Quand j'analyse l'émergence du radicalisme au Moyen-Orient (mais pas seulement), j'y trouve toujours un délitement du lien social. Qu'est-ce qui fait, au fond, la popularité des Frères Musulmans, des Talibans, d'Aube dorée en Grèce ou encore du Hezbollah et du Hamas en Palestine et au Liban ?
Toujours la même chose : ils apportent de l'aide aux individus esseulés et en déshérence, comme le firent les nazis en leur temps ou les communistes avec leurs organisations populaires.
A chaque fois, je me pose la même question : pourquoi les laïques, les libéraux, dans tous ces pays, se montrent incapables d'en faire autant ?
Il existe bien sûr les associations humanitaires occidentales, mais elles sont perçues comme des concurrentes par les extrémistes et sont souvent les premières visées ; en outre, en dépit de leurs actions, elles demeurent aux yeux des populations d'abord des implants allogènes.
Quand l'Europe planifie des programmes d'aide, il s'agit toujours de versements à des administrations corrompues qu'il est très difficile de contrôler ou à des intermédiaires opaques, et ce, en dépit des efforts des commissaires et responsables de programmes.
Il y a un truc qui manque dans notre diplomatie, et je crois vraiment que c'est notre talon d'Achille : l'absence à peu près totale de relais culturels sur tous les points chauds de la planète.
Prenons l'Égypte : pourquoi n'avons-nous pas pris contact très tôt avec les libéraux et les laïques d'Héliopolis pour leur proposer de mettre en place des distributions de soupes ? Plutôt que d'envoyer des colis estampillés UE ou US, nous véhiculerions bien mieux nos valeurs si nous confions nos aides à ceux qui nous sont les plus proches sur place.
L'inconvénient, c'est que cela suppose un travail de renseignement et de constitution de réseaux que nos services sont bien incapables de générer à l'heure actuelle, ne serait-ce parce que nul responsable politique ne raisonne de cette manière.
Les Frères Musulmans sont plus forts que nous, Aube Dorée aussi, parce que l'aide qu'ils apportent vient du sol où ils sont implantés. Pour les concurrencer, il n'y a aucune autre possibilité que d'en faire autant.
Cela suppose de mettre fin à notre logique interventionniste descendante (au fond, un peu héritée la colonisation) et de la remplacer par une politique collaborative. Évidemment, au pays des bisounours, on applaudira une telle proposition comme si elle allait de soi. En réalité, c'est le chemin le plus difficile car choisir les bons collaborateurs requiert une attention acérée.
En Égypte, on connaît de jeunes activistes courageux. Cela aurait eu de la gueule de confier à Aliaa Magda Elmahdy des fonds européens, à charge pour elle d'assurer le relais avec ses amis auprès du peuple pour aider les plus démunis ou plus simplement qui elle aurait jugé digne de recevoir de l'assistance. A vrai dire, avec notre bureaucratie européenne, j'ai du mal à imaginer qu'une telle souplesse soit seulement pensable par un eurocrate...
Et au fond, nous restons dans un cheminement intellectuel de bwanas, quand bien même les bwanas en question feraient l'apologie du multiculturalisme et seraient pétris de tolérance et de sentiments dégoûlinants de bonne conscience.
Tissons des liens avec les oppositions démocratiques et versons-leur l'argent que nous dépensons inutilement à arroser la corruption ou des populations qui ne nous en seront pas reconnaissantes. La CIA s'est montrée très efficace avec l'islam politique jusqu'à la fin du XXème siècle. Peut-on espérer reprendre sur la forme des méthodes similaires, mais cette fois, en ne se trompant pas de partenaires et en ne vendant pas notre âme ?
J'espère que l'Europe saura un jour emprunter cette voie. Je crois à défaut que la France remporterait un franc succès si elle bâtissait sa diplomatie et son soft power avec les populations visées et non à côté d'elles.
L'accomplissement d'une diplomatie efficace, ce n'est pas de faire la charité, ou, tout du moins, pas de le faire savoir, mais de faire en sorte que ceux qui pensent comme toi se chargent de la faire.