Le présent article a été rédigé par l'un des membres de la comission Economie de l'UDF, et publié le 05 février 2006.
Philippe Arraou y présente une conception particulièrement audacieuse des rapports entre les créateurs d'entreprise et les différentes officines de l'Etat. Les familiers de Schumpeter et ceux qui auront lu La croissance et le chaos de Christian Blanc, se retrouveront très aisément dans cet avis d'expert. Bien entendu, les Hérétiques s'y retrouvent tout à fait...
Source : http://www.udf.org/participer/commissions/economie/contribution_arraou.pdf
L’initiative économique relève du domaine privé, et repose sur l’entreprise et son ou ses dirigeants. Il n’y a pas de modèle particulier, et chacun développe ses propres initiatives. Il n’empêche que les démarches s’insèrent dans un contexte public, et que celui-ci peut être plus ou moins favorable pour les encourager et les accompagner.
Dans la rubrique de la politique économique, il y a ainsi un espace à réserver au sujet des « initiatives ». Le contexte ambiant de morosité et de crise impose aux partis politiques de présenter un projet de nature à favoriser une relance économique, et par conséquent d’encourager les initiatives économiques.
Quelle politique économique ?
A la question « le sujet de l’initiative économique peut-il concerner l’UDF ? », la réponse est clairement oui!
Economie de marché
Nous sommes favorables à l’économie de marché, et à ce titre favorables à l’entreprise individuelle. L’un des problèmes majeurs de notre société, pour ne pas dire le plus important, étant celui de l’emploi, nous devons explorer toutes les pistes qui permettront de le résorber.
Le constat de la défaillance des grandes entreprises consommatrices de main d’oeuvre pour assurer le niveau de l’emploi est devenu une banalité.
D’un côté, la main d’oeuvre non qualifiée coûte moins cher hors de France, et les unités de production ont été délocalisées en conséquence.
D’un autre côté, les niveaux de formation se sont considérablement élevés, et la demande du marché du travail porte de moins en moins sur des emplois non qualifiés.
Aujourd’hui c’est le monde des PME qui est en mesure de proposer des emplois, sachant que le spectre est très large, allant de zéro à plusieurs centaines de salariés.
Ces entreprises sont confrontées à un marché concurrentiel extrêmement vif, avec des règles sévères qui ne laissent la place à aucune erreur, et qui est malgré tout régi par la loi du plus fort.
C’est pourquoi le monde des PME a aussi besoin de protection. Entre liberté et libéralisme un équilibre reste à trouver, qui peut parfaitement identifier l’UDF et sa politique centriste.
Economie sociale de marché
Une dose d’étatisme, ou plutôt de régulation, est ainsi à insérer dans un contexte de liberté, afin de protéger les plus faibles face aux dérives ou excès des plus forts.
Cette régulation portera également sur la dimension sociale de l’entreprise, et sur les relations entre les individus qui la composent, conformément aux racines de valeurs humanistes de l’UDF qui ont pour objectif de placer l’Homme au centre de tout projet.
Une économie sociale de marché aura ainsi pour conséquence de prévoir un minimum de régulation dans un monde fait de liberté d’entreprendre et de libre concurrence.
Un parti politique comme l’UDF qui se présente avec un projet de société se doit ainsi d’avoir une politique claire d’accompagnement des porteurs de projets économiques.
UDF, le parti du futur
Le positionnement de l’UDF sur l’échiquier politique français est tourné vers l’avenir. Bien que porteurs de valeurs, nous sommes des progressistes, ce qui nous éloigne de la dichotomie droite gauche sur laquelle s’affrontent conservatisme et réformisme. Nous incarnons les deux tendances, et voulons aller de l’avant.
Afin de bien être identifiés comme « le parti du futur », il sera utile d’accompagner des projets innovants.
Encourager l’initiative économique
Mettre en place des mesures d’encouragement limitées à une aide financière n’est pas sain. Les subventions à tout créateur ont été arrêtées depuis plusieurs années, ce qui est bien. L’argent public a d’autres finalités que de revenir à une entreprise privée. Cela ne veut pas dire pour autant que la collectivité ne doive pas s’intéresser au domaine privé, mais d’autres formes d’aides, plus subtiles, peuvent être trouvées.
De quoi ont besoin les porteurs de projets ? De soutien, et d’encouragement ! Et éventuellement de dispositifs les aidant à finaliser leur projet ou à le développer.
1) Accompagnement des créateurs
Bien évidemment, une simple idée ne suffit pas à faire une entreprise, et les lois économiques sont là pour rappeler que c’est un ensemble d’éléments qui participent à la concrétisation du projet et à sa réussite : les hommes, l’argent, le marché, les méthodes, sans oublier les machines si l’on parle de production.
Mais quand bien même tous ces éléments sont réunis, cela peut ne pas suffire, surtout dans le domaine de l’innovation, qui par définition bouleverse les habitudes, et peut déranger.
Le chef d’entreprise a besoin d’être accompagné pour voir des portes s’ouvrir. Très souvent l’individu est isolé, concentré sur sa recherche ou son innovation, et les relais lui manquent.
Cette aide peut être apportée par un parti politique, sans beaucoup d’efforts. Cela ne demande qu’un peu de disponibilité, pour d’abord identifier les projets, et ensuite utiliser les relais des élus quand ils sont nécessaires afin de mettre en relation ces porteurs de projets avec des acteurs économiques et éventuellement des responsables
de collectivités. Nous sommes entourés de gens qui ont des projets ; investissons nous avec eux !
2) Centres de créativité
Passer d’une idée à un projet, puis d’un projet à sa réalisation demande un ensemble de connaissances et un savoir faire. Pour rester sur un schéma simple disons qu’il y aura au minimum trois phases : la conception, la fabrication et la commercialisation.
Les trois peuvent être concentrées à l’intérieur d’un même projet, et l’entreprise assume sa totale autonomie. Mais cela fait généralement appel à trois parties bien différentes, à trois métiers différents, si bien qu’il n’est pas facile de réunir toutes les compétences autour d’un même projet.
En revanche, il est possible de faire se regrouper les différents acteurs, en commençant par les faire se rencontrer. D’où l’idée d’un centre qui aurait pour objet de les mettre en rapport. Les créateurs présenteraient leurs projets. Les industriels les sélectionneraient pour les fabriquer. Et les commerciaux proposeraient une diffusion.
Tout cela serait l’aboutissement d’une démarche de créativité. Dans le but de chercher à explorer toute idée pouvant déboucher sur un projet d’entreprise, des « centres de créativité » pourraient accueillir des porteurs de projet.
L’activité de ces centres consisterait avant tout à favoriser la créativité. Dans une ambiance de recherche, et avec l’aide de professionnels compétents, des séminaires ou stages de créativité seraient proposés pour encourager les personnes « qui ont des idées » mais ne savent pas comment les matérialiser. Ensuite, le centre se chargerait d’apporter une aide concrète. Une première phase d’analyse et d’étude permettrait de procéder à une sélection.
Ensuite un accompagnement serait proposé pour une protection de l’idée : dépôt de brevet. Enfin, une mise en relation se ferait avec des entreprises industrielles pour la fabrication et commerciales pour la distribution.
Ce type de structure peut difficilement relever du privé, sauf à conduire à la perte du projet par son concepteur. Il s’agit d’apporter une aide, mais sans vouloir accaparer une idée. Les collectivités locales pourraient jouer un rôle moteur pour créer des centres de ce type.
3) Aides à la formation
Les chefs d’entreprise se doivent d’être compétents dans tous les domaines, ce qui est extrêmement difficile. Dans une grande entreprise, les compétences sont partagées entre plusieurs personnes, chacune étant spécialisée dans son domaine.
Dans une PME, par manque de moyens, l’entreprise ne peut embaucher des spécialistes, et le chef d’entreprise cumule tous les domaines de compétence.
En général, il est issu d’une formation, soit technique, soit commerciale, soit de gestion. Il a par conséquent des lacunes naturelles pour l’ensemble des connaissances qu’il se doit d’assumer. Cela peut se faire ressentir sur le
fonctionnement et le développement de l’entreprise. D’où la nécessité de formation.
Beaucoup d’organismes de formation proposent des stages et séminaires en tout genre, et une offre importante existe sur le marché. Mais tout cela a un coût, que la PME ne peut pas toujours supporter.
Des organismes de financement de la formation peuvent prendre en charge une partie des coûts de formation continue, mais cela ne peut s’appliquer au chef d’entreprise lui-même, s’il n’est pas dans une structure juridique qui lui assure un statut de salarié, telle l’entreprise individuelle, ou la SARL quand il est gérant
majoritaire. La formation des chefs d’entreprise pourrait être développée par les collectivités locales : conseils régionaux, et même conseils généraux.
4) Aides à l’export
Certaines régions françaises ont des structures d’accueil de leurs entreprises dans des pays étrangers. Ces services sont très efficaces et garantissent les meilleures chances de succès au développement des entreprises à l’export. Plus proches des entreprises que les services du commerce extérieur attachés aux consulats, ils assurent un
accompagnement dans le pays à la recherche de partenaires, d’associés, de distributeurs ou de personnel. Se limitant à un rôle d’intermédiaires, ils proposent de mettre en relation les entreprises avec des professionnels locaux, ce qui permet d’éviter les écueils liés à un manque de connaissance du pays et de la langue.
Un projet politique pourrait consister à revoir le dispositif public d’accueil des entreprises françaises à l’étranger pour chercher à en améliorer l’efficacité, et s’inspirer du modèle que certaines régions ont mis en place.
Pour des régions frontalières, ces services d’accueil pourraient être généralisés.
Réformer l’administration
1) Allègements de cotisations des créateurs
Les chefs d’entreprise ont pour habitude de se plaindre de l’importance des prélèvements qu’ils subissent. Ce sujet conduit à un débat plus large qui est celui de la fiscalité et celui de la base de calcul des cotisations sociales. Il est évident que tout allègement pour les créateurs d’entreprises est à privilégier. Des mesures existent déjà. Elles sont à maintenir et même à développer.
2) Concentration des services administratifs
Au-delà du coût des cotisations fiscales et sociales, un autre sujet étonne les créateurs qui se lancent dans l’aventure de l’entreprise : celui de la lourdeur de leurs obligations administratives. Des déclarations multiples sont à fournir régulièrement à des services administratifs aussi nombreux que méconnus. Cela se traduit par un coût pour l’entreprise.
Une mesure de simplification consisterait à les concentrer. Cela ne sera pas facile, chacun défendant son pré carré. Seule une volonté politique pourra amener à un résultat. Quand on sait que dans certains pays, un seul organisme d’état se charge de recouvrer la totalité des cotisations obligatoires, à quelque titre que ce soit, cela
laisse rêveur …
De telles mesures peuvent éventuellement amener à des suppressions d’emplois dans ces administrations. Cela est une question de choix de société pour trouver le bon équilibre entre les individus qui créent de la richesse et ceux qui les contrôlent.
Une solution intermédiaire avant la concentration des services, serait de limiter la concentration au recouvrement des cotisations, ce qui ne remettrait pas en cause l’existence de chacun d’eux.
Par contre, cela conduirait à un allègement sensible des obligations pour les entreprises, et par conséquent à des créations d’emploi sur ce qu’est leur métier, plutôt que leur administration.
3) Réduire les obligations administratives
Si l’on comprend bien la nécessité de mettre en place des systèmes de contrôle, par contre on comprend moins bien l’acharnement dont est capable de faire preuve parfois l’administration.
Que ce soit en matière fiscale, ou en matière sociale pour les différentes cotisations obligatoires, les entreprises sont sous la surveillance permanente de l’administration.
C’est la règle du jeu, puisqu’elles ont la liberté et la responsabilité de remplir leurs déclarations, et qu’ensuite l’administration vient contrôler la concordance des faits avec les déclarations reçues.
Une inversion des rôles soulagerait l’entreprise : que l’administration fasse ses calculs elle-même, éviterait le contrôle sur l’entreprise. C’est une véritable révolution intellectuelle que de prendre le problème à l’envers, mais cela serait un véritable bénéfice pour les entreprises.
Au-delà de l’allègement de contrainte pour l’entreprise, il faut également avoir le courage de simplifier la complexité des cotisations. En effet, masquer la complexité derrière une apparente simplification, conduit à transférer le travail sans le réduire.
C’est ce qui vient d’être fait avec la prise en charge par les URSSAF des déclarations des TPE. Aucun allègement, ni aucune simplification, mais transfert de charge de travail, ce qui justifie des emplois nouveaux dans l’administration, mais ne réduit pas le montant des cotisations.
4) Changements de mentalité
Le plus terrible dans le cas d’un contrôle, quel qu’il soit, est le temps qu’il engendre, sans parler du désagrément de la relation humaine, parfois à la limite du supportable.
Une première mesure qui s’impose à toute nouvelle politique en France est une consigne à passer aux agents de l’administration pour changer leur comportement et engager une relation de partenariat avec les entreprises. Cela serait certainement de nature à encourager les créateurs d’entreprise à se lancer dans l’aventure.
Conclusion
La raréfaction de l’offre d’emploi conduit les travailleurs à créer leur propre entreprise. C’est une réaction de survie, dans laquelle il faut voir un dynamisme intéressant pour une société qui est en mutation. Le phénomène est à privilégier car il apporte une réponse à la délicate question de l’emploi.
Mais il n’est pas facile de passer du stade de projet à sa mise en oeuvre. Des mesures visant à faire germer les projets et à les accompagner sont indispensables. C’est une stimulation des mentalités qu’il convient de mettre en oeuvre afin d’évoluer vers une société d’individus responsables et entreprenants.
Pau, le 5 février 2006