Pour passer le temps, en ce moment, je relis de larges passages des Contes des Mille et une nuits, et particulièrement les voyages de Sindbad. J'y ai bien réfléchi, et je me suis demandé quel personnage héroïque se dégageait du conte ; en fait quand on y songe, alors qu'en Occident, à cette époque, le paradigme du héros c'est l'homme de guerre, et de préférence le chevalier, dans le monde arabo-musulman, il y a une toute autre approche : Sindbad, c'est un jeune homme qui riche par héritage, dilapide d'abord ses biens, avant de réaliser qu'il court à la pauvreté. Alors, plutôt que d'attendre ce qu'il considère comme l'un des maux les plus funestes pour le vieil âge, il vend ses derniers biens, et, sur le capital accumulé, réalise des investissements pour commercer. Même si c'est le démon de l'aventure qui le reprend à chaque fois, pour tenter de nouveaux voyages, ils sont toujours ponctués d'échanges de biens divers ; on a avec Sindbad un véritable esprit d'entreprise.
Le conte est imprégné du monde des marchands et de leurs transactions : ils échangent, communiquent, s'entraident, stockent et consignent des marchandises, explorent des contrées toujours plus lointaines, font pot commun pour convoyer des marchandises et prendre des risques, bref, quasiment tous les ingrédients d'un entrepreneur moderne. En Occident, à cette époque, seul le visage de Marco Polo pourrait être comparable, mais c'est un Vénitien, primo, secondo, c'est tout de même près de deux siècles et demi plus tard, et tertio, Venise, république marchande, est réputée, en plein milieu du moyen-âge catholique, pour n'en avoir rien à cirer des oukazes et interdits papaux sur le commerce avec l'Infidèle et le Maure...
L'astucieux Sindbad exploite en fait les phénomènes de rareté : il exporte des marchandises rares là où il se rend, et ramène des denrées exotiques, donc tout aussi rares, là où il habite. Un parfait entrepreneur au sens praxéologique du terme, cartographiant les opportunités d'échanges...
Pendant ce temps, en Occident, on en est encore à une pré-thésaurisation puisque les seules opportunités d'enrichissement sont le pillage ou la découverte d'un trésor. Aucun esprit d'entreprise, quoi... J'ai pensé, avec un ami, que Sindbad pouvait être comparé avec Ulysse, mais en fait, non. Leur seul point commun, c'est l'astuce et l'audace. Pour le reste, leurs motivations sont fondamentalement différentes. Ulysse cherche à rentrer chez lui, Sindbad au contraire à partir.
Finalement, je me disais que seul ce monde arabo-musulman et persan des IXème et Xème siècles, extraordinairement avancé, a eu l'audace de faire des marchands des héros de leurs plus grands récits.
Je n'ai pas vu trace de quelque chose de semblable dans les autres littératures et civilisations.
Bref, des libéraux, avant la lettre, quoi :-)
Commentaires
Certes, il y a une antériorité de Simbad. Mais dans l'occident médiéval, il y eut d'authentiques entrepreneurs.
Je pense aux banquiers lombards qui favorisèrent le commerce à grande échelle comme les villes de la Hanse.
A titre individuel, à la toute fin de la période médiévale, nous avons l'exemple de Jacques Coeur fut un marchand avec un grand rayon d'activités.
Les marchands (les Pochteca) avaient beaucoup d'importance dans la civilisation aztèque. Ils ont même souvent servi d'espions pour préparer l'expansion de l'empire (et du commerce).
@Thierry
Bien sûr il y en a eu, mais pas dès le 10ème siècle, et pas comme héros de la littérature !
@Ferocias
Mais existe-t-il des codex qui relatent leur geste commerciale, comme c'est le cas pour Sindbad ?
Dynasties Han puis Song en Chine. ;)
http://www.reunion.iufm.fr/Dep/Mathematiques/Seminaires/Resources/Che24.pdf
Oups, ai oublié un petit lien anodin pour faire le lien :)
http://www.mandragore2.net/dico/lexique2/lexique2.php?page=jonque#suei
Pendant ce temps dans la France décadente, Eric Zemmour deviens mêmes un de ces libéraux (!)
http://www.lepoint.fr/actualites-chroniques/2010-04-15/hiroshima-mon-zemmour/989/0/444369
Pour dire à quels points nous en sommes pour sacrés libéral un anti-libéral de première (!). Mais bon l'auteur de l'article navigue entre l'humanité et communisme puis soutien à l'épuration faite par les Serbes donc ne lui en voulons pas trop, il semble déjà si malade comme cela ...
Et encore une énormitée (!)
http://www.marianne2.fr/En-Roumanie,-le-capitalisme-fait-plus-de-ravages-que-le-communisme_a191763.html?com#comments
Décidément les Français baignent dans le socialisme de droite ou de gauche et ne le trouve pas encore assez présent, et bien qu'il y reste et y assume les conséquences de leurs conneries. Bayrou aurait pu sans nulle doute changer la donne a un moment mais maintenant qu'il a rejoint l'opinion du toujours plus d'état, on peut dire comme un fameux blogueur: ce pays est foutu !