Je viens de lire un article dans le Figaro à propos d'une femme qui demande à mourir. Elle est atteinte d'une tumeur rarissime qui la défigure et provoque des souffrances insupportables. Une sorte de tumeur au sinus qui interdit du coup toute opération chirurgicale d'envergure.
Elle a écrit une lettre à Nicolas Sarkozy pour lui demander le droit de mourir dignement. J'avais entendu son témoignage sur France Info il y a quelques semaines. C'est le genre de choses qui me glace le sang.
D'un côté, on ne peut pas interdire à quelqu'un d'en finir avec la souffrance. Mais de l'autre comment imaginer cette situation horrible où vous accompagnez quelqu'un en sachant que dans une heure, tout au plus, elle va mourir.
C'est quelque chose contre lequel mon esprit se révolte, mais je crois que c'est parce que la mort est toujours plus difficile pour ceux qui restent. Plus difficile pour ceux qui ont envie de vivre.
La question de fond, finalement, c'est de de déterminer si l'euthanasie est un suicide ou non. L'église catholique, par exemple, s'oppose à l'euthanasie, parce qu'elle estime que c'est un suicide. Mais moi, je ne sais pas si c'est un suicide ou non. En mon for intérieur, je tends à penser que non. Pas un suicide, mais une voie sans issue, une impasse de la vie.
L'euthanasie nous renvoie à nos échecs, et aussi à notre impuissance. En grec ancien, εὐθανασία signifie "mort douce et facile".On pourrait aussi penser que la tumeur maligne qui atteint cette malheureuse femme est aussi une sorte de longue agonie.
Agonie, son étymologie est assez horrible : ἀγων en grec, cela signifie le combat. Mais lorsque l'on agonise, on combat contre quoi ? Contre la mort qui vient, ou contre la vie qui reste ?
L'avocat de Chantal Sébire utilise pour les commodités de son exposé le terme de suicide pour évoquer et justifier la requête de sa cliente. Moi, je crois qu'il ne le faut pas. Il ne faut pas lier euthanasie et suicide. Parce que justement, pour légitimer l'euthanasie, il faut justement démontrer que ce n'est pas un suicide. Or, manifestement, cet avocat a choisi de s'appuyer sur les articles 2 et 5 de la convention européenne qui disent que tout individu a droit à la vie et que donc la vie n'est pas une obligation. Ce qui n'est pas une obligation, ce n'est pas la vie, mais plutôt la souffrance. Il faut, je le crois dégager une bonne fois pour toutes l'euthanasie du champs sémantique du suicide pour le laisser uniquement dans celui de la souffrance et de la mort.
Actuellement, ce qui est proposé à Chantal Sébire, c'est un coma artificiel qui reviendrait à garantir la cessation de ses fonctions vitales au bout de 10 à 15 jours. 10 à 15 jours d'agonie ? de combat ? Cela ne me semble en effet pas raisonnable, et l'avocat de Madame Sébire repousse cette solution.
Dans la 4ème lettre à Lucilius, le philosophe Sénèque évoque la mort, et surtout la peur de la mort : « Mors ad te venit: timenda erat si tecum esse posset: necesse est aut non perveniat aut transeat. »
« La mort vient à toi: tu devrais la craindre, si elle pouvait séjourner avec toi; mais de deux choses l'une: ou elle ne t'atteint point ou elle < te touche et > passe. »
Je pense en effet, que ce sont nos projections qui sont terrfiantes, et pas la mort elle-même. Sénèque a bien compris cela. Juste avant, Sénèque précise : «Profice modo: intelleges quaedam ideo minus timenda, quia multum metus afferunt. Nullum malum magnum quod extremum est.»
« Avance d'un pas et tu comprendras cette vérité; la terreur qu'éveillent certains objets doit précisément diminuer nos appréhensions à leur endroit. Un mal n'est jamais grand, qui marque la fin de tous les autres.»
Oui, c'et sans doute vrai : aucun mal n'est grand s'il est le dernier. C'est en ce sens, sans doute, qu'il faudrait reconsidérer l'euthanasie. Il resterait encore à définir précisément les maux, mais il me semble que Sénèque a certainement ouvert la voie.
Commentaires
Cela fait plusieurs jours (et en fait, quasiment depuis la création du blog), que je prépare un article pour m'exprimer sur le sujet. Je ne le ferai jamais aussi bien que vous, alors je pense que je ferai quelque chose de bref et renverrai vers voter article. Merci
Merci Florent
Tant mieux si vous vous retrouvez dans cet article. C'est une question difficile, l'euthanasie.
Depuis 2 ans j'esaye d'informer et de réfléchir avec des amis sur les problèmes de fin de vie: bloc - notes http://www.hautetfort.com/admin/login.php
Comment peut-on encore aujourd'hui être dans le flou concernant chaque terme : euthanasie et suicide assisté? Pour Chantal Sébire, que je soutiens dans sa demande de suicide assistée n'est pas dans le cas d'une euthanasie
suicide assisté ou euthanasie demandée?
dans un cas où la mort approche à grands pas, où la souffrance ne peut être soulagée, sauf par une mise dans le coma, euthanasie qui ne dit pas son nom?
si on donne de fortes doses pour la mettre dans un coma sans souffrances, qui garantit que ces doses ne vont pas provoquer la mort?
hypocrisie?
l'église n'est plus au temps où on refusait d'enterrer les suicidés au cimetière, où on leur refusait une messe? ou alors je me trompe?
pourquoi se référer toujours à l'église catholique? dans un pays où peu de gens sont catholiques pratiquants, obéissant aveuglément au pape (qui n'a d'ailleurs pas les mêmes idées que le précedent?)
ne peut-on pas penser de façon laïque?
où chacun se détermine en fonction de ses croyances et non pas celles du voisin?
la loi n'est-elle pas pour tous?
la loi qui autoriserait euthanasie ou suicide dans des cas comme celui-là, n'obligerait personne à faire le même choix, dans la même situation.
c'est un choix personnel, remarquable de réflexion et d'amour pour ses enfants, mais nul n'est tenu de faire pareil!
la loi doit permettre à chacun de faire son choix, celui-là ou un autre, pour le moment, nous n'avons pas le choix, nous sommes prisonniers de la médecine qui décide à notre place, en cachette pour nous soulager, et dasn le refus de toute aide pour certains...
inégalité, injustice...!
à revoir!
@ France
il y a un petit problème avec votre lien qui ne fonctionne pas.
@ j salenson
Je pense qu'il est très important de dissocier l'euthanasie du suicide. L'interrogation de l'église catholique est donc légitime, par-delà ses prescriptions morales qui relèvent de la sphère individuelle.
Tout ce qui touche à la mort des autres nous renvoie aussi à notre propre mort, c'est là, je pense le noeud de nos interrogations.
Extrait d'une réflexion de Jean Larose, abbé, Nice le 9 mai 2005
Jean Larose est décédé en août 2005
Au regard de la loi de 2002 de M. Kouchner et de la loi du 22 avril 2005 (loi Leonetti), je me pose deux questions:
Est maître de ma vie? Dieu? La société? Le médecin? Moi-même?
Puis-je me donner la mort?
Quel est le maître de ma vie?
Chez les animaux, la vie de l'espèce est régie par l'instinct. Chez l'homme, la société remplace souvent l'instinct.
Dans les sociétés primitives, c'est le clan, la famille qui décide tout.
Petit à petit, la personne s'est dégagée de ce carcan de groupe.
En son temps Jésus y a contribué, quand il dit: le Sabbat, c'est-à-dire la loi du groupe, et pour l'homme et non pour la loi. Il mettait la personne au-dessus du groupe.
Aujourd'hui, on insiste sur la responsabilité de la personne. C'est elle qui choisit son métier, son conjoint, qui choisit ses représentants dans la démocratie.
Donc, la réponse à notre question: « qui est maître de ma vie? » est claire, c'est la personne elle-même. Ce n'est plus la société ni le médecin.
Cela suppose une prise de conscience de chacun.
Chacun doit prendre en main la gestion de sa fin de vie, en tenant compte de sa souffrance, de sa famille, de ses amis, de son rôle social. C'est un choix absolument personnel!
Le problème de la fin de vie est-il alors absolument réglé? Non.
Peut-on légitimement se donner la mort? La loi, depuis 1791, ne poursuit plus le suicide.
Le problème n'est donc pas légal, mais moral.
La loi divine est donnée à Moïse: tu ne tueras pas.
On en déduit que la vie appartient à Dieu, elle est sacrée, on ne peut y toucher.
En fait, ce n'est pas de cette façon absolue que la Bible la comprend. En effet, dans son application, elle admet la peine de mort pour ceux qui pratiquent l'inceste, l'adultère l'homosexualité.
L' Eglise catholique n'a pas gardé toute cette législation, heureusement.
Dans les temps modernes où la terre est surpeuplée, la moyenne d'âge est de 80 ans, la médecine est toute-puissante, le problème est de garantir aux individus une vie humaine. On supprime la peine de mort, on accepte l'avortement thérapeutique, l'homosexualité est reconnue, et l'acte sexuel n'a plus pour seule but la reproduction.
L' enfant est tout un espoir.
Le vieillard, lui, arrive à sa fin. Pour lui, la mort n'est pas un choix, elle est inéluctable. L'empêcher n'a pas de sens.
On n'attend plus du médecin qu'il prolonge artificiellement la vie qui s'en va: un jour de plus, un jour de moins, devient secondaire.
Ce dont le mourant a besoin, c'est qu'on l'aide à réussir son départ de la façon la plus humaine.
Changement d'optique pour les médecins, formés à soigner, et maintenant à aider à finir une vie.
Si le vieillard se sent prêt à quitter la vie, surtout qu'on ne l'en empêche pas.
S'il refuse tout traitement, s'il devance un peu la fin, qu'on respecte sa décision.
Il y va de la qualité de sa fin de vie. Il est prêt, il part dans la paix, c'est le but recherché.
C'est toujours très désagréable d'attendre un nouveau train parce qu'on a raté celui pour lequel on était prêt.
La déclaration des droits de l'Homme de 1948 dit:
« la dignité de l'homme tient à son humanité ».
Mourir dans sa dignité, c'est donc vouloir être un homme jusque dans sa fin de vie.
Au lieu de vous faire un cours sur la dignité, je vais tout simplement vous dire comment, moi, je rêve ma fin de vie:
Je ne voudrais pas finir ma vie dans le désespoir, la déprime, la peur de la souffrance, le sentiment d'échec.
Car cela me paraît contraire à l'amour de la vie.
Je voudrais qu'on me dise: ton dernier moment arrive. Je demanderais qu'on me sorte de l'hôpital, où l'affection des siens a tant de mal à s'exprimer: qu'on me retire les tuyaux devenus inutiles – sans pour autant qu'on arrêt de soulager ma souffrance.
Je voudrais être entouré de mes amis, leurs mains dans mes mains, leur regard dans mon regard. Je leur dirai combien je remercie mes parents de m'avoir appelé à la vie; né de l'amour, je veux mourir dans l'amour.
Maintenant, après une vie bien remplie, mon rôle sur la scène de l'histoire est terminé. Je rentre dans les coulisses, sans amertume, sans récrimination. Je donne le dernier coup de ciseau à un monument qui s'achève, je pose un point d'orgue à la dernière mesure d'une cantate.
Mon dernier cri:
j'aime le Créateur
j'aime mes amis et tous les humains
j'aime la vie dans l'amour
Bien sûr, je ne doute pas que la réalité sera toute autre. Mais ainsi, je me prépare et prépare mon médecin et mes amis à mon grand départ, dans ma dignité d'homme.
Lorsque tu souffres 24h/24, lorsque tu ne peux plus commettre les choses de la vie les plus banales...Marcher, prendre un bain, se faire à manger, mettre ses chaussures...Etc.
Lorsque ta "situation physique" est sans solution, lorsque tes enfants ne partent pas vraiment en vacances, ne voulant pas laisser leur Mum seule s'occuper d'un père malade.
Comment savoir ou se trouve la limite de l'assistance, la limite du désir de la vie.
Vous parliez de la douleur de ceux qui restent, avez vous pensez à la "vie" de ceux qui ne sont pas malades et s'occupent quasi 24 h d'un parent, conjoint ou enfant.
La mort n'est elle pas une délivrance pour tous, même pour le trou de la Sécu?
Je souffre énormément, je vis chez moi, sans ma "femme", je ferais quoi?
Lorsque tu es bien portant, tu peux avoir une démarche intellectuelle, un avis , des principes...Mais lorsque la douleur, la paralysie te pénètrent tu ne raisonnes pas automatiquement toujours pour ou contre l'euthanasie.
Tu passes par d'autres moment, tu veux te battre, tu espères, grabataire durant quelques jours et au fonds de toi se mêlent des sentiments, une volonté différente.
J'ai écrit en "live", pardonnez moi mes répétitions et mes fautes.
A bientôt
je pense que seuls ceux qui souffrent savent où se situent leurs limites, probablement par l'acceptation de la mort qui arrive inéluctablement, qui se rapproche, ensuite par le refus de la souffrance, la sienne mais peut-être aussi celle des proches...
la loi que nous demandons est seulement celle de la liberté de choix pour la personne en fin de vie, à elle de savoir si elle veut décider, ou si elle préfère s'en remettre aux médecins
pour celui qui accompagne un mourant, c'est très difficile, mais dès lors que la mort est acceptée, cela va mieux.
comment l'accepter? parce que nous sommes tous mortels, le malade comme le bien-portant, personne ne sait quand la mort frappe, un enfant comme un vieillard, la mort devrait être facile, mais notre société a espéré que les progrès de la science allait la faire disparaître... illusion dommageable...
on peut seulement la repousser pour plus tard, parfois, pas toujours, les médecins ne sont pas des dieux tout puissants
certains veulent vivre le plus longtemps possible, d'autres préfèrent moins de temps sur terre, mais une plus grande qualité de vie, laissons le choix à chacun
la loi actuelle nous impose le choix du médecin, sauf suicide plus ou moins violent, puisque les médicaments nécessaires à un suicide doux sont interdits à la vente, seuls y ont accès ceux qui connaissent quelqu'un de bien placé...médecin hospitalier par exemple...
lorsque la fin et prévisible à court terme, la seule chose que peut faire un médecin est d'aider à une mort douce.
en quoi le passage par un coma de plusieurs jours est-il préférable à une mort rapide et douce?
comme voudrait nous le faire croire certains?
Merci à tous les deux pour vos réflexions, elles sont éclairantes.
La question de la mort demeure difficile, tant elle touche...à la vie !
OUI à l'aide au suicide, mais NON à l'euthanasie !
Au sujet de la différence entre l'euthanasie et l'aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu'il n'existe pas de différence entre les deux : dans un cas c'est le patient lui-même qui s'enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l'autre c'est le médecin qui la retire. Il faut d'abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l'on se situe sur le terrain de l'éthique, on peut raisonnablement soutenir qu'il n'existe pas de différence. Cependant, si l'on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l'euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l'emprisonnement à perpétuité) et l'aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d'emprisonnement). Dans le cas de l'aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l'aide au suicide constitue d'une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972 (et en 1810 en France), cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu'une complicité que s'il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n'est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l'aide au suicide est donc un non-sens.
En revanche, l'euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l'un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l'interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d'autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d'ailleurs aboli la peine de mort en 1976 (et en 1981 en France) ! Si l'euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l'esprit, conclure que l'euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d'un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d'abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d'exprimer leur volonté) et les risques d'érosion de l'ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l'euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l'euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l'encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :
« Il existe, tout d'abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier,
et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C'est là l'argument dit du doigt dans l'engrenage qui, pour être connu, n'en est pas moins
réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le consentement à l'euthanasie ne soit pas vraiment un acte
parfaitement libre et volontaire »
Eric Folot