense des services rendus, non à la nation, mais à son chef Alors même que l'action du gouvernement ne serait pas toujours contraire à l'intérêt du pays, du moins elle ne lui sert plus. Cependant C'est pour son usage seul qu'elle est faite. »

Voilà, c'est  fort instructif, et j'ajoute, malheureusement, que la volonté permanente de conserver de manière exclusive le pouvoir entraîne en effet tous les dérapages. Les Américains ont limité les mandats à deux. Les Romains, sagement, interdisaient à tout élu, a fortiori les consuls, de se représenter à la mandature suivante. Il leur fallait attendre un an (on était élu pour une seule année) pour pouvoir se représenter. Cela n'empêchait pas les intrigues, mais cela limitait les tentations de s'emparer du pouvoir à des fins personnelles, même si cela finit par se produire au bout de 500 ans de régime républicain.

Commentaires

  • Sujet très intéressant, merci d'avoir déniché ce débat historique! Comme toi, je pense que l'intrigue est inévitable. Par contre il y a plusieurs contre-exemples pour le mandat unique, voire la restriction à deux mandats et leur impact sur l'intrigue politique.

    Le mandat unique est de mise au Mexique, mais cela n'empêche pas la législature de consacrer une partie considérable de son temps pour trouver et favoriser les dauphins de chaque parti, qui sont toujours élus sur les mêmes orientations programmatiques que leurs prédécesseurs en tant que chef de gouvernement / chef de parti; c'est valable pour les trois grands partis: PAN, PRD, PRI; cela ne les empêche pas de changer radicalement de politique une fois arrivés au pouvoir, mais sans approbation démocratique préalable. Le mandat non renouvelable se transforme donc en chasse au dauphin qui ne fait pas de vagues (un peu comme Poutine et Medvedev, ou Aznar et Rajoy, tous deux après deux mandats).

    Aux Etats-Unis (mais aussi en Argentine, au Pakistan...), la limite des deux mandats est franchie par la mise en place de dynasties politiques, qui démultiplient l'intrigue sur des décennies. D'ailleurs, cette restriction à deux mandats (qui n'étaient pas prévue par les pères fondateurs de la démocratie américaine) avait été fixée après les trois élections de F.D. Roosevelt, pour éviter qu'un autre président puisse monopoliser le vote (la fin de la guerre et de la grande dépression avaient aidé) et limiter le risque qu'un président meurt au pouvoir. Le premier de ces risques ne s'est pas avéré systémique, uniquement exceptionnel (le seul président qui aurait pu remporter trois mandats depuis FDR aurait été Reagan, pour raison de fin de guerre froide et croissance économique, et il aurait probablement décédé pendant ce mandat, compte tenu du stress supplémentaire). J'avais écrit un billet traitant partiellement du problème des dynasties politiques:
    http://www.quindiblog.eu/log/2007/12/quindi-changeme.html

  • Bonjour,
    Nous réalisons un fichier mail de tous les blogueurs Centristes. Pourriez-vous nous communiquez le vôtre?
    Par ailleurs, nous organisons une rencontre avec Hervé Morin réservée aux blogueurs de Nouveau Centre lors du Congrés de Nîmes. Pourriez-vous nous recontacter à ce sujet soit par téléphone au 06 59 85 90 10, soit par mail
    srieutort@le-nouveaucentre.org

    Merci d'avance.
    Bien amicalement,

    Sophie Rieutort
    Equipe internet du Nouveau Centre

  • Je suis en train de lire ce même ouvrage.

    C'est super de pouvoir éclairer ces réflexions à la lumière des illustrations actuelles de ArnaudH ! Beau travail collaboratif !

    Désolée pour mon enthousiasme naïf assumé, mais ça ne fait pas longtemps que j'ai découvert la politique et le web 2.0 et je pense que beaucoup de simples adhérents MoDem gagneraient à pouvoir s'orienter sur la blogosphère MoDem pour s"y instruire, ce qui n'est pas encore vraiment le cas, mais on y travaille.

  • Il y a du vrai dans ce que dit Tocqueville, dans le sens où l'on reconnait des pratiques qu'on connaît bien.

    Cependant, concernant l'application de cette vision à Sarkozy :
    - depuis que j'ai une conscience politique, je vois tous les Présidents confier des postes clé à leurs proches (la liste est longue !), donc il n'y a rien de nouveau avec NS.
    - je n'en avais en revanche vu aucun donner des postes clés à des opposants (Commission des Finances de l'assemblée, Ministère des Affaires étrangères etc...). J'ai même en tête que l'UMP le reproche à voix basse au Président.

    Concernant le fond du texte, il m'inspire quelques questions :
    - quelle est la nuance entre "intrigue" et "manoeuvre politique" ?
    - est-ce possible de conquérir le pouvoir sans aucune manoeuvre politique ?
    - quelle est la nuance entre "corruption" et "récompense" ?
    - est-ce possible de ne pas récompenser ceux qui aident l'homme politique dans sa conquête du pouvoir ?
    - comment les récompenser si ce n'est pas avec des postes clés ? avec de l'argent ?
    - est-ce toujours mal de donner un poste clé à quelqu'un pour la simple raison qu'il a rendu service à la personne du Président ? (je me dis que pour toute personne qui arrive à ce niveau là, il existe forcément un poste dans lequel elle est compétente)

    Bref, à y penser, je me dis qu'il y a dans ce que présente Tocqueville une part de mal nécessaire, qui devient nuisible en cas d'abus et qu'il serait naïf d'imaginer le supprimer.
    En revanche, être attentif aux nominations et limiter les mandats sont de très bon moyens de réguler ces pratiques, en rendant lisible les abus et en "rafraichissant" régulièrement les tenant des postes clé.

  • Avec N. Sarkozy on a surtout vu qu'il n'était pas nécessaire d'être Président pour user des forces de l'État afin de se faire élire. Ministre de l'Intérieur est largement suffisant.

  • @ Arnaud
    Tocqueville est conscient des objections que tu évoques, et il en parle également, avec des remarques assez similaires aux tiennes dans l'esprit. Il considère simplement le renouvellement d'un tel mandat électif pour une seule personne comme un facteur aggravant.
    Sympa que tu le lises : on va pouvoir échanger des vues. Nhésite pas à faire des commentaires sur ton blog, on pourra se répondre par sites interposés ou dans les commentaires.
    Je lis aussi l'Esthétique de Hegel, en ce moment, mais ce n'est pas politique, et puis je poursuis petit à petit ma lecture des apports de l'école autrichienne en économie de Thierry Aimar : intéressant, mais conceptuellement parfois coton...
    @ Sophie,
    Bonjour : Pierre Vallet m'a proposé de me rendre au congrès du Nouveau Centre en mai, et j'ai accepté. C'est avec plaisir que je participerai à une telle rencontre, mais je le ferai sans renier mes convictions. Je suis un blogueur Centriste, mais aussi Démocrate.
    @ Jihache
    Il y a peut-être des maux en effet inévitables, et Sarkozy n'est de toutes façons ni le premier ni le dernier à en user, en effet.
    Il faut que je poursuive la lecture pour voir si Tocqueville apporte des réponses précises à vos remarques. Toutefois, Tocqueville est avant tout un esprit pragmatique ; il ne cherche pas l'éidification d'une cité idéale, mais de la démocratie la plus efficace possible dans notre monde terrestre :-)
    @ Aurélien
    Hélas, il n'y a pas que Sarko, sur ce point-là, comme le note avec justesse Jihache.

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