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Capitalisme, Socialisme et Démocratie (6) : monopoles et concurrents

Au chapitre VIII de Capitalisme, Socialisme et Démocratie, Schumpeter pose une question majeure : que se passe-t-il si une ou des entreprises restreint (restreignent) la(leur production)  afin maintenir des situations acquises et maximiser les profits ?

 La réponse de Schumpeter risque de choquer plus d'un lecteur : en réalité, une telle manière d'agir pour une ou des entreprises ne rentrent pas dans le cadre d'une gestion malthusienne d'une situation acquise, car, ce serait, dans l'ouragan de la destruction créatrice, comme le dit Schumpeter, un risque majeur.

La réalité, c'est qu'il s'agit surtout d'une stratégie pour couvrir des risques, et donc, il est assez logique que les entreprises gèrent finalement rationnellement ces derniers.

Ainsi, si un observateur ne voit lui que des politiques de prix abusives, il ne réalise pas que c'est au contraire le signe d'une nouvelle phrase d'expansion.

Plutôt que de prendre les exemples de Schumpeter, il suffit de considérer l'évolution de l'informatique et du matériel informatique : il est évident, par exemple, que la puissance des processeurs ne gravit des degrés qu'avec l'idée de générer des produits subséquents à intervalles réguliers.

Mais ce-faisant, les entreprises qui les fabriquent préparent de nouvelles générations de matériel.  

On a soupçonné parfois certaine sgrandes entreprises de conserver sous le coude ou d'acquérir les brevets de technologies qui aurient pu remettre en question toute la structuration de leur production, et on peut penser sur ce sujet aux constructeurs automobiles et aux grands pétroliers, pour notre monde contemporain. 

Mais Schumpeter a envisagé ce cas de figure, et voici ce qu'il répond :

« Dès qu'une grande entreprise moderne se sent en mesure d'en couvrir les frais, elle s'empresse (aux États-Unis) d'installer un service de recherches dont chaque agent sait que son gagne-pain dépend du succès avec lequel il mettra au point des perfectionnements inédits. Or, une telle pratique ne suggère évidemment aucune aversion à l'égard des progrès techniques. Or ne saurait davantage nous opposer les cas dans lesquels des brevets acquis par de grandes entreprises n'ont pas été exploités rapidement ou même ne l'ont pas été du tout. En effet, une telle carence peut s'expliquer par des motifs parfaitement légitimes : par exemple, il peut advenir que le procédé breveté se révèle à l'expérience comme étant défectueux ou, tout au moins, comme n'étant pas sus­cep­tible d'être appliqué sur une base commerciale. Or, ni les inventeurs eux-mêmes, ni les économistes enquêteurs, ni les fonctionnaires ne peuvent être tenus, en pareille matière, pour des juges affranchis de toute opinion préconçue et leurs rapports ou protestations risquent facilement de nous livrer une image tout à fait déformée de la réalité .


[...]

Ceci revient à dire que la gestion adoptera toujours une nouvelle méthode de production susceptible, selon ses prévisions, de produire un flux plus important de revenu futur pour chaque unité du flux correspondant de dépenses futures (ces deux flux étant escomptés en valeurs actuelles) que ne saurait le faire la méthode anté­rieu­rement appliquée. La valeur de l'investissement passé, qu'il ait ou non pour contre-partie une dette consolidée à rembourser, n'intervient à aucun degré dans de telles décisions, sinon au sens et dans la proportion où elle entrerait dans les calculs servant de base aux décisions d'une gestion socialiste. Dans la mesure où l'emploi des vieilles machines économise des frais futurs par comparaison avec les résultats de l'intro­duction immédiate des nouvelles méthodes, le résidu de leur valeur d'emploi rentable constitue, bien entendu, un élément de décision tant pour le gérant capitaliste que pour le gérant socialiste, mais, à défaut d'un tel résidu, l'un ou l'autre de ces gérants passe un trait sur ce matériel périmé, toute tentative pour conserver sa valeur à l'in­vestissement passé entrant en conflit tout autant avec les règles dérivant du motif du profit qu'avec celles déterminant le comportement d'un commissaire socialiste.

 Cela me semble assez bien dit.

On aurait néanmoins tort de croire que des firmes privées possédant un équipe­ment dont la valeur est compromise par une nouvelle méthode contrôlée par ces mêmes firmes - si elles ne la contrôlent pas, le problème et la base du réquisitoire n'existent pas - n'adopteront la dite méthode que si le coût unitaire total obtenu avec le nouveau procédé est plus faible que le coût unitaire variable obtenu avec l'ancien, ou si l'investissement antérieur a été intégralement amorti conformément au plan adopté avant l'entrée en ligne de la nouvelle méthode. En effet, si l'on s'attend à ce que les nouvelles machines, une fois installées, survivent au delà de la période antérieure­ment prévue pour l'emploi des anciennes machines, leur valeur résiduelle escomptée d'après cette date constitue un autre élément dont on doit faire état. Pour des raisons analogues, il est faux de croire qu'une gestion socialiste, agissant rationnellement, adopterait toujours et immédiatement n'importe quelle méthode nouvelle susceptible de comprimer le coût unitaire global de production, ni qu'une telle pratique serait socialement avantageuse.

 

Il existe cependant un autre élément  qui affecte profondément le comportement en pareille matière et que l'on perd invariablement de vue. On pourrait le définir par l'expression « conservation ex ante du capital dans l'attente d'un progrès futur ». Fréquemment, sinon dans la plupart des cas, une firme en pleine activité n'a pas seulement à répondre à la question de savoir si elle doit ou non adopter une méthode nouvelle, bien définie, de production, pouvant être tenue pour la meilleure connue et dont on est fondé à croire que, sous sa forme actuelle, sa supériorité relative se maintiendra pendant un certain temps. Une machine d'un type nouveau ne constitue, en règle générale, qu'un chaînon d'une série de perfectionnements et peut devenir sans tarder désuète. En pareil cas, il ne serait évidemment pas rationnel de suivre la série chaînon par chaînon sans prendre en considération la perte de capital subie à chaque reprise. La véritable question est celle de savoir lequel de ces chaînons doit être saisi par l'entreprise et la réponse doit consister en un compromis entre des considérations qui reposent en grande partie sur des intuitions. Toutefois, l'entreprise devra, en général, attendre un certain temps afin de se faire une opinion sur l'évolution techni­que. Or, aux yeux d'un observateur placé à l'extérieur, un tel comportement pour­ra facilement passer pour une tentative visant à étouffer le progrès aux fins de conserver les valeurs de capital existantes. Et pourtant, le plus patient des « camarades » se révolterait à bon droit si une gestion socialiste était assez déraison­nable pour suivre l'avis d'un théoricien en mettant chaque année au rancart ses outillages et équipements à peine usés. 

Le texte est un peu long, mais il méritait d'être copié intégralement. En filigrane,Schumpeter soulève un autre problème, pas économique, celui-là, mais lié plutôt au statut et à la position de l'observateur de faits économiques. Ce n'est pas dans l'instant que l'on peut véritablement estimer la stratégie d'une entreprise, mais sur la durée.

Enfin, aux chapitre IX et X, Schumpeter évoque le développement des pays neufs et à leur développement. Il se demande notamment si une expansion économique demeurera possible une fois ces derniers tous développés.

Sa réponse est édifiante :

De même, comme nous l'avons reconnu au cours du chapitre précédent, les possibilités d'initiative offertes par les nouvelles zones à exploiter furent certainement uniques en leur genre, mais seulement au sens où le sont toutes les chances éco­no­miques. Il est parfaitement gratuit d'admettre, non seulement que « la fermeture de la frontière » doit causer un vide, mais encore que les initiatives quelconques suscep­ti­bles de se substituer aux initiatives de colonisation seront inévitablement moins im­por­tan­tes, quel que soit le sens que l'on prête à cet adjectif. Il est, au contraire, par­faitement possible que la conquête de l'air soit plus importante que ne le fut la conquête des Indes : nous n'avons pas le droit de confondre les frontières géogra­phi­ques avec les frontières économiques

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