Le Faucon, à la suite d'un fait divers tragique, renvoie à la responsabilité individuelle l'oubli d'un enfant dans une voiture. Il s'en prend même à Nadine Morano, Secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité, parce que cette dernière veut demander la mise en place d'un détecteur de présence automatique dans toutes les automobiles. Une mère de famille de quatre enfants , de Brétigny sur Orge, a oublié son bébé dans une voiture et est parti travailler. En raison de sa chaleur, celui-ci est décédé. C'est horrible, et quand j'apprends quelque chose d'aussi terrible, cela me touche profondément.
Je suis tout à fait en désaccord, cependant, avec ce qu'écrit le Faucon. Il est très imprudent de confondre oubli et abandon ou négligence. Au temps de Platon, on s'est beaucoup moqué d'Hippias d'Élis, ce sophiste qui analysait les mots à la nuance la plus infime, estimant qu'ils ne portaient pas la même charge sémantique. On s'en est moqué, et pourtant, il avait raison : un abandon dénote une indigne indifférence à l'égard de son enfant. C'est l'attitude la plus condamnable. La négligence est une absence de sens commun et de responsabilité : elle peut avoir des conséquences tragiques, mais elle ne signifie pas qu'un parent n'aime pas pour autant son enfant.
Mais l'oubli, lui, comment le qualifier ? Qui sait comment fonctionne la mémoire ? Dans cette très triste circonstance, cette femme n'a pas laissé son enfant, elle l'a oublié, oublié, comme si l'enfant avait disparu de sa mémoire pour un temps déterminé. Il suffit que l'esprit soit préoccupé, qu'il se tende alors tout entier vers l'objet de sa préoccupation, fût-elle anodine, et il devient alors possible d'oublier un autre objet de la mémoire. C'est terrible. Je suis presque sûr que cette femme a réellement eu un trou de mémoire. Cela peut nous arriver à tous. Et qu'on ne dise pas qu'elle est assez punie par ce qui lui arrive, j'en serais scandalisé. Comment pourrait-on parler de punition quand il s'agit de la mort d'un enfant que l'on a porté et que l'on aime ? En réalité, c'est un drame terrible qui la frappe, et qui va la ronger, alors que, je le pense profondément, elle n'y est pour rien.
Aristote, dans on Éthique à Nicomaque, au livre III, essaie de fixer les divers degrés de responsabilité en analysant actes volontaires et actes involontaires. Un oubli ne saurait être un acte volontaire, puisque par définition même, l'oubli échappe justement à la volonté ! Dans son éthique, Cette femme aurait provoqué un mal sans intention de la donner, et vraisemblablement sans négligence.
J'en viens à Nadine Morano : elle a raison. Tout à fait raison. Pour ceux qui oublient, un détecteur, c'est leur garantir une sécurité supplémentaire contre leurs défaillances. Pour les négligents, c'est un rappel à l'ordre : laisser un enfant tout seul dans une voiture est dangereux. Pour les indifférents, enfin, si le détecteur se met en marche, on peut espérer qu'il réveille un soupçon de responsabilité de leur part, à défaut, qu'il attire l'attention de l'environnement.
Cette histoire est atroce. Les parents du bébé mort avaient veillé toute la nuit au chevet d'un de leurs autres enfants qui était très malade. Atroce. Vraiment atroce. J'en frémis à la seule pensée. Pauvre femme, pauvres enfants. Surtout ne pas l'accabler, mais au contraire, l'entourer, lui apporter de l'attention et de la consolation autant qu'il est possible. Quant à la proposition de Nadine Morano, j'applaudis des deux mains, mais concrètement quand est-ce que le gouvernement passe à l'action et vote la loi ad hoc ?
Quoi qu'il en soit, j'en finis avec cet appel : si vous voyez un jour un enfant seul dans une voiture, même un peu plus âgé, n'ayez aucune, je dis bien, aucune hésitation à alerter la police. Plus généralement, quand vous voyez un jeune enfant seul, vérifiez si sa famille ne se trouve pas autour. Si ce n'est pas le cas, prévenez la police. Rien ne doit être ignoré ni épargné pour la sauvegarde de nos jeunes enfants.